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Nature & environnement

Les sols gelés de l'hémisphère nord contiennent bien plus de mercure que prévu

Une nouvelle étude menée en Alaska a montré que les sols gelés des pergélisols (permafrost en anglais) de l'hémisphère Nord contiennent une quantité astronomique de mercure. Une véritable bombe à retardement pour les écosystèmes.

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Scientifiques du National Snow and Ice Data Center (NSIDC) creusant dans le permafrost, près de Deadhorse, Alaska.

Scientifiques du National Snow and Ice Data Center (NSIDC) creusant dans le pergélisol, près de Deadhorse, Alaska.

NSIDC

En forant les sols d'une douzaine de sites en Alaska entre 2004 et 2012, des chercheurs ont déduit que les sols gelés (pergélisols) de l'hémisphère nord contiennent une quantité stupéfiante de mercure : 1.656 kilotonnes, l'équivalent en volume de cinquante piscines olympiques. C'est presque deux fois plus que tout le mercure présent dans les sols, l'atmosphère et les océans de la planète réunis.

"Cette nouvelle étude montre que le pergélisol contient dix fois plus de mercure que ce que l’homme a relâché depuis 30 ans, une quantité beaucoup plus importante que ce qui avait été anticipé par des études antérieures" résume Kevin Schaefer, co-auteur de l'étude. Le pergélisol, un sol constamment gelé, recouvert d'une "couche active" qui ne dégèle qu'en été, garde emprisonné une grande quantité de matières organiques accumulées dans le sol depuis la dernière période glaciaire il y a 12.000 ans. Avec le réchauffement climatique, ce pergélisol va fondre et les matières organiques pourront alors se décomposer, relâchant dioxyde de carbone et méthane dans l'atmosphère ; cela amplifiera le réchauffement dont la combustion des ressources fossiles est à l'origine. "Ce scénario était déjà prévu, mais nous ne nous attendions pas à découvrir une plus grande menace cachée dans la toundra : d'énormes quantités de mercure naturel neuro-toxique, liés au carbone gelé, qui seront potentiellement relâchés avec la fonte du pergélisol". Une collaboration avec Paul Schuster, hydrologiste à la Surveillance Géologique des Etats-Unis, s'est rapidement faite pour tenter de quantifier ce mercure piégé dans ces sols.

Le plus grand réservoir de mercure de la planète

En 2004 débute alors un lourd et fastidieux travail de forage des sols de l'Alaska sur une surface de la taille du Connecticut (plus de 14.000 km2). Après huit années de carottages, les échantillons de sol recueillis sont analysés un à un en laboratoire. Les taux de mercure mesurés en Alaska sont extrapolés sur d'autres régions à pergélisol pour avoir une estimation globale de la quantité que cela représente dans l'hémisphère nord. Leurs résultats sont publiés le 6 février 2018 dans Geophysical Research Letter (GRL), le journal de l'Union Américaine des Géophysiciens, avec une conclusion glaçante : les sols gelés de l'hémisphère nord représentent le plus grand réservoir de mercure sur Terre. 

Répartition (en kilotonne) du mercure dans la planète. 793 kilotonnes (k.T) sont piégés dans le pergélisol (permafrost en anglais) inférieur, et 863 k.T dans la "couche active" du pergélisol qui fond régulièrement dans l'année. En comparaison, 454 kilotonnes se répartissent dans tous les autres sols de la Terre, 353 k.T dans les océans et seulement 5 k.T dans l'atmosphère. Crédit : Paul F. Schuster / GRL

Les dangers du mercure sur les écosystèmes et la santé humaine 

Les ravages du mercure sur l'homme ont été révélés par le tragique épisode d'intoxication dans la baie de Minamata. Dans le milieu du 20 ème siècle, les habitants d'une petite ville côtière du Japon sont touchés par une maladie mystérieuse. Plus tard on apprendra que celle-ci a été causée par les usines pétrochimiques des environs qui déversent leurs déchets dans la mer, la polluant au méthylmercure, forme la plus toxique du mercure. Par un processus de bio-accumulation, le polluant est ingéré par les poissons et les coquillages puis se concentre dans les tissus. Quand les pêcheurs viennent à manger ces animaux, l'organisme humain est alors intoxiqué et des troubles du système nerveux font irruption. En plus des symptômes comme les troubles mentaux, la paralysie, et des cas plus rares de coma convulsif, l'individu a des chances de mourir.  Dans la dernière décennie, la convention de Minamata sur le mercure a été signée par l'ONU pour contrôler juridiquement les échanges et l'utilisation du mercure dans les différentes entreprises internationales.

Une meilleure compréhension du cycle du mercure est nécessaire

La mise en lumière de cet important réservoir de mercure permettra aux scientifiques de mieux étudier son cycle naturel. "Cette découverte change complètement nos connaissances sur les parcours du mercure à travers les terres et les océans" explique Schaefer au National Snow and Ice Data Center (NSIDC). Les chercheurs ne se sont pas penchés sur la quantité des sols gelés qui fondront dans les années à venir, mais oriente leurs études vers cela, le défi étant de savoir "combien de mercure va être relâché, quand et où". L'équipe continue de collecter des échantillons de pergélisol autour du globe pour mieux affiner leurs estimations récemment publiées ; leurs résultats devraient paraître dans l'année.

Des études sur la fonte du pergélisol ont été réalisées par d'autres scientifiques dans l'optique d'estimer combien de méthane, autre composé chimique contribuant au réchauffement climatique, serait largué dans la nature. Les dernières simulations d'une équipe du Laboratoire National de Lawrence Berkeley aux Etats-Unis, estimait qu'entre 30% et 99% de la couche supérieure du pergélisol (couche active) pourraient fondre d’ici la fin du siècle.

Selon Paul Schuster "la seule façon de stopper la fonte du pergélisol et la potentielle libération du mercure stocké est de réduire, limiter puis arrêter les gaz à effet de serres résultant des activités humaines; une simple question de chimie et de physique".

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