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Face aux théories du complot sur YouTube, les « anticonspi » veulent « occuper le terrain »

La plate-forme de vidéos est accusée de faire la part belle aux complotistes. Des vidéastes ont décidé de les combattre.

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Publié le 13 février 2018 à 09h48, modifié le 14 février 2018 à 06h40

Temps de Lecture 56 min.

Capture d’écran de la vidéo « Ep05 OVNI : l’origine des soucoupes volantes (Le modèle socio-psychologique) », de la chaîne Youtube Hygiène Mentale

Sur YouTube, Sylvain Cavalier est le « DebunKer des étoiles ». Depuis juillet 2016, il lutte, avec sa chaîne aux 4 800 abonnés, contre les théories du complot. Un an et demi à fouiller pour retrouver l’origine de ces rumeurs et pour les détricoter. « Avant », il était lui-même complotiste.

« Ça avait commencé avec une vidéo sur YouTube il y a quelques années. Un documentaire conspi, “La Révélation des pyramides”, avait éveillé ma curiosité, à tel point que je m’étais intéressé à d’autres théories, notamment celles autour du 11-Septembre. Je croyais, par exemple, à la démolition contrôlée des tours [idée selon laquelle l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center aurait été causé par des explosifs et non par des avions de ligne]. »

C’est, paradoxalement, une énième vidéo conspirationniste qui l’a « sauvé ». Elle assure que personne n’a jamais mis un pied sur la Lune. Mais, cette fois, ce passionné d’astronomie refuse d’y croire. Il se rend alors compte que les techniques utilisées dans la vidéo pour le persuader sont les mêmes que celles qui l’avaient convaincu précédemment. Il commence à douter, fait un « travail d’introspection », s’inscrit en master de défense et sécurité internationale et prend conscience des mensonges qu’il a avalés.

Des millions de vues

Quelques mois plus tard, il lance sa chaîne YouTube, rejoignant le cercle des vidéastes spécialisés dans la démystification et « l’autodéfense intellectuelle ». Un cercle aux membres peu nombreux. Parmi eux, quelques Français, comme La Tronche en biais, Hygiène mentale, le Defakator ou Temps mort. A l’étranger, les principaux s’appellent Captain Disillusion, Myles Power ou Utopia Show. Ils comptent entre 25 000 et un million d’abonnés, pour un nombre de vues par vidéo oscillant entre 200 000 et 73 millions.

Face à eux, des chaînes qui comptent souvent moins d’abonnés, mais qui sont bien plus nombreuses. Leurs vidéos aussi peuvent être très populaires. Celle qui raconte que le président Emmanuel Macron est l’Antéchrist cumule plus de 340 000 vues. Celle qui « prouve » que la Terre est plate : 1,1 million de vues. Un montage expliquant qu’il n’y a pas eu d’avions lors des attentats du 11 septembre 2001 atteint même 46 millions de vues.

YouTube est régulièrement accusée de favoriser la prolifération de vidéos complotistes. En octobre 2017, le Wall Street Journal avait montré que certaines d’entre elles figuraient parmi les vidéos d’actualité mises en avant par la plate-forme. YouTube avait par la suite annoncé une modification de son algorithme. Pas suffisant, selon le Guardian, qui, le 2 février, soulignait que de fausses informations, y compris à connotation conspirationniste, demeuraient présentes sur le site et qu’elles apparaissaient dans les recommandations aux internautes. YouTube a contesté « la méthodologie, les données et surtout les conclusions » de cet article.

Trouver de bonnes sources

Pour les vidéastes anticonspirationnistes, le phénomène est bien réel et ils tentent de trouver une méthode efficace pour le contrer. A les écouter, la tâche est ardue. La première difficulté est de trouver de bonnes sources. Qu’ils soient étudiants, ingénieurs ou auteurs, peu sont des spécialistes. Certains choisissent donc de s’appuyer sur des intervenants, parfois controversés.

Sur la chaîne La Tronche en biais, l’analyse de la vidéo d’une anti-vaccin.

