Et si les bactéries n’avaient plus peur des gels hydroalcooliques ?

Selon une étude australienne, une bactérie très courante dans les hôpitaux a développé une résistance aux solutions hydroalcooliques utilisées pour se désinfecter les mains.

 ILLUSTRATION. Ces gels permettent aux infirmières, qui l’utilisent plusieurs dizaines de fois par jour, de ne pas être obligé de se rendre en permanence dans une salle où s’effectuent les lavages au savon.
ILLUSTRATION. Ces gels permettent aux infirmières, qui l’utilisent plusieurs dizaines de fois par jour, de ne pas être obligé de se rendre en permanence dans une salle où s’effectuent les lavages au savon. LP/Phiippe Lavieille

    Dans le milieu hospitalier, on les appelle les SHA, ces solutions hydroalcooliques utilisées à tour de bras avant et après la moindre consultation de patient pour le protéger, et se protéger, des transmissions de bactéries par les mains. Ces gels sont partout et intégrés dans bon nombre de protocoles médicaux, notamment avant une opération. Mais si ce bouclier n'était plus aussi efficace que ce que l'on pensait ? L'hypothèse n'a pas vraiment été étudiée, tant les SHA sont devenues fondamentales dans la pratique. Et pourtant, des chercheurs australiens de l'université de Melbourne sèment pour la première fois le trouble sur cette évidente efficience.

    L'équipe du professeur Tim Stinear a observé l'évolution et la réaction de la très courante bactérie « enterococcus faecium » face à ces gels hydroalcooliques. En comparant des souches récentes et d'autres conservées depuis vingt ans, les chercheurs ont constaté que ce germe était capable de s'adapter aux formules utilisées par les hôpitaux. Or comme toutes les bactéries de la famille des entérocoques, celle-ci peut provoquer des infections dites nosocomiales - c'est-à-dire contractées en milieu hospitalier - dont certaines peuvent être très dangereuses pour un public fragile.

    L'enterococcus faecium, qui se développe dans le tube digestif, est par ailleurs déjà réputée très résistante aux antibiotiques et à d'autres formes de décontamination que les SHA. Le risque d'une propagation accrue est donc à prendre au sérieux.

    Au programme d'un congrès à Paris en mars

    En France, le sujet sera d'ailleurs bientôt mis sur la table lors d'un congrès sur la résistance bactérienne, qui se tient à l'Institut Pasteur du 19 au 21 mars. Le professeur Tim Stinear a été invité à exposer ses conclusions devant des scientifiques d'une vingtaine de nationalités par Philippe Glaser, responsable du laboratoire Écologie et évolution de la résistance aux antibiotiques de l'institut. Selon l'expert français, « c'est un travail tout à fait sérieux » bien que l'étude, disponible sur le serveur de prépublication en biologie bioRxiv, n'ait pas encore fait l'objet d'une approbation scientifique officielle.

    « Ça mérite à présent que l'on aille plus loin, que l'on teste la résistance d'autres bactéries puis que ce soit refait par une autre équipe, et ça le sera sûrement après qu'on en ait parlé ! » prédit encore Philippe Glaser.

    A ce jour, les SHA restent considérées comme le moyen le plus efficace de se prémunir des microbes. Introduites dans les années 2000 dans les hôpitaux, elles permettent de mieux faire respecter le protocole du lavage systématique des mains car les gestes sont plus rapides et moins contraignants avec un gel, disponible un peu partout dans l'établissement. Elles sont aussi jugées plus efficaces qu'un lavage au savon, bien qu'elles ne le remplacent pas en toutes circonstances. En fait, l'alcool qu'elles contiennent tue les bactéries plus rapidement que le savon en dissolvant leur membrane externe, rappelle le magazine Sciences et Avenir, qui a repéré l'étude australienne.

    Par ailleurs, « les solutions hydroalcooliques ont montré leur efficacité face aux staphylocoques dorés, bien plus graves que les infections liées aux entérocoques. Donc il ne faut surtout pas les abandonner », prévient Philippe Glaser. Le chercheur de l'Institut Pasteur préconise l'étude d'une évolution de leur utilisation, peut-être à réserver à certains cas et avec moins de fréquence pour éviter l'inéluctable acclimatation des bactéries.

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