Le 24 février, le Théâtre du Soleil reprend Une chambre en Inde. Dans ce spectacle, créé en 2016, Ariane Mnouchkine exprime ses doutes, ses interrogations et son impuissance face à l’état du monde, de l’endoctrinement des jeunes par l’organisation Etat islamique, au réchauffement climatique, en passant par la Syrie et Donald Trump. A sa façon, généreuse, ambitieuse, ample, théâtrale. Ariane Mnouchkine invite à la réflexion.
Quand êtes-vous allée pour la première fois en Inde ?
En 1963, je suis partie pour un voyage de quinze mois en Asie. Je visais la Chine, où je voulais aller depuis l’âge de 7 ans. Evidemment, je n’ai pas eu mon visa. Eh bien, me suis-je dit, je vais d’abord aller au Japon, et là, j’essayerai à nouveau d’avoir mon visa. Je ne l’ai pas eu, mais je suis restée plus de cinq mois au Japon, et cela a été déterminant. Puis je suis allée à Hongkong, où je n’ai pas eu mon visa non plus. Alors, j’ai commencé à rentrer vers la France. Je suis arrivée à Calcutta le soir du 24 décembre 1963, et j’ai été tellement horrifiée par la misère qui y régnait que je me suis littéralement enfuie au Népal.
Là, j’ai marché un bon moment dans l’Himalaya, puis je suis redescendue vers l’Inde, que j’ai abordée plus calmement, en parcourant les villages plutôt que les villes. A cette époque, Nehru [le premier ministre] était encore vivant, et il y avait plus de quatre cents millions d’habitants. Aujourd’hui, il y en a plus d’un milliard deux cents millions. La grande différence, c’est cela, au fond. Et c’est ce qui fait que, malgré les progrès de l’Inde, le chaos et la misère restent insupportables sur ce continent où se mêlent la splendeur et l’horreur.
Du point de vue du théâtre, que représente l’Inde pour vous ?
En théâtre, j’ai deux mères nourricières et une marraine : le Japon, l’Inde et Bali, qui me surveillent, m’apostrophent et me guident. Pas seulement à cause de leurs théâtres d’ailleurs. Pour l’Inde, tout est inspiration et enseignement : ses routes, ses chemins, ses rues, la façon dont les hommes et les femmes marchent. A Bali, la toilette du soir dans l’eau des rizières, la beauté des corps et des offrandes. Le progrès destructeur qui améliore et ravage. Au Japon, c’est davantage le rapport même que les Japonais entretiennent avec leurs arts, leur culture, leurs théâtres, cette façon qu’ils ont de ne pas lâcher prise. Jamais.
Qu’est-ce que cela vous apporte, de partir d’un autre monde ?
Quand on emprunte le monde indien, ou, comme nous allons le faire dans notre prochain spectacle, le monde japonais, pour parler du nôtre, on demande à ces mondes de nous prêter leurs outils. Ils nous permettent d’approcher ce que l’on appelle, banalement, la distanciation.
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