La Tronche en biais, par exemple, a invité Jacques Balthazart, un neurobiologiste, auteur de Biologie de l’homosexualité (Mardaga, 2010), dont les travaux sont critiqués par des confrères qui lui reprochent notamment d’avoir instrumentalisé et extrapolé des études faites sur des animaux pour les appliquer à l’être humain. Selon les auteurs de la chaîne YouTube, ce scientifique serait critiqué « pour les mauvaises raisons ».

D’autres s’appuient sur « des livres », « des publications scientifiques » et des « sources accessibles en ligne », explique Defakator. « Un vrai travail de recherche documentaire », qui prend plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et auquel tout le monde ne se plie pas. Résultat, des youtubeurs « anticonspi » se laissent parfois eux-mêmes embobiner. L’anglophone Sargon of Akkad, qui prétend vouloir « trouver la vérité » en utilisant des « arguments rationnels », a, par exemple, lui-même relayé une fausse information conspirationniste sur le 11 septembre 2001 dans l’une de ses vidéos, supprimée depuis.

Donner goût à « l’art du doute »

Autre problème : convaincre les internautes. « On s’est aperçu que le debunking [« démystification »] classique n’était pas très efficace, reconnaît à ce propos Vled Tapas – un pseudonyme –, le présentateur de La Tronche en biais. On arrive difficilement à faire changer les gens d’avis comme ça. En plus, le concept [des vidéos] fait qu’on donne d’abord l’idée fausse, puis on essaye de la déconstruire. Or, le risque, c’est de ne finalement retenir que la première idée. »

Le Debunker des étoiles partage à peu près le même sentiment :

« Moi-même, lorsque j’étais complotiste, soit je ne regardais pas ce genre de vidéos, soit je les regardais mais sans vraiment les écouter, juste pour aller mettre des commentaires rageurs en dessous. »

S’ils continuent malgré tout, c’est qu’ils sont persuadés qu’à force de publier, ils parviendront au moins à donner goût à « l’art du doute » plutôt qu’à « celui du soupçon », espère Thomas C. Durand, auteur pour La Tronche en biais. « L’idée, explique Sylvain Cavalier, c’est surtout d’habituer les internautes aux choses complexes, aux nuances. »

Le youtubeur encagoulé Defakator ajoute :

« Ce qui m’importe, c’est d’apporter des outils critiques. Je ne pense pas qu’un déclic s’opère juste en regardant une seule vidéo. C’est un long cheminement. [Mais] à ma grande satisfaction, j’ai déjà reçu quelques messages, parfois assez touchants, de personnes qui m’ont dit être reconnaissantes de leur avoir suffisamment aiguisé l’esprit critique pour se sortir de certaines croyances. »

Petites réussites contre pouces rouges

Ces petites réussites incitent Defakator à poursuivre sa tâche, même si ses adversaires ne sont « pas tendres ». Parce qu’il a voulu porter une cagoule pour se fabriquer un personnage de super-héros « un peu merdique », il se voit accusé de travailler pour la NASA ou « BigPharma », les grands laboratoires pharmaceutiques. Résultat : des « insultes », des « menaces ».

« Ils se sentent attaqués personnellement, même quand on ne s’en prend qu’à leurs idées », reconnaît Sylvain Cavalier, qui a accepté de donner son nom parce qu’il avait déjà été divulgué sur Internet par un adepte des théories du complot. « Après ma vidéo sur le Pizzagate [une théorie du complot sur un prétendu réseau pédophile dans l’entourage d’Hillary Clinton], un complotiste qui tient une chaîne YouTube m’a pris en grippe. Il a commencé à faire des vidéos de quarante minutes, voire une heure sur moi. Il disait que j’étais à la solde des sionistes. Je me suis retrouvé avec des dizaines et des dizaines de trolls qui venaient m’insulter ou me mettre des pouces rouges [sur YouTube, les internautes peuvent signifier qu’ils n’aiment pas une vidéo en cliquant sur un pouce pointé vers le bas]. Cela m’a valu de baisser en référencement dans YouTube, alors que ses vidéos restaient bien visibles. »

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Tout s’est finalement bien terminé pour lui, grâce à l’aide d’un autre vidéaste qui a appelé sa propre communauté à lui venir en aide. Mais le DebunKer des étoiles sait qu’il n’est pas à l’abri d’un autre raid : « On commence à occuper le terrain, et ça leur fait sans doute un peu peur. Tant mieux. »

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