INTERVIEW«En France, l'éducation passe par une forme d'agressivité»

Loi «anti-fessée»: «Ce que l'on n’accepte plus sur une femme ou un chien, on ne doit plus l’accepter sur un enfant»

INTERVIEWFrançois-Michel Lambert, député LREM des Bouches-du-Rhône défend la proposition de loi soutenue par 29 députés qui souhaite l'interdiction de toutes «violences éducatives ordinaires»...
Illustration d'une fessée sur un enfant.
Illustration d'une fessée sur un enfant.  - SERGE POUZET/SIPA
Propos recueillis par A. D.

Propos recueillis par A. D.

L'essentiel

  • 29 députés de tous bords politiques (sauf FN) ont déposé, jeudi, un amendement en faveur de l'interdiction des «violences éducatives ordinaires».
  • Le dernier amendement à ce sujet qui avait été voté en 2016 avait été censuré par le Conseil Constitutionnel le 26 janvier 2017.
  • François-Michel Lambert, député LREM des Bouches-du-Rhône, dénonce une spécificité française de modèle familial basé sur une certaine forme d'agressivité se transmettant de générations en générations.

«Pourquoi appelle-t-on agression le fait de frapper un adulte, cruauté le fait de frapper un animal, mais éducation le fait de frapper un enfant ? ». Telle est la question posée par l’Observatoire de la violence éducative ordinaire qui lutte pour l’interdiction de toutes violences envers les enfants. Aujourd’hui, 52 pays ont officiellement aboli tout châtiment corporel. Mais légiférer en ce sens en France demeure un sujet polémique, car le « droit de correction » culturellement et socialement admis semble y être ancré depuis plusieurs siècles.

Ainsi, après que le Conseil Constitutionnel ait censuré l’amendement qui avait été pourtant voté en 2016 par l’Assemblée Nationale pour interdire les « violences éducatives ordinaires », 29 députés de tous bords (sauf FN) ont annoncé le dépôt, jeudi, d’une nouvelle proposition de loi visant à l’inscription symbolique sans sanction pénale dans le Code Civil du « droit des enfants à une éducation sans violence physique, punitions corporelles ou châtiments corporels, souffrances morales ou toute autre forme d’humiliation ». De nombreuses personnalités et associations (tels que la pédiatre Edwige Antier, et les associations Stop VEO et la Fondation pour l’Enfance) soutiennent d’ores et déjà cette démarche.

François-Michel Lambert, député LREM des Bouches-du-Rhône, co-signataire du texte avec Maud Petit, députée MoDem, nous éclaire sur la portée symbolique de cette proposition de loi et dénonce les lenteurs du gouvernement sur le sujet.

En quoi consiste la nouvelle proposition de loi sur l’interdiction des « violences éducatives ordinaires » ?

Le but est de faire interdire les « violences éducatives ordinaires » par la modification de l’article 371-1 du Code Civil en faisant inscrire de manière symbolique le « droit des enfants à une éducation sans violence physique, punitions corporelles ou châtiments corporels, souffrances morales, ou toute autre forme d’humiliation ». L’idée, c’est que l’éducation en France se fasse en dehors de toutes violences physiques et psychiques. Aujourd’hui, la société française structure l’éducation des enfants par une forme de « dressage », par une violence intrinsèque. Le Code Civil de 1804 s’inspire d’un « droit de correction » datant du droit romain. La France a été maintes fois rappelées à l’ordre par des instances internationales comme l’ONU, et même récemment par le Défenseur des Droits, Jacques Toubon. 52 pays dans le monde ont déjà légiféré sur la « bienveillance », et la « bientraitance » afin d’aborder positivement l’éducation de nos enfants y compris au sein de la famille en recherchant le dialogue, l’explication, la compréhension et non plus des formes de soumissions.

