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Cancer: le poids psychologique des dépistages génétiques

Marta Vitale, psychologue aux HUG, a suivi une centaine de personnes ayant demandé à tester leurs prédispositions génétiques à certains cancers. Dans son livre, elle analyse les répercussions psychiques de ce type de dépistage

Image d'illustration.   — © TEK IMAGE/SCIENCE PHOTO LIBRARY
Image d'illustration.   — © TEK IMAGE/SCIENCE PHOTO LIBRARY

Plus d’un an. C’est le temps qu’il aura fallu à une patiente atteinte d’un cancer du sein pour annoncer à sa famille qu’elle était porteuse d’une mutation génétique héréditaire la prédisposant à développer cette maladie. Longtemps, la crainte d’une réaction négative a prédominé. Puis le besoin d’avertir ses proches, possiblement concernés, a pris le dessus. «Si j’avais moi-même disposé de ces informations, il est probable que mon affection aurait pu être diagnostiquée antérieurement. J’espère surtout ne pas vous avoir alarmé…», écrit-elle dans une lettre à ses cousins.

Si la médecine prédictive se positionne depuis quelques années déjà comme un domaine incontournable des biotechnologies, l’analyse de ses répercussions psychiques, elle, est très récente. Marta Vitale, psychologue dans le service d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), a suivi, depuis 2008, plus de 125 sujets s’étant soumis à un dépistage génétique. De cette étude, elle en a tiré un livre tout juste paru aux Editions Erès, Psychanalyse et prédiction génétique du cancer, la certitude de la probabilité.

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Le Temps: Des récits que vous avez recueillis ressort une question lancinante: comment vivre avec l’ombre d’une maladie dont on ne sait si elle se déclarera un jour?

Marta Vitale: C’est vrai. On estime par exemple qu’une femme porteuse d’une prédisposition sur le gène BRCA1 ou BRCA2 aura un risque de présenter un cancer du sein de l’ordre de 60 à 85%, contre 10 à 12% dans la population générale. Il faut toutefois savoir que la plupart des personnes venant en consultation d’oncogénétique ont une histoire familiale fortement liée à la maladie. Très souvent, elles ont déjà dans l’idée d’être prédestinées. Si le dépistage génétique est négatif, cela donnera la possibilité, à la personne concernée, de sortir de ce mythe construit au fil des générations. Dans le cas contraire, il n’y aura pas nécessairement d’effets traumatiques, dans le sens où ce résultat viendra s’intégrer à cette histoire.

La découverte d’une mutation génétique peut donner une explication concrète, une raison à l’apparition du cancer

Vous relevez également des réactions très contrastées suite à l’annonce des résultats.

En effet. Pour certains, la présence d’une mutation est accueillie positivement. C’était le cas d’une patiente atteinte d’un cancer du côlon, à qui l’on ne cessait de répéter que sa maladie était due à son alimentation. La découverte d’une mutation génétique peut donner une explication concrète, une raison à l’apparition du cancer. D’autres réactions sont plus ambivalentes: une proposante [ainsi sont nommées les personnes qui passent un test génétique, ndlr] me confiait être à la fois soulagée de ne pas être porteuse, mais en même temps se sentir moins protégée. En revenant, en termes de risque, à la moyenne de la population générale, elle regrettait de ne pouvoir profiter des programmes de prévention destinés aux personnes porteuses.

Et puis il y a cette nécessaire implication des autres membres de la famille pouvant entraîner, chez certaines personnes, des difficultés sous-estimées…

Ce type de test est coûteux, c’est pourquoi on ne propose une prise de sang qu’à la personne présentant, dans une famille donnée, le plus de probabilité d’être porteuse d’une mutation génétique. Avant toute chose, lors de la première consultation, on demande au proposant de reconstruire l’arbre généalogique de sa famille, afin d’analyser le nombre de cas de cancers présents dans sa parenté. Cet exercice, qui matérialise l’histoire de la vie de la personne concernée, soulève des thèmes fondamentaux de l’existence: la naissance, l’héritage, la mort… et produit souvent des récits qui dépassent le discours strictement médical.

Dans certains cas, l’existence de ruptures ou de tabous familiaux oblige les proposants à construire des stratégies pour en savoir plus sur leurs antécédents familiaux. Parfois, cette démarche aboutit à une reconstruction de liens perdus, d’autres renoncent à aller plus loin.

La personne testée n’est en aucun cas tenue d’informer les autres membres de sa famille des résultats d’un examen génétique, même si ceux-ci pourraient avoir des conséquences sur leur santé

On sait que les probabilités d’une transmission héréditaire d’une mutation génétique s’élèvent à 50%. On imagine dès lors aisément qu’un résultat positif soit délicat à communiquer à la famille…

Un test génétique peut en effet avoir des conséquences douloureuses pour le reste de la famille, mais il représente aussi une opportunité d’anticiper la mise en place d’une surveillance et d’actes de prévention chez d’autres membres de la parentèle. Certaines personnes ressentent toutefois un fort sentiment de culpabilité. Elles ont l’impression d’avoir été égoïstes en demandant un tel dépistage, de ne pas avoir assez réfléchi aux conséquences que ces résultats pourraient avoir. Souvent, les proposants ont besoin d’un temps de réflexion – parfois plusieurs mois – afin de trouver les mots justes, le meilleur moyen de transmettre l’information.

Cette question de la circulation des résultats ouvre également des questions éthiques?

Absolument, car aujourd’hui en Suisse, et contrairement à d’autres pays comme la France, il est uniquement de la responsabilité du proposant de transmettre l’information. Un dépistage reste un acte privé, la personne testée n’est donc en aucun cas tenue d’informer les autres membres de sa famille des résultats d’un examen génétique, même si ceux-ci pourraient avoir des conséquences sur leur santé.