En Espagne, la censure d'une œuvre d'art fait scandale

Une partie de l'installation de Santiago Sierra '"Les prisonniers politiques de l'Espagne contemporaine"  ©AFP - GABRIEL BOUYS
Une partie de l'installation de Santiago Sierra '"Les prisonniers politiques de l'Espagne contemporaine" ©AFP - GABRIEL BOUYS
Une partie de l'installation de Santiago Sierra '"Les prisonniers politiques de l'Espagne contemporaine" ©AFP - GABRIEL BOUYS
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L'affaire a été révélée hier et fait aujourd'hui les belles heures de l'ensemble des commentaires des médias espagnols : avant même l'ouverture de la foire internationale d'art contemporain de Madrid, l'ARCO, une œuvre a été retirée.

C'est le directeur de cette manifestation prestigieuse, Clemente González, qui a obtenu de la galiériste Helga de Alvear le retrait de cette œuvre du plasticien Santiago Sierra intitulée « Prisonniers politiques ».

Pour comprendre l'importance de ce scandale, il faut savoir que l'ARCO, l'équivalent en fait de la FIAC à Paris, en est à sa 37e édition. Cette foire est donc une des manifestations les plus évidentes de la démocratie et de la liberté retrouvées.

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En 37 ans, jamais une œuvre n'avait été retirée ! Maintenant, que contenait cette œuvre de si perturbant pour qu'elle soit ainsi retirée ? Il s'agit en fait d'une série de portrait en noir et blanc accompagnés d'une légende historiographique.

Or 3 de ces portraits sont consacrés à trois figures du nationalisme catalan : l'ex vice président de la Catalogne, Oriol Junqueras, et les deux « Jordis », Jordi Sánchez et Jordi Cuixart. Tous sont en prison.

Décidément, la Catalogne rend fou en Espagne

C'est peu de le dire ! Pour tous ceux qui connaissent bien l'Espagne et qui, notamment, ont l'habitude de lire sa presse, c'est aujourd'hui presque devenu un supplice de parcourir les pages d'El Mundo, un quotidien conservateur, mais aussi du vénérable El País !

Ce dernier quotidien, El País, qui est issu de la transition vers la démocratie, a toujours été, pour moi en tous cas, mais pour beaucoup d'autres aussi, une sorte de repères de sérieux, d'intelligence et d'honnêteté journalistique.

Il est devenu aujourd'hui illisible sur tout ce qui concerne la Catalogne. Ce quotidien transpire désormais la haine des indépendantistes catalans. Au point de virer en octobre dernier un journaliste britannique, John Carlin, dont l'opinion divergeait sur le sujet.

Défendait-il des opinions extrémistes sur le sujet au point de mettre en péril la cohérence éditoriale du quotidien ? Pas du tout ! Il mettait juste en parallèle Brexit et indépendantisme catalan et surtout accusait les élites madrilènes d'aveuglement.

Cela suffit à faire virer un journaliste ? 

En ce moment, en Espagne, oui ! D'autant que John Carlin avait le défaut d'être étranger. En clair, le linge sale se lave en famille et John Carlin avait la fâcheuse tendance à exposer cette lessive dans toute l'Europe. Donc Adios ! Bye, bye ! 

Mais revenons à la Catalogne. Quel est le fond du problème ? C'est en fait, ce que j'appelle le pacte de la peur et de la démocratie. En 1978, il y a donc pile 40 ans, les anciens franquistes et les démocrates sont parvenus à un compromis.

Une Espagne plurielle, certes, mais indivisible et un roi pour couronner le tout. Cette situation convenait parfaitement aux partis politique disons « espagnolistes », socialistes, communistes et conservateurs. Un peu moins aux nationalistes régionaux.

Mais c'était un compromis et il y avait comme une promesse d'évolution à venir. Donc les indépendantistes catalans mais aussi basques – je parle des démocrates pas des radicaux – ont accepté ce deal. Dès le départ, il y a ambiguïté.

On est arrivé au bout de ce compromis ? 

Exactement ! Deux générations sont passées et la peur – d'un coup d'Etat, d'une répression, de la prison – a disparu. Il est donc temps de revoir les termes de cet accord. Tout le monde le sait en Espagne : c'est le chantier des 5 ans à venir.

Le problème, c'est que les vieux partis, et les vieux journaux, sont épuisés par des années de pouvoir. Ils réagissent comme des bêtes traquées : prison et censure. Ils deviennent des caricatures. C'est évidemment très dangereux et désolant à regarder.

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