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Réforme de la SNCF: s'en prendre au statut des cheminots, c'est le "chiffon rouge absolu"

Un TGV à Nantes, en novembre 2017.

Un TGV à Nantes, en novembre 2017. - LOIC VENANCE / AFP

Dans la foulée de la remise du rapport Spinetta jeudi, le gouvernement a annoncé sa volonté d’ouvrir des négociations dès la semaine prochaine sur la réforme du système ferroviaire français. Et notamment autour du statut des cheminots.

"Le rapport démontre sans ambiguïté la nécessité et l’urgence d’engager sans tarder une refondation de notre système ferroviaire". Edouard Philippe n’y est pas allé par quatre chemins. Dès la semaine prochaine, le gouvernement entamera des consultations sur la base du rapport Spinetta. Celui-ci balaie quelques mesures pour tenter d’adapter la SNCF à l’ouverture à la concurrence qui approche: un nouveau statut pour la compagnie, un mécanisme d’allègement de sa dette, la fermeture de certaines petites lignes…

Mais le symbole, c’est la fin programmée du fameux "statut des cheminots". Le rapport Spinetta suggère en effet que "dans le cadre de la loi, il pourrait être mis un terme au recrutement au statut des nouveaux embauchés, en préservant strictement les droits individuels des personnes en bénéficiant. Les nouveaux recrutements devront s’opérer (…) dans un cadre conventionnel à parachever". En clair, ceux qui bénéficient encore du statut le gardent, ceux arrivent ne l'auront plus, comme La Poste en son temps.

Le statut des cheminots est "un anachronisme"

Toucher au fameux "statut des cheminots", "c’est le chiffon rouge absolu dans l’histoire des chemins de fer en France", prévient Georges Ribeill, ancien directeur de recherches au laboratoire LATTS des Ponts et Chaussées, spécialiste des cheminots. "Avant 1914, les compagnies avaient inventé pour les agents exposés à un métier difficile un système spécifique d’avantages sociaux: garantie de l’emploi, retraite, caisse de secours et de maladie. Tout ça pour conserver cette main d’œuvre coûteuse à former. En gros, ce statut est encore en fonctionnement aujourd’hui", raconte-t-il.

Près d’un siècle plus tard, et même si ce statut a évidemment connu des changements, il n’est plus tenable en l’état souligne Yves Crozet, spécialiste du transport ferroviaire et membre du Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET). "C’est un anachronisme. Sur les 155.000 salariés de la SNCF, 90% bénéficient de ce statut. Ils sont payés relativement cher, et en plus ils sont plus nombreux qu’ailleurs. La Deutsche Bahn fait circuler, par jour et par salarié,2 0% à 30% de trains en plus que la SNCF. Le statut entraîne des sureffectifs, qui sont en plus plutôt mieux payés que dans les autres pays".

Aujourd’hui, pour bénéficier du statut "d’agent du cadre permanent", il faut avoir moins de 30 ans au moment de l’embauche, et valider un stage d’essai d’un an pour les salariés non cadres, et de deux ans et demi pour les jeunes cadres. Dès lors, vous entrez dans le fameux "statut du cheminot", dont voici les principaux avantages, qui varient selon le métier que vous exercez à la SNCF.

  • Temps de travail: Un conducteur de train travaille 7h48 par jour, pour 28 jours de congés payés et 22 jours de RTT. Un employé travaillant dans une direction régionale travaille 7h25 par jour, pour 28 jours de congés payés et 10 jours de RTT. Un agent en établissement qui travaille la nuit ou au 3/8 travaille 8h02 par jour, pour 28 jours de congés payés et 28 jours de RTT.
  • Salaires: Selon la SNCF, le salaire brut moyen en 2014 était de 3090 euros bruts pour un temps complet. Un conducteur en début de carrière gagne 2062 euros bruts par mois. Ses primes représentent en moyenne 11% de ce montant. Un conducteur en milieu de carrière gagne 2896 euros bruts. Plus de six cheminots sur dix touchent moins de 3000 euros bruts par mois, assure la SNCF, dont la grille salariale détaillée est accessible en ligne.
  • Retraites: Le statut de cheminot vous affilie au régime spécial géré par la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF (CPR-SNCF). Un agent "sédentaire" né avant 1962 peut partir à la retraite à 55 ans (57 s'il est né après 1967). Un agent de conduite né avant 1967 peut partir à la retraite à 50 ans (52 s'il est né après 1972). La pension à taux plein correspond à 75% du salaire des six derniers mois, en ayant travaillé un nombre de trimestres compris entre 151 et 172 selon les cas.
  • Sécurité sociale: La SNCF indique que "le réseau de médecine de soins de la SNCF (…) permet de consulter des généralistes et des spécialistes dans les cabinets médicaux SNCF et des médecins de villes agréés. Les consultations sont gratuites." Aucun frais n'est à avancer et "les salariés peuvent par ailleurs souscrire aux mutuelles de leur choix".
  • Sécurité de l’emploi: Le statut des cheminots leur garantit la sécurité de l’emploi tout au long de leur carrière.
  • Avantages en nature: Le statut des cheminots donne également droit à quelques avantages en nature. Si la prime de charbon n’existe plus depuis une éternité, il existe ce qu’on appelle "les facilités de circulation", même pour les retraités. Les enfants des agents SNCF "circulent pour 10% du prix du billet" tandis que "les parents et les beaux-parents disposent de quatre billets gratuits par an". La SNCF peut également mettre à disposition de ses agents "des logements en location, dont une partie en loyer social".

"La disparition du statut imposerait des contreparties pour les opérationnels mobilisables 24h/24"

Pour Georges Ribeill, ces avantages en nature sont caducs aujourd’hui. "Les facilités de circulation, c’était parce que les cheminots étaient des déracinés de la campagne, et qu'il fallait aller voir pépé et mémé toutes les semaines pour ramener la salade, les pommes de terre et la bonbonne de vin. Il y a un côté obsolète dans certains avantages. Mais la disparition du statut imposerait des contreparties pour les opérationnels mobilisables 24h/24, exposés aux coups durs. Depuis les années 70-80, quand la SNCF commence à vouloir faire de la productivité, ce statut va s’avérer un corset institutionnel qui bloque la gestion souple que pratique les concurrents du rail. Aujourd’hui, la SNCF se dépatouille avec ça, en recrutant des contractuels, pour contourner le statut, ou en créant des filiales".

Pour Yves Crozet, "le fond du problème, ce n’est pas tellement le statut, mais ce qui y est attaché". "On peut toucher à certaines règles du jeu sans forcément toucher au statut lui-même: Si vous avez un CDI, votre patron peut vous le laisser, tout en vous demandant de la souplesse sur le travail le week-end. C’est pour ça que je suis étonné qu’on s'en prenne au statut. Ce n’est pas en attaquant les symboles que le gouvernement a des chances de gagner avec les syndicats. Ou alors, on a demandé à Spinetta de faire de la surenchère là-dessus pour que le gouvernement puisse se montrer plus sage. En France, vous avez plus d’un tiers de salariés qui sont peu ou prou des bénéficiaires d’un statut, d’une façon ou d’une autre. Donc toucher à la SNCF, ce n’est pas seulement toucher à une minorité de gens protégés. C’est symboliquement dire à tout un tas de gens que demain, ça peut leur arriver".

Antoine Maes