Maggie Nelson : « Hétéro ou gay, quiconque a le désir de se consacrer à un enfant fait un excellent parent »

De plus en plus comparée à Susan Sontag ou Joan Didion, Maggie Nelson est la star montante de la non-fiction made in USA. Rencontre.

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Le dernier livre de Maggie Nelson, Les Argonautes

Le dernier livre de Maggie Nelson, Les Argonautes" ont été un best seller aux Etats-Unis. 

© Farrell/BFA/Shutterstoc/SIPA

Temps de lecture : 6 min

Dans Les Argonautes, best-seller aux États-Unis, Maggie Nelson raconte son histoire d'amour avec l'artiste transgenre Harry Dodge en mêlant fragments autobiographiques et réflexions générales. L'année où Harry, né femme, subissait des opérations pour changer de sexe, Maggie portait leur enfant, conçu grâce à la procréation médicalement assistée et au don de sperme.

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Le Point : Les lecteurs français vous ont découverte avec Une partie rouge, où vous revenez sur le meurtre de votre tante. Cette fois, vous parlez d'amour. L'expérience d'écriture a-t-elle été différente ?

Maggie Nelson : Écrire La Partie rouge a été une expérience difficile, mais très concentrée dans le temps. Je suis allée au procès, puisque l'affaire avait été rouverte 30 ans après, j'en suis revenue avec beaucoup de notes et pendant, trois ou quatre mois, je me suis consacrée à l'écriture du livre. Pour Les Argonautes, j'ai utilisé des années de notes et de réflexion ; ça n'a pas du tout été aussi douloureux. Au fond, je n'avais pas prévu de l'écrire. Par contre, cela a été difficile. J'étais habituée à écrire sur la cruauté, le mal… Écrire sur le bonheur sans avoir l'air d'une complète idiote a été un défi !

Votre manière de faire, c'est de raconter la grossesse ou la maternité comme rarement, c'est-à-dire de manière très directe, très concrète…

Oui, parce que l'expérience des femmes, depuis longtemps, est racontée par les hommes. De sorte que l'accouchement ou la grossesse ont été considérés comme des dimensions sans importance de la condition humaine – ce qui est assez ironique, non ? Cela participe d'une entreprise de sous-estimation patriarcale du savoir des femmes. Il y a si peu de choses écrites sur l'allaitement, par exemple, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin ! Quand j'ai été directement concernée, j'ai été stupéfaite de la difficulté à trouver la moindre information à ce sujet ! J'ai lu plusieurs récits d'accouchement, écrits par des hommes, qui décrivaient ce qui était arrivé à leurs femmes, et j'avais envie de dire : « Pardon, mais j'étais là, moi ! »

N'est-ce pas en train de changer ?

En partie, oui. Je pense que, pendant longtemps, le retour du refoulé est sorti sous la forme de récits comme ceux de Rachel Cusk, par exemple, sur l'idée transgressive de ne pas aimer la maternité, ou d'être une mauvaise mère… Mais moi, ma préoccupation était ailleurs : j'avais la chance d'être heureuse de ce que je vivais, mais comment le dire sans reproduire l'idée que c'était ainsi et seulement ainsi qu'une femme devait s'accomplir ? En d'autres termes, comment parler du bonheur maternel sans être dans une pensée patriarcale ?

Vous vous attaquez à des sommités académiques comme Jean-Luc Marion ou Slavoj Zizek, que vous jugez délirants dans leurs approches de la transsexualité, entre autres…

Parce que ces soi-disant génies masculins sortent des absurdités criantes, d'une ignorance crasse, sur les femmes, les homosexuels ou les trans ! Et j'ai le sentiment que, si vous êtes Nietzsche ou Zizek, les gens traitent ces délires avec indulgence. Du genre : « Oui, c'est bien dommage que Nietzche ait dit toutes ces choses sur les femmes, mais n'oublions pas que c'est un philosophe éblouissant ! » Ce qui est vrai, mais, si une femme disait quelque chose d'aussi dénué de sens sur les hommes, on dirait qu'elle est folle…

« De nombreux éditeurs m'avaient dit que c'était une expérience trop spécifique pour intéresser grand-monde, sans comprendre une seconde que chaque individu est un reflet de l'expérience humaine universelle… »

Comment avez-vous vécu le succès du livre ?

