Un animal de laboratoire, élevé dans un environnement aseptisé, est-il véritablement un bon modèle ? Dans un article paru le 7 février 2018, la célèbre revue Science s'interroge par la voix de David Grimm, l'un des rédacteurs de son magazine en ligne. Si le bien-être des primates non-humains est davantage pris en compte, notamment depuis les années 80, celui des poissons et des rongeurs est moins sujet à questionnements. Ces animaux évoluent généralement dans des aquariums ou des cages possédant le strict minimum, sans congénère. Et cela afin que, moins il y a de variables à prendre en compte durant une étude, plus les résultats de celle-ci seront précis. Mais l'article de Science vient jeter un pavé dans la mare : si finalement c'était tout l'inverse ? Si l'enrichissement des cages et des aquariums permettait aux chercheurs de se rapprocher des conditions réelles, c'est-à-dire de la vie... d'un humain lambda ?
Ne pas contrôler tous les facteurs afin de se rapprocher de la réalité
"Seulement un médicament sur 9 fonctionnant sur des modèles animaux fonctionne également durant les essais cliniques", rappelle David Grimm. Pour certains scientifiques, l'environnement de ces animaux est en partie responsable car il est bien trop éloigné de la réalité. Dans la nature, les souris par exemple cherchent leur nourriture, fuient les prédateurs, se déplacent et ont des interactions avec leurs congénères. Dans un article paru en mars 2017 dans la section Animal Lab de la revue Nature, des chercheurs américains expliquent : "Le changement de paradigme peut être caractérisé (...) comme une modification de la question 'qu'est-ce que nous avons contrôlé pour ce modèle ?' à 'qu'est-ce que nous avons choisi d'ignorer pour ce modèle et à quel prix ?'".
Et un nouveau point de vue tend à s'imposer : ces animaux ne doivent plus être traités comme du "matériel" mais plutôt comme des "patients", quitte à ce que certains facteurs ne soient pas réglés comme une horloge, les antécédents du malade ne l'étant pas non plus. Le bénéfice serait double : déjà, pour le bien-être animal mais aussi pour la recherche. Des études ont en effet prouvé qu'un rongeur qui possède la possibilité de jouer, d'interagir, d'explorer un environnement même limité et de se dépenser physiquement, ne réagit pas de la même manière aux expérimentations menées sur lui.
Par exemple, en 2000, le docteur Anton van Dellen et son équipe révélaient dans un article paru dans Nature que des souris transgéniques développant une forme de maladie de Huntington avaient vécu dans un "environnement stimulant et enrichi dès leur plus jeune âge ce qui avait permis de prévenir la perte du volume cérébral et de retarder l'apparition des troubles moteurs". L'étude des maladies neurodégénératives pourrait être grandement concernée par le manque de stimulation des animaux modèles. Autre exemple en 2010, des chercheurs assuraient dans la revue Cell "qu'une souris vivant dans un environnement enrichi présente des tumeurs réduites et une rémission accrue" par rapport aux autres. En outre, les animaux de laboratoire ont parfois un système immunitaire peu efficace et sont en surpoids ce qui peut fausser les résultats.
Une idée qui soulève quelques critiques
Mais des voix s'élèvent contre l'idée de l'enrichissement des cages et des aquariums. Des chercheurs s'inquiètent notamment de la reproductibilité des expériences si les animaux modèles ont tous vécu dans un environnement différent, avec un accès à des enrichissements variés. Se pose également la question des coûts de la mise en place dans les abris de la pléthore de souris présentes dans les laboratoires du monde entier, les budgets des chercheurs étant généralement assez serrés, notamment en France.
Pourtant, si les résultats obtenus durant les études sont de meilleure qualité, les laboratoires n'auraient pas à repartir sur de nouvelles pistes, ce qui potentiellement diminuerait les coûts. Cité par Science, Jonathan Godbout, chercheur à l'Université d’État de l’Ohio (Etats-Unis) assure que "dans un monde où les rongeurs ont autant de nourriture qu'ils veulent et n'ont pas à craindre d'être mangés par un prédateur, ils vivent déjà une vie sympa". L'absence de stress engendré par la présence d'un autre animal ou le manque de nourriture pourrait également biaisée les résultats. La question est donc : bien-être animal et efficacité d'une étude sont-ils véritablement liés ?