Démographie - Niger : Maradi, cette ville championne du monde des naissances

REPORTAGE. Avec 7,6 enfants par femme, le Niger enregistre le taux de fécondité le plus élevé du monde. Maradi, ville du sud-est du pays, détient le record : 8,4.

Par Morgane Witz, à Maradi (Niger)

Tchima Moussa entourée d'une partie des 16 enfants et 24 petits-enfants à sa charge. 

Tchima Moussa entourée d'une partie des 16 enfants et 24 petits-enfants à sa charge. 

© Morgane Witz

Temps de lecture : 5 min

Dans le contexte économique, climatique et sécuritaire actuel, quelle sorte d'avenir sera offert aux nouvelles générations ? Cette interrogation mérite d'être posée à propos du Niger qui impressionne par sa dynamique natalité. « Combien d'enfants avez-vous ? » À Maradi, au sud-est du Niger, cette question prend plus d'un parent au dépourvu. Hassan Edi sort doucement sa main de sa poche et se met à compter : « Mohammed, Myriam, Ibrahim,... Oui, c'est ça, j'ai 9 enfants avec ma première femme, 7 avec la seconde. Ça fait 16 enfants », lance fièrement le père. Âgés de 45 à 11 ans, la majorité d'entre eux vivent dans la maison familiale de quelque 50 mètres carrés. Dans la cour, les plus jeunes jouent pendant qu'un aîné fait la lessive. Tchimia Moussa, la femme d'Hassan, est assise sur une chaise en plastique près du poulailler. Depuis le décès de sa coépouse, elle fait office de figure maternelle pour toute la famille. « J'y suis obligée. C'est Dieu qui m'a donné ça. Ce n'est pas facile, mais je suis heureuse », confie la femme de 65 ans.

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Le Niger est l'un des pays les plus pauvres du monde, mais cela n'empêche pas ses ressortissants de faire des enfants. Avec 7,6 enfants par femme, le pays détient le record du taux de fécondité le plus élevé de la planète. À Maradi et à Zinder, il s'élève à 8,4 enfants par femme. Pour la majorité des parents, une large progéniture est une promesse de prospérité. « Quand on a beaucoup d'enfants, la richesse est là ! Il peut y en avoir un qui devient riche. Souvent, c'est le cadet, il devient riche et la maison est reconnue. Mais dans certaines maisons de trois enfants, ils sont tous nuls et personne ne sera utile à la famille », explique Issoufou Oumarou, père de 19 enfants.

Être un bon musulman

Faire beaucoup d'enfants, c'est aussi être un bon musulman. « Le prophète a dit de se marier et de procréer pour que sa communauté soit le plus élargie possible le jour du jugement dernier », explique le marabout Awalou Issouf. « Mais, le problème, c'est que les gens n'arrivent pas à très bien comprendre le message de l'Islam. Ils prennent la moitié du texte, et laissent tomber l'autre partie. Le prophète a aussi dit qu'il ne voulait pas de n'importe quels enfants parmi ses fidèles. Il faut que ce soit des enfants bien formés, bien encadrés, bien soignés et qu'ils soient utiles à la société », poursuit-il.

À Maradi, toutes ces conditions ne sont pas faciles à remplir. La ville est reconnue pour son activité commerciale. Les rues sont jalonnées de boutiques et de vendeurs ambulants. Mais ces dernières années, les sécheresses et la menace du groupe islamiste Boko Haram à quelques kilomètres ont conduit à la croissance considérable du nombre d'habitants. L'augmentation des prix des produits de première nécessité et la précarité de l'emploi rendent difficile la prise en charge d'une famille nombreuse.

L'éducation en question

L'éducation elle aussi pose problème. Une année scolaire à l'école privée coûte 80 000 francs CFA (122 euros). À l'école publique, c'est 10 000 francs CFA (15 euros), mais de nombreux Nigériens ne font plus confiance à cette institution. « Au public, on n'étudie pas », explique Sani Ibrahim, père de dix enfants. « Le niveau d'étude y est très faible. Les enseignants ne peuvent pas s'en sortir avec plus de 100 élèves par classe. Et puis, eux-mêmes sont mal formés », poursuit-il. Malgré ses convictions, Sani a été obligé d'envoyer deux de ses enfants à l'école publique cette année. La baisse des rentrées financières de la famille, à la suite de la perte de son emploi principal, ne lui permettait plus de loger tout le monde à la même enseigne. Cette situation inquiète beaucoup Issoufou Mamane Moutari, directeur régional de la population. « Sans éducation, ces jeunes deviennent des délinquants. Ils tombent dans le vol, l'insécurité ou le banditisme urbain, et deviennent de bonnes recrues pour des groupes terroristes », explique-t-il.

Le problème de l'abandon

Différentes options se présentent aux parents qui n'ont plus de quoi nourrir leur famille. La première d'entre elles est le mariage d'une de leurs filles. Selon Unicef, près de 89 % des femmes de Maradi sont mariées avant l'âge de 18 ans. Ici encore, la ville détient un record mondial.                       Certains parents décident aussi de confier leurs enfants à des marabouts pour qu'ils assurent leur éducation coranique. Mais les maîtres religieux sont surchargés et envoient les jeunes quémander leur nourriture à travers la ville. Dans toutes les rues, on croise des groupes d'enfants armés de leur gamelle, à l'affût de la moindre cuillère de riz ou pièce de 50 francs CFA (0,08 euro). Tous ne sont pas de l'école coranique. Certains d'entre eux ont été abandonnés ou on fuit la maison à la suite d'un divorce ou du décès d'un de leurs parents. « Après le décès de mon père, ma marâtre me battait avec la chaîne de la moto. Elle me frappait tant à la tête que j'ai attrapé une maladie. Je suis partie chez ma tante, mais là non plus on ne s'occupait pas de moi, alors j'ai décidé de partir », témoigne Nouria Yacouba, jeune fille de Maradi. C'est le Centre de prévention, de promotion et de protection de l'enfant (CEPPP) qui l'a trouvée. Malade et en guenille, elle sillonnait les rues de la ville. « On lui a cherché une personne de confiance pour la loger. Puis on lui a proposé de participer à un atelier de formation », explique Moutari Idi, travailleur social. Nouria s'est révélée très douée pour la couture. Aujourd'hui, elle exhibe fièrement ses dernières créations et se dit heureuse. Mais tous les enfants de Maradi ne peuvent pas en dire autant. Et leur nombre continue d'aller croissant.