Je porte ce sujet depuis plusieurs années et j’ai présenté plusieurs fois des initiatives en ce sens. Cela a abouti à un amendement voté en décembre 2016 mais qui a été censuré par le Conseil Constitutionnel car il y avait un problème de forme et non de fond puisque l’amendement en question a été considéré comme sans lien à l’époque avec le sujet de la loi « égalité et citoyenneté ».

Quelles sont les conséquences observées sur les enfants ?

Les dérives sont malheureusement dramatiques. C’est une certitude et toutes les études le démontrent : les enfants ont des séquelles psychologiques. La Fondation pour l’enfance a fait une campagne télévisuelle pour dénoncer le fait que «violenter son enfant, c'est le marquer pour longtemps ». En France, le modèle familial, c’est que l’éducation passe par une certaine forme d’agressivité, avec des gifles, des fessées, une pression psychologique et cette idée est transmise de génération en génération. La société n’a jamais indiqué quel était le sens à donner à l’éducation aux parents. En tant que parent, je n’ai fait que reproduire ce que la société relayait comme modèle d’éducation.

Comment expliquez-vous que la France soit en retard sur ce sujet ?

Cela fait cinq ans que la proposition de loi est « prête ». Le précédent gouvernement avait fait voter l’amendement qui a été censuré par la suite. Mais aujourd’hui, on, n’avance absolument pas. Le gouvernement actuel ne nous aide pas alors que la lutte contre les violences faites aux femmes est considérée comme « grande cause nationale » du quinquennat. La raison est simple : les enfants ne votent pas et on sait que 70 % des électeurs français sont opposés à l’interdiction de la fessée. Ce n’est donc pas une priorité pour eux.

Mais le but n’est pas d’introduire une sanction pénale mais de faire de la France une société de « bienveillance ». En tant que pays des droits de l’homme, on ne peut plus laisser notre avenir soumis à une certaine idée de l’éducation : ce que l’on n’accepte plus sur une femme, un voisin, un chien, on ne doit plus l’accepter sur un enfant. Cela me glace de dire que l’on en est là en France. On veut donc mettre le gouvernement devant ses responsabilités. 2 ou 3 ans de plus sans voter le texte, et c’est 2 millions d’enfants pour lesquels la violence va perdurer.

Ce qui nous intéresse, c’est qu’un jour la France se réveille, qu’on puisse dire non pas que la fessée est interdite, mais que l’éducation n’a pas de sens lorsqu’elle se fait par la violence. On souhaite faire comme pour le mariage et l’article 212 du Code Civil qui évoque le devoir de « respect, fidélité, secours, assistance » entre époux : ces notions, chacun est libre de voir comment il les respecte dans son couple. De la même manière, nous voulons introduire l’idée que lorsque vous êtes parents, vous devez respecter vos enfants.

Peut-on la qualifier de loi « anti-fessée » ?

Non, je la qualifierai de loi sur la « bientraitance » ou sur la « bienveillance ». Le but n’est pas de contester la fessée donnée par peur, angoisse d’un parent mais celle donnée dans l’intimité et qui relève de l’humiliation. Le but c’est qu’il y ait un dialogue, de la compréhension, des discussions et l’intervention de plusieurs intervenants autour de l’enfant. De nos jours, on a perdu le caractère collectif de la prise en charge des enfants qui était à l’origine de la communauté humaine. La collectivité y gagnera. Nous pensons que si l’éducation se fait par des rapports de force, l’enfant devenu adulte continuera à être dans le rapport de force : agressivité, incivilités, petits délits, délinquance… Entre la baisse de la souffrance des enfants et la baisse de la criminalité qui peut en découler, c’est toute la société qui y gagnera.

Quand peut-on espérer un vote de la proposition de loi ?

La proposition de loi reprise par Maud Petit, députée MoDem du Val-de-Marne, sera vraisemblablement débattue le 17 mai dans l’hémicycle au cours de ce qu’on appelle une « niche parlementaire » qui est une journée accordée aux groupes parlementaires pour présenter leurs propositions de loi. Cela ne sera pas le groupe majoritaire