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Billet de blog 12 février 2018

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La France honorera-t-elle enfin la mémoire de la journaliste française Renée Lafont ?

L’affaire Renée Lafont, journaliste, romancière, traductrice, fusillée en Espagne en 1936, jetée dans une fosse commune, et condamnée depuis à l’oubli, est désormais dans les mains du président Macron.

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Longtemps éclipsée par la figure quasi mythique de la photo-reporter allemande Gerda Taro (compagne de Robert Capa), écrasée accidentellement par un char républicain à la bataille de Brunete, le 25 juillet 1937, la journaliste française Renée Lafont est sans doute la première femme journaliste morte dans l’exercice de son métier. Oubliée depuis 1936 dans une fosse commune du franquisme à Cordoue, aux côtés de 2 000 autres martyrs républicains. En matière de disparitions forcées, crimes contre l’humanité, donc imprescriptibles, l’Etat espagnol tourne le dos aux législations internationales, violant ainsi les droits de l’homme, selon, entre autres, Amnesty International. Plus, ou près de 130 000 corps de républicains (selon les sources), jetés dans les fosses communes comme des chiens, attendent « vérité, justice, et réparation ». Certains gouvernements autonomes, et villes de gauche, ont choisi un autre chemin : prendre en main ce que l’Etat délaisse. C’est le cas de l’Andalousie, et de la ville de Cordoue ; cette dernière met en place un dispositif afin de commencer en avril 2018 à ouvrir les deux grandes fosses des deux cimetières (4 000 corps au total, dont celui de Renée Lafont). Le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a coupé toute aide financière aux associations mémorielles, qui sur le terrain, ont pourtant déjà contribué à exhumer et à identifier plusieurs centaines de corps, palliant, dans la mesure de leurs moyens, les carences de l’Etat. 

Envoyée spéciale en Espagne pour le compte du « Populaire », journal de la SFIO, Renée Lafont y conjugue à l’été 1936 ses sympathies républicaines et sa passion du métier de journaliste, ici « grand reporter ». Elle connaît l’Espagne mieux que quiconque. Elle y séjourna longtemps jusqu’à devenir une traductrice de premier plan. Le romancier Blasco Ibañez fera appel au talent de Renée notamment pour son essai visionnaire : « Ce que sera la République espagnole » (1925).

Diplômée de l’université, polyglotte, Renée Lafont cultive elle aussi avec talent l’écriture romanesque, et publie en 1910 « L’appel de la mer » et, en 1924, « Les forçats de la volupté ». En avance sur son temps, femme libre, la grande dame au chapeau d’époque, que le terrain ne rebute pas, a des convictions de gauche et antifascistes solides. Et du courage, il en faut, pour couvrir notamment la bataille de Cordoue... On sait que les franquistes appliquaient méthodiquement un « plan d’extermination » de l’Espagne « rouge ». L’anti-Espagne, selon eux. Renée serait membre de la 5e section SFIO de Paris, et l’on aurait même retrouvé sur elle des documents frappés de la faucille et du marteau.

En couvrant les combats de Cordoue, aux fronts instables, Renée Lafont, pour les uns entra par mégarde, pour les autres tomba dans une embuscade, en zone franquiste, à « las Cumbres de Alcolea », le 29 août 1936. Les trois occupants de la voiture, mitraillés, furent capturés, et Renée blessée à une jambe. A partir de là, les franquistes multiplient les mensonges. Le certificat de décès (du 18 novembre 1936) stipule qu’elle aurait succombé à une « anémie aiguë » provoquée par la perte de sang liée à sa blessure. Les franquistes inventent également l’histoire de la « Mata-Hari » du gouvernement républicain de Madrid, sous-entendu du Kominterm.

Toutes les archives confirment aujourd’hui qu’elle fut traduite devant un « tribunal » militaire franquiste, et condamnée à mort, en réalité reconnue coupable d’être femme, journaliste au regard indépendant et aiguisé ; de surcroît, amie des républicains. Condamnée à mort, elle sera fusillée le 1er septembre 1936, au lieu-dit « Arroyo del moro » ; le corps se trouverait au cimetière de la Salud de Cordoue. Dans le transfert collectif en camion précédant l’exécution, selon plusieurs témoins, à un carrefour, elle sauta du véhicule pour s’évader, mais fut reprise par ses bourreaux.

Le gouvernement de Léon Blum traita l’affaire avec une surprenante retenue. Le « Populaire » n’annonça sa mort que le 5 octobre 1936, dans une brève, en page 3. Le 34e Congrès de la SFIO réuni à Marseille, du 15 au 18 mai 1937, lui rendit un hommage discret. Au moment où Renée est assassinée, car il s’agit bien d’un assassinat politique, l’opinion politique française est préoccupée et accaparée par l’exécution d’un autre journaliste, un homme cette fois : Guy de Traversay (de « L’Intransigeant »). Une affaire médiatisée pour l’époque, alors que Renée et sa mémoire furent enfouies, silenciées, jusqu’à aujourd’hui. L’engagement de Renée plaide déjà pour l’égalité homme-femme, à tel point que les franquistes l’accusent même « d’être habillée en homme » lors de sa capture.

Le gouvernement français, et la France ne peuvent rester indifférents au sort de Renée Lafont. Nous nous sommes adressés au président de la République, afin qu’il fasse pression sur les autorités espagnoles, pour exhumer, identifier, récupérer et rapatrier les restes de cette femme admirable, hors du commun. Elle habitait à Paris, au 73 rue Cardinal Lemoine, près de la Sorbonne et du Panthéon. Etait-ce prémonitoire de l’hommage qu’elle mérite ? La France se doit d’assumer ses propres responsabilités, en honorant Renée Lafont et les valeurs d’engagement, de justice, de liberté, de libération de la femme, d’un journalisme sans fil à la patte... qu’elle portait crânement. Nous allons soumettre au président de la République l’appel de plus de 1 000 citoyens français, pour l’essentiel issus de l’exil républicain et antifasciste. La balle est dans son camp. 

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