Ça a été une surprise assez incroyable. Le livre a été refusé par plusieurs éditeurs, qui m'ont tous dit que personne ne le lirait si je m'obstinais à citer autant de philosophes dès les premières pages… J'ai toujours refusé de changer. Je pense que beaucoup d'éditeurs partent du principe que le lectorat est stupide, et je ne pense pas que ce soit la bonne attitude.

Vous avez le sentiment que votre essai a été pris comme un emblème pour les droits LGBT. Dans un contexte de retour du traditionalisme ?

Peut-être, mais je dois préciser que, dans ce livre, je ne parle au nom de personne, si ce n'est le mien. Certains, c'est vrai, se sont trouvés représentés pour la première fois dans un livre et en ont été très heureux. Cela a aussi intéressé beaucoup de gens qui n'avaient jamais pensé à ce genre de questions. Pourtant, de nombreux éditeurs m'avaient dit que c'était une expérience trop spécifique pour intéresser grand-monde, sans comprendre une seconde que chaque individu est un reflet de l'expérience humaine universelle…

Votre fils a été conçu grâce à la procréation médicalement assistée, qui suscite des débats aujourd'hui en France

Je comprends le débat autour de la gestation pour autrui, mais pas vraiment celui qui concerne le don de sperme ou autre, j'avoue qu'il me dépasse… La forme la plus courante de don, vous pouvez la faire avec un ami dans votre salon : il suffit de mettre du sperme dans un récipient et de le transférer, et les gens le font depuis bien des années… J'imagine que certains sont très attachés à l'idée d'un père et d'une mère biologiques. Mais il y a beaucoup d'amour et d'attention autour d'un enfant né parce qu'il a été désiré, ce qu'on ne peut pas dire de beaucoup de naissances qui se produisent par accident. Dans mon expérience, quiconque a le désir de se consacrer à élever un enfant, qu'il soit hétéro ou gay, fait un excellent parent.

Qu'est-ce qui a changé pour la communauté LGBT depuis l'élection de Trump ?

D'énormes dégâts ont déjà eu lieu. Notamment du côté des trans (qui sont ceux qui sont le moins bien protégés par la loi). Quand Trump tweete que les trans ne peuvent pas être dans l'armée, ou qu'il fait passer une directive selon laquelle le corps médical aurait le droit ne pas les soigner pour des raisons religieuses. Sur le plan légal, ces mesures doivent encore être examinées, et nous verrons quelles en seront les conséquences réelles. Mais, culturellement, déclarer qu'il va de soi de s'en prendre à cette population déjà vulnérable a créé une atmosphère irrespirable et a donné un sentiment d'impunité à ceux qui les attaquent.

Quel conseil donnez-vous à vos étudiants en creative writing ?

Soyez courageux. Lisez beaucoup. Ne vous souciez pas de donner au monde ce qu'il croit vouloir.

Les Argonautes, de Maggie Nelson, traduit de l'anglais par Jean-Michel Théroux, 234 p., 19,50 euros.

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Commentaires (6)

  • 13mai1958

    Choisis sur modele et echangés... !?
    Le couple hetero joue bien au hasard des rencontres des genes.
    L'enfant ainsi concu naturellement n'est pas necessairement un
    objet de vitrine...
    mais c'est le fruit de deux identites complementaires unies
    ni reprise ni echange possible... Tout une histoire que rechercheront un jour ces enfants de... Parents inconnus.
    Non l'enfant de confort ne peut agrementer un couple gay... Fille ou garcon choisi sur catalogue ou location de ventres etrangers... ?
    Le cas des lesbiennes n'est pas symetrique car chacune peut engendrer... À moins que pour des raisons professionnelles elle refusent la " condition feminine " attroibuee avec l'invention de la sexualité complementaire par l'Evolution qui nous preserve du clonage... Et maintient une diversité protectrice et evolutive.

  • Petit malin

    " « Hétéro ou gay, quiconque a le DESIR de se consacrer à un enfant fait UN excellent parent ».
    Tout est dit en un phrase.
    "Le mieux" pour l'enfant est, a été et sera toujours d'avoir près de lui un père (homme) et une mère (femme).
    L'Evolution ne fixe pas les règles élémentaires de la vie pour des prunes !

    La question n'est pas le "désir" d'un parent gay mais ce qui est le mieux pour le développement de l'enfant. Le nombre d'enfants qui ont des problèmes après un divorce ou dans le cas d'une mère célibataire devrait confirmer ce "principe" raisonnable".
    Désolé, mais mon choix va à l'enfant pas au gay qui veulent se faire plaisir...

  • Platon Hic

    @Gilmi 44 : belle démonstration par votre commentaire !