L’inculpation par le procureur spécial Robert S. Mueller de treize Russes associés à une “usine à trolls” de Saint-Pétersbourg, accusés d’ingérence dans la présidentielle américaine, a comme un goût de revanche pour la poignée d’anciens employés qui ont déjà témoigné de ce qu’ils avaient vécu.
L’un d’entre eux, Marat Mindiyarov, un enseignant de formation âgé de 43 ans, a accepté de s’entretenir avec nous depuis son village dans les environs de Saint-Pétersbourg. Il travaillait dans un département spécialisé sur des contenus destinés aux Russes. En décembre 2014, il a passé un test pour être affecté au département Facebook de l’usine, chargé de cibler le marché américain. À cette occasion, raconte-t-il, on lui a demandé de rédiger un essai sur Hillary Clinton.

Quelle a été votre première réaction quand vous avez entendu parler de l’inculpation ?

Je félicite l’Amérique d’avoir fait quelque chose – d’avoir choisi l’inculpation, au lieu de se contenter d’écrire sur le sujet. Félicitations à Robert Mueller.

Comment vous êtes-vous retrouvé dans l’usine à trolls ?

J’y ai travaillé de novembre 2014 à février 2015. C’est complètement par accident que je m’y suis retrouvé – à l’époque, j’étais sans emploi, et ils proposaient du travail à deux pas de chez moi. J’y suis donc allé. J’ai rapidement compris que c’était le genre d’endroit où je ne voudrais rester que le temps de toucher mon salaire pour pouvoir partir.

Quelle était l’ambiance à l’intérieur ?

Quand je suis arrivé, j’ai tout de suite eu l’impression d’être un personnage de 1984, de George Orwell – un endroit où il faut écrire que noir, c’est blanc, et blanc, c’est noir. Le premier sentiment que l’on a, quand on se retrouve là, c’est d’être dans une espèce d’usine qui a transformé le fait de dire des mensonges, des contrevérités, en une chaîne de montage industrielle. Le volume est colossal – il y avait beaucoup de gens, 300 à 400, et ils écrivaient tous des contrevérités. On se serait cru dans Orwell.

Quel genre de contrevérités écriviez-vous ?

Mes contrevérités prenaient la forme de commentaires. Je travaillais au département des commentaires – je devais “commenter” les informations. Personne ne me demandait mon opinion. Mes opinions, elles étaient déjà rédigées à l’avance, et je devais écrire avec mes propres mots ce qu’