La femme de Tariq Ramadan sort de son silence

Bernadette Sauvaget, de Libération

La justice a reporté jeudi l’examen de la demande de liberté de l’islamologue, accusé de deux viols, le temps d’une expertise médicale. En réaction, le cercle de ses soutiens s’élargit.


La cour d’appel de Paris s’est prononcée jeudi après-midi : pour le moment, Tariq Ramadan reste en prison. Au moins encore une semaine. Le temps d’une expertise médicale demandée par la justice. Selon ses avocats, le théologien musulman, âgé de 55 ans et mis en examen pour «viols» le 2 février, a vu son état de santé sérieusement se dégrader. La cour d’appel statuera le 22 février sur sa demande de remise en liberté.

Une chose est sûre : le timing imposé par les défenseurs de Ramadan s’est révélé diablement efficace. Mercredi après-midi, l’information selon laquelle Tariq Ramadan souffrirait d’une sclérose en plaques a fait l’effet d’une petite bombe. Au même moment, ses partisans diffusaient sur les réseaux sociaux une vidéo de son épouse. Face caméra, Iman Ramadan, le visage penchant légèrement à droite, paraît accablée, parle d’une voix lasse. «Je crois que Tariq a été désigné comme coupable depuis le début», lâche-t-elle. Elle s’alarme de son état de santé, récuse les accusations portées contre lui. «Le portrait que l’on en a fait ne correspond pas à ce que je connais de lui, à ce que sa famille connaît de lui», ajoute-t-elle. Soit. Il demeure que les rumeurs sur une double vie du prédicateur ont commencé à circuler dès 2012. Et certaines de ses anciennes conquêtes affirment avoir prévenu son entourage.

Emblème

L’intervention d’Iman Ramadan a surpris, signale Libération. Femme de l’ombre, cette Franco-Suisse aux racines bretonnes, avec laquelle il a quatre enfants, n’était jamais intervenue en public. Hormis une interview donnée il y a une quinzaine d’années, à un journal de l’île Maurice. Avec cette vidéo d’à peine une dizaine de minutes, Iman Ramadan est devenue immédiatement l’emblème de FreeTariq Campaign, la campagne de soutien au prédicateur suisse lancée en fin de semaine dernière. De son côté, le théologien dément toujours catégoriquement les accusations dont il fait l’objet. «Les faits dont vous me parlez ne m’évoquent rien»,aurait-il déclaré lors de son audition, selon Europe 1.

La vidéo d’Iman Ramadan a été largement relayée par la muslimosphère militante. Le très efficace Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) l’a postée sur son site, en l’assortissant d’un très bref communiqué : «Dans un Etat de droit, il est temps que la justice reprenne son cours à l’abri des pressions médiatiques et qu’elle s’exerce en toute impartialité, équité et dignité», réclame l’association. S’il n’est pas explicite, le message est clair : soutien au théologien.

Ce faisant, l’affaire Ramadan prend un tournant. Comme beaucoup d’autres, le CCIF était en effet demeuré silencieux depuis le dépôt des deux plaintes, fin octobre, à l’encontre du prédicateur. Les activistes «Al Kanz» et Marwan Muhammad, deux personnalités très écoutées parmi les jeunes générations, ont eux aussi déploré le maintien en détention du théologien. Musulmans de France (l’ex-UOIF, la branche française des Frères musulmans) a elle aussi embrayé, sortant de sa prudente réserve. L’organisation prend résolument fait et cause pour Tariq Ramadan, s’érigeant même en témoin de moralité. «Durant ces décennies, Musulmans de France n’a jamais constaté la moindre immoralité ou contradiction entre les valeurs promues par Tariq Ramadan et son comportement», affirme-t-elle dans un communiqué, rappelant qu’elle l’a régulièrement invité à son très populaire rassemblement du Bourget. Il y a dix jours, son président Amar Lasfar, interrogé sur la chaîne CNews, s’était montré nettement plus distant, encourageant même les femmes qui auraient pu être victimes à se manifester.

Détention

A partir de cette campagne, un revirement de l’opinion musulmane pourrait s’opérer. Au moins dans les franges militantes de la lutte contre l’islamophobie et les réseaux fréristes. Si elles ne recouvrent pas l’ensemble des milieux musulmans en France, elles sont, quoi qu’il en soit, les mieux organisées et peuvent peser.

Le placement en détention de Tariq Ramadan et la «perte» d’une pièce (la réservation d’un billet d’avion) dans le dossier judiciaire sont à l’origine de ce revirement. Les soutiens du prédicateur les ont habilement exploitées, lançant le thème d’un acharnement médiatique, judiciaire et politique à l’encontre de leur mentor. Bref, ils dénoncent le «deux poids, deux mesures» d’une «chasse aux sorcières raciste», selon les mots de Marwan Muhammad - qui apporte par ailleurs son soutien aux victimes de violences sexuelles. Déjà, sur les réseaux sociaux, certains envisagent l’organisation d’une manifestation.

Pour obtenir la remise en liberté sous contrôle judiciaire de leur client, les avocats de Ramadan ont proposé jeudi la remise de son passeport suisse, un pointage quotidien au commissariat, une interdiction de quitter le territoire et le versement d’une caution de 50 000 euros. A défaut d’obtenir satisfaction, ils auront remis une pièce dans la machine sur le thème de l’acharnement judiciaire.

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