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BURUNDI

Burundi : un responsable du parti au pouvoir appelle à "frapper" les opposants

Captures d'écran de la vidéo dans laquelle un adminstratuer communal appelle à "frapper à la tête" les opposans au projet de référendum constitutionnel.
Captures d'écran de la vidéo dans laquelle un adminstratuer communal appelle à "frapper à la tête" les opposans au projet de référendum constitutionnel.
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Une courte vidéo circule sur les réseaux sociaux au Burundi depuis le mardi 13 février : on y voit un administrateur territorial, membre du parti au pouvoir, s’adresser à quelques hommes et les appeler à "frapper à la tête "et "ligoter "les personnes qui s’opposeraient au projet de référendum, lequel prévoit la possibilité pour le président actuel de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034.

La vidéo dure 25 secondes. On y voit Désiré Bigirimana, administrateur de la commune de Gashoho, au nord du pays, s’adresser à plusieurs dizaines d’hommes et de femmes. Le Burundi est divisé en 18 provinces, elles-mêmes divisées en communes, dont la quasi-totalité est aujourd’hui gérée par des membres du CNDD-FDD, le parti du président Pierre Nkurunziza. L’administrateur parle en kirundi, et dit :  

Si l'on vous a trompé avec ce qui s'est passé en 2015, vous êtes [désormais] conscients de ce qui s'est passé. Celui qui viendra vous dire ce qui va à l’encontre du "oui" [au référendum] ou de Pita [Pierre Nkurunziza], frappez-le sur la tête et appelez-moi quand vous l'aurez ligoté.

Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24 pour savoir dans quel contexte et où ces propos avaient été tenus, Désiré Bigirimana a refusé de nous répondre.

Un de nos Observateurs burundais précise : "La traduction exacte est subtile, dans les mots choisis, il y a l’idée d’utiliser un objet, quelque chose pour frapper la tête, mais on ne peut pas vraiment formuler ça en français".

Pour comprendre les propos, il faut les replacer dans le contexte politique burundais : le pays est plongé depuis avril 2015 dans une violente crise politique, provoquée par l’annonce de la candidature à sa propre succession du président Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005. La Constitution limitait pourtant le nombre de mandats présidentiels à deux consécutifs. Finalement réélu pour cinq ans, Pierre Nkurunziza a annoncé en décembre dernier l’organisation, en mai, d’un référendum visant à modifier la Constitution et qui lui permettrait de briguer deux mandats consécutifs de sept ans, à partir de 2020.

Un autre de nos Observateurs au Burundi, qui suit la situation politique de son pays de près et requiert l’anonymat, décrypte ces images :

"Il y a aussi assurément un effet de zèle"

Dans sa référence aux évènements de 2015, il faut comprendre ceci : quand il dit aux gens qu’ils ont été trompés à l’époque, ça veut dire que selon lui, les opposants au troisième mandat de Nkurunziza se sont servis de cette cause pour tenter un coup d’Etat et renverser le pouvoir [le 13 mai 2015, une tentative de coup d’Etat avait échoué, NDLR]. Et donc ce que veut dire cet administrateur, c’est qu’il ne faut pas laisser les opposants au référendum de mai prochain s’exprimer car ils chercheraient soi-disant également à l’instrumentaliser.

LIRE SUR LES OBSERVATEURS : "Malgré l’incertitude, les Burundais ont beaucoup d’espoir "

Ce n’est pas la première fois qu’un responsable du parti au pouvoir emploie des mots très violents de la sorte, et ce genre de comportement incontrôlé est très dangereux, parce qu’il s’adresse à des personnes qui n’ont pas nécessairement l’éducation nécessaire pour faire la part des choses et peuvent prendre ses invectives au premier degré. Souvent, ce genre de responsables locaux ne sont pas conscients du rang qu’ils occupent et de leurs responsabilités.

"Il y en a qui dans leur tête n’ont jamais quitté le maquis"

Il y a aussi assurément un effet de zèle : c’est un petit responsable local qui a probablement envie de monter les échelons et pense sans doute se faire bien voir en étant aussi virulent. Ce genre de vocabulaire violent est de toute façon présent dans le discours du CNDD-FDD. C’est un parti fondé sur une ancienne guérilla, nombre de ses responsables ont été éduqués à la politique dans une culture de violence. Il y en a qui dans leur tête n’ont jamais quitté le maquis.

J’ignore s’il sera sanctionné. En avril 2017, des membres des Imbonerakure, la section jeune du CNDD-FFD [qualifiée de milice par l’ONU] avaient appelé à "engrosser les opposantes", donc au viol. Officiellement, ils ont été sanctionnés Mais personne n’a pu vérifier.

>> LIRE SUR LES OBSERVATUERS : Au Burundi, des jeunes proches du pouvoir appellent à "engrosser les opposantes"

Notre rédaction a pu s’entretenir avec le premier vice-président du Burundi, Gaston Sindimwo. Il dit ne pas avoir vu la vidéo, mais déclare :

Il faut d’abord vérifier la véracité de ces propos et le contexte, puis sanctionner s’il faut sanctionner. Ce n’est pas normal qu’un administrateur appelle des gens à frapper les autres, c’est inacceptable. On doit faire des rappels à l’ordre face aux excès de zèle. Il ne faut pas que le moindre détail puisse entacher le scrutin.

Notre rédaction lui adressé la vidéo.

Un autre responsable appelle à "casser les dents" des opposants

Les déclarations de l’administrateur de Gashoho interviennent peu après d’autres propos très violents tenus par un responsable du parti au pouvoir, le 3 février dernier, Revocat Ruberandinzi, adjoint au maire de la localité de Butihinda au nord-est du Burundi, par ailleurs chef de la branche locale du CNDD-FDD. Il avait menacé devant des résidents de "casser les dents" de ceux qui feraient campagne pour le "non" au référendum. "Celui que vous allez attraper en train de faire campagne pour le non, livrez-le à nous" avait-il également demandé aux résidents de sa ville auxquels il s’adressait.

En décembre, le gouvernement burundais a lancé une "campagne d'explication" autour de la réforme constitutionnelle. La campagne officielle ne commencera que deux semaines avant le référendum. Il est jusque-là interdit à toute personne de défendre le oui ou le non.

Depuis avril 2015, la crise politique a fait au moins 1.200 morts et plus de 400.000 déplacés, selon l’ONU et des ONG.

Retrouvez tous nos articles sur les tensions au Burundi ici.  

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