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Il y a 50 ans, les femmes pouvaient enfin ouvrir un compte en banque sans l'autorisation de leur mari

Compte en banque
Le 13 juillet 1965 était promulguée la loi sur la réforme des régimes matrimoniaux, qui rend effective la capacité juridique des femmes mariées. Photo Getty Images

Le 13 juillet 1965, les députés français adoptaient la loi sur la réforme des régimes matrimoniaux, rendant effective la capacité juridique de la femme mariée. Depuis, celle-ci peut ouvrir un compte en banque et signer un contrat de travail sans avoir besoin du consentement marital. À 87 ans, la militante féministe Thérèse Clerc se souvient du jour où elle a appris la nouvelle.

En 1965, Thérèse Clerc est mariée depuis dix-sept ans et a déjà mis au monde quatre enfants. Le 13 juillet de cette année-là, c'est dans le journal qu'elle apprend la réforme des régimes matrimoniaux, votée à l'Assemblée nationale, réforme qui met fin à l'incapacité juridique de l'épouse présente dans le Code napoléonien. La nouvelle loi introduit le régime de la communauté réduite aux acquêts, qui devient le régime légal en l'absence de contrat de mariage et signifie que chacun des époux peut administrer ses biens acquis avant le mariage et ses revenus personnels. Le mari reste l'administrateur de la communauté, mais il doit désormais rendre compte de la gestion des biens communs à sa femme. Le texte consacre donc l'autonomie financière des femmes mariées, qui peuvent dès lors exercer une profession sans l'accord de leur mari, ouvrir un compte bancaire en leur nom propre et disposer de leurs biens.

"Je m'en souviens très bien", explique celle qui deviendra une militante de tous les combats féministes, notamment au sein du Mouvement de libération de l'avortement et de la contraception (Mlac) et qui pratiquera des IVG clandestines sur la table de son salon. Peu de temps après l'annonce, Thérèse Clerc s'empresse d'ouvrir un compte sur lequel seront versées les allocations familiales, jusque-là virées sur le compte de son mari. " Dès que j'ai eu mon propre chéquier, j'ai envoyé un beau courrier aux services des allocations, en disant que j'avais besoin de cet argent pour "nipper" mes enfants et en citant la nouvelle loi. J'ai pensé qu'il y aurait des enquêtes et de la paperasse, mais le mois suivant, je les ai bien reçues. Mon mari, tout étonné de ne pas les voir tomber, m'a interrogée et je lui ai annoncé que je les avais fait virer sur mon compte. Ça a été l'une des disputes les plus homériques de toute notre histoire !" s'amuse celle qui a divorcé en 1969 et fondé, plus tard, la maison de retraite pour femmes des Babayagas.

"Il valait mieux être célibataire"

À l'époque, il existe aussi des préposés aux allocations familiales délivrant l'argent en liquide dans les foyers, argent souvent réceptionné par les mères et s'ajoutant aux deniers remis par le mari pour les dépenses courantes. Les femmes non salariées se débrouillent alors avec " cette sorte de rémunération de la maternité", analyse la professeure d'histoire contemporaine du genre Sylvie Chaperon. Les femmes mariées qui travaillent n'ont guère la vie plus facile. Car si la libre disposition du salaire pour les femmes mariées a été adoptée en 1907, l'application de la loi reste aléatoire et les banquiers ou les notaires continuent de réclamer une autorisation maritale. " Du point de vue du droit, il valait mieux être une femme célibataire ", confirme Sylvie Chaperon.

Chez Thérèse Clerc, au mari les factures et les traites servant à rembourser l'emprunt contracté pour l'achat de l'appartement, à elle l'entretien des enfants. Il s'agissait alors de gérer au mieux ce petit pécule tout en justifiant chaque achat. La mère savait que le mois précédant la rentrée scolaire serait plus maigre que les autres en raison des achats de fournitures scolaires. "J'ai connu cette époque où les hommes donnaient tant par mois à leur femme, comme à une prostituée, en disant : "Tu feras attention". Il fallait que je fasse des choses extrêmement gentilles... et aussi que je rende des comptes sur les dépenses", lâche-t-elle. Celle qui a été modiste avant de se marier, puis vendeuse dans un grand magasin après son divorce, se souvient des stratégies opérées par certaines femmes pour disposer d'un peu plus de liquidités. "Les femmes se faisaient acheter des choses par leur amant. Ou bien le mari signait un chèque en blanc pour les achats du foyer et la femme rapportait la marchandise trois jours plus tard pour récupérer l'argent en liquide. C'étaient des mœurs qui vous condamnaient au trafic et au mensonge", dit-elle.

"Le point de départ d'une idéologie de libération des femmes"

Une femme et son fils au guichet d'une banque
"La notion de "chef de famille" restera encore longtemps inscrite dans la loi, explique l'historienne Sylvie Chaperon. La notion sera remplacée, le 4 juin 1970, par celle d'"autorité parentale conjointe"." Photo Getty Images

Pour la militante, l'adoption de la loi du 13 juillet 1965 a été déterminante : "Cela vous donne le goût d'une certaine indépendance financière et cela m'a donné envie de retravailler. " La réforme alimente ses prises de parole dans les cercles d'action catholique qu'elle fréquente et dans lesquels elle discute avec d'autres femmes du "manque de liberté" dans la vie conjugale. Selon elle, le texte a même préparé la structuration du mouvement féministe de la fin des années 1960 et a été le "point de départ d'une véritable idéologie de libération des femmes".

À l'époque, la réforme ne fait pourtant pas autant de bruit que le fera l'adoption de la loi Veil dix ans plus tard. "La réforme de 1965 concernait uniquement les femmes mariées non salariées. Cela faisait belle lurette qu'on en parlait et ce n'était pas un sujet majeur. Par ailleurs, la notion de "chef de famille" restera encore longtemps inscrite dans la loi ", commente l'historienne Sylvie Chaperon. La notion sera remplacée, le 4 juin 1970, par celle d'" autorité parentale conjointe". Le combat est néanmoins loin d'être gagné partout. À ce jour, une quinzaine de pays interdisent encore aux femmes de travailler sans l'autorisation de leur mari.

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