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"Nuit de la solidarité" à Paris : les méthodes du gouvernement pour cacher les SDF
Les associations protestent contre les consignes données par l'Etat pour procéder au comptage des SDF.
KENZO TRIBOUILLARD / AFP

"Nuit de la solidarité" à Paris : les méthodes du gouvernement pour cacher les SDF

Entourloupe

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Alors qu'Emmanuel Macron a fixé pour objectif "zéro SDF", le gouvernement a changé les méthodes de décompte des personnes sans abri. Les associations dénoncent une "manipulation" visant à travestir la réalité.

"Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues". Pour réaliser la promesse estivale d'Emmanuel Macron, le gouvernement avait deux possibilités : régler la situation sur le terrain... ou dans les statistiques. La première option étant évidemment plus compliquée, le ministère de la Cohésion des territoires a opté pour des changements dans la méthode de recensement des personnes sans abri. Et voilà comment, avec quelques tours de passe-passe dans des tableaux Excel, l'équipe d'Edouard Philippe peut plastronner dans les médias à coups de bons chiffres. Explications.

L'entourloupe a été mise au jour quand le ministre de la Cohésion des territoire, Julien Denormandie, a affirmé droit dans ses bottes le 30 janvier sur France Inter que seulement "une cinquantaine d'hommes isolés en Île-de-France" dormiraient dehors. Absurde, évidemment, de l'avis des associations concernées et même pour n'importe quel Parisien qui peut constater la réalité dans la rue. Quelques jours plus tard, invité de RTL, le ministre précise son estimation : il parlait en fait du "nombre de personnes qui appellent le Samu social de Paris en fin de journée et à qui on dit 'nous ne sommes pas en capacité de vous offrir un hébergement'". La nuance est de taille."Nous le chiffre que l'on a, c'est 50 SDF par jour dorment malgré eux dehors dans le froid", l'appuiera pourtant le député LREM Sylvain Maillard. Le message étant : si le gouvernement donne ce chiffre si bas, ce n'est pas par stratégie de communication ni pour minimiser un phénomène qu'il n'a pas su régler mais parce que, pauvre de lui, il ne dispose que de cette donnée. Sauf que ce n'est pas si simple...

C'est clairement un bidouillage des chiffres, on veut laisser croire que la situation s'améliore alors que ce n'est pas le cas !
Florent Gueguen

Le fameux chiffre de 50 sans-abri en Ile-de-France, comme l'ont expliqué le ministre et le député, correspond effectivement à des cas bien spécifiques : ce sont uniquement les personnes qui appellent le numéro spécial, le 115, après 19 heures et qui se voient refuser un hébergement faute de place dans les centres prévus à cet effet. Mais si les Samu sociaux ne remontent que cette donnée aux ministères, c'est à la demande... du gouvernement ! Comme le rapporte cette semaine Le canard enchaîné c'est en effet d'en haut qu'est venu l'ordre de ne répertorier que ces cas. Ce faisant, le gouvernement fait l'impasse sur celles et ceux que les bénévoles du Samu social rencontrent en maraude et qui n'ont pas pensé à joindre le 115, qui ne l'ont pas voulu pour diverses raisons ou qui sont tombés sur un numéro occupé. Une consigne relayée par les préfets que confirme à Marianne Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui regroupe les principaux gestionnaires du 115. "C'est clairement un bidouillage des chiffres peste-t-il, on veut laisser croire que la situation s'améliore alors que ce n'est pas le cas !".

Il y a les sans-abri "avérés" et "non-avérés"...

Mais ce n'est pas tout... Car appeler le 115 après 19 heures et se voir opposer une fin de non-recevoir ne suffit pas pour être répertorié comme sans-abri. Encore faut-il entrer dans une autre case : celle des cas "avérés à la rue". Or, si le SDF a réussi à s'abriter dans un parking, une gare ou une station de métro, il est considéré comme "non avéré à la rue" et ne figurera donc pas dans les statistiques qui devront être remontées à l'Etat, nous signale le Samu social. "C'est d'une absurdité totale, juge Eric Pliez, président du Samu social de Paris. Est-ce qu'une personne qui porte une casquette sera bientôt considérée comme 'logée' ?". Conclusion : les données rendues publiques dans les médias par le ministre ne permettent pas de mesurer l'évolution du problème et ne servent à rien, sinon à enjoliver les résultats produits par l'action gouvernementale. "Le gouvernement se défausse du problème, il semble se refuser à le traiter mais il laisse quand même croire qu'on se rapproche de l'objectif du président", insiste le directeur de la FAS.

Une communication permise par l'absence d'une réelle enquête statistique sur le sujet des SDF en France. Jusqu'à présent, deux indices étaient scrutés pour avoir une idée réaliste de leur nombre. Les enquêtes de l'Insee d'abord, dont la dernière date déjà de 2012 et qui recensait 28.000 sans-abri rien que dans l'agglomération parisienne. Puis le "baromètre du 115", réalisé depuis 2011 par la Fédération des acteurs de la solidarité en partenariat avec les Samu sociaux. Un outil qui pourrait disparaître, selon Florent Guegen. Et là aussi, le gouvernement n'y est pas étranger : "L'Etat impose à chaque 115 un nouveau logiciel unique pour permettre l'analyse des données des appelants, nous explique-t-il. Jusqu'à cet hiver, avec l'accord de l'Etat, nous utilisions les données récoltées par chaque Samu pour faire notre propre baromètre. Mais désormais, l'accès à ces données centralisées nous est interdit, ce qui accentue en outre le risque de manipulation des données". Au ministère du Logement, on nous fait savoir que des discussions sont en cours pour rétablir cet accès. Car enfin, qui mieux que les acteurs de terrain peut évaluer le nombre de personnes à la rue ?

Une "Nuit de la solidarité" organisée à Paris

Mise à jour de l'article

Face à cette farce des chiffres, la mairie de Paris a décidé d'organiser son propre comptage ce jeudi 15 février. Selon le Samu social, 2.500 à 3.000 personnes dorment chaque nuit dans les rues de la capitale ou dans des lieux non prévus pour l'habitation, mais aucune étude récente ne pose de diagnostic chiffré précis. A l'occasion de cette "Nuit de la solidarité", entre 20 heures et 1 heure du matin, plus de 300 équipes de bénévoles, constituées de 1.700 Parisiens qui ont répondu à l'appel, auront pour mission de décompter le nombre de personnes à la rue. Seront-ils plus de 50 ? Julien Denormandie retient son souffle...

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne