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Anaïs Nin, artiste de l’intime

Elisabeth Barillé
Publié le 29/01/2009 à 07:02 Modifié le 01/06/2015 à 18:14
Anaïs Nin, artiste de l’intime

Amoureuse passionnée, à l’écoute de son inconscient, Anaïs Nin a livré son intimité avec audace et profondeur dans son Journal. Elle a osé, la première, lever le voile sur les mystères du désir féminin. En 1966, un éditeur new-yorkais publie le premier tome du journal intime d’une inconnue de 63 printemps au visage de poupée japonaise : Anaïs Nin. Le succès est colossal : des millions de lectrices se passionnent pour cette vie dévorée par le démon de l’amour et de l’art. Exilée de France en Amérique à la suite du divorce de ses parents, Anaïs vit une seconde naissance en 1924, quand elle revient dans l’Hexagone avec son mari, muté au sein de la filiale parisienne de la National City Bank. Son aversion pour la vie domestique conduit la jeune femme à se réfugier dans l’écriture. Son essai sur D. H. Lawrence, l’auteur de L’Amant de Lady Chatterley, lui fait rencontrer Henry Miller. Passion féconde, renforcée par l’expérience de la psychanalyse. De retour aux Etats-Unis, Anaïs Nin placera dès lors tous ses écrits sous le signe de l’érotisme et de l’inconscient.

Aller sur la lune, ce n’est pas si loin. Le voyage le plus lointain, c’est à l’intérieur de soi-même.

Pensées

Exposer l’intime
C’est pour garder contact avec son père, un artiste volage, qu’Anaïs Nin décide, à 11 ans, de tenir un journal intime. Ecrite en français, cette longue lettre à l’absent devient un laboratoire intérieur pour l’adolescente exaltée : « Je vois dans l’écriture du journal intime la communion d’une âme avec elle-même dans la sincérité et la liberté la plus absolue. » Avec « Journal d’une jeune mariée », commencé en 1930, Anaïs entre au confessionnal. Attirances saphiques, incartades et fantasmes : elle dévoile son « continent noir ».

Périlleuse franchise.
« Comment éviter de blesser les personnes ? » se demande l’amie d’Antonin Artaud, de Lawrence Durrel, de Louise de Vilmorin. Elle ne se contentera pas de changer les noms, elle s’arrangera avec le réel. Une graphomane qui avouait « mentir pour stimuler sa propre vie ».

Concilier inconscient et création
« La psychanalyse peut avoir raison de la fatalité. » Cette promesse, Anaïs l’a entendue lors d’une conférence à Paris, dans la bouche de René Allendy, fondateur, avec Marie Bonaparte, de la Société psychanalytique de Paris et praticien hors du commun. Culpabilisée par son attirance envers son père, Anaïs se rend chez le thérapeute, non sans inquiétude : en livrant son inconscient, ne risque-t-elle pas d’assécher son journal intime ? L’analyse tourne court : René Allendy ramène son cas à un banal œdipe, ce qu’elle juge réducteur. Après l’avoir séduit, elle le quitte pour le disciple favori de Freud : Otto Rank, avec l’espoir d’être mieux comprise, lui qui affirme que la névrose peut être le symptôme d’une ambition artistique inaccomplie. Cette fois, le courant passe. Après six mois de thérapie, en 1934, Anaïs lui annonce son désir de devenir analyste… et se donne à lui ! Rank l’accepte comme assistante à New York. Expérience de courte durée : Anaïs Nin retournera vite vers son territoire préféré, elle-même.

Libérer l’érotisme féminin
Anaïs Nin fête ses 72 ans quand elle accepte enfin la publication de « Vénus Erotica ». « J’ai finalement décidé de publier ces textes érotiques parce qu’ils représentent les efforts premiers d’une femme pour parler d’un domaine qui avait été jusqu’alors réservé aux hommes », confie-t-elle dans la préface de ces nouvelles écrites trente-cinq ans auparavant, alors qu’elle était de retour à New York. C’était en 1939. Henry Miller l’avait recommandée auprès d’un amateur anonyme dont il assouvissait littérairement la libido au tarif d’un dollar la page. Pourquoi ne pas l’imiter ? Sur l’assurance que son identité restera cachée, Anaïs s’autorise enfin le libertinage neuronal qu’elle s’interdisait dans son journal. Sans rien livrer de personnel, selon elle : sa prose érotique s’appuierait sur l’étude du Kama-sutra et les aventures de ses amis ! Accueillie assez froidement par la critique, « Vénus Erotica » est reçue comme une invitation sensuelle et libératrice par des millions de lectrices.
La conquête d’un nouveau territoire littéraire. On connaît la suite.

Dates

21 février 1903 : naissance à Neuilly-sur-Seine d’une mère franco-danoise et d’un père cubain d’origine espagnole.

1914 : arrivée à New York, avec sa mère et ses deux frères.

1923 : épouse Hugh Guiler, jeune banquier d’origine irlandaise.

1924 : retour en France.

1931 : rencontre Henry Miller, dont elle financera le premier roman, Tropique du Cancer.

1939 : retour à New York.

1966 : publication du premier tome du Journal.

1974 : élue au National Institute of Arts & Letters (Etats-Unis).

14 janvier 1977 : meurt d’un cancer à Los Angeles.

A lire

L’intégralité du Journal (sept volumes, Stock, 1972 à 1982).

Un hiver d’artifice, trois nouvelles (Editions des Femmes, 1979).

Vénus Erotica (Le Livre de poche, 2003)

Anaïs Nin, masquée, si nue, d’Elisabeth Barillé (Robert Laffont, 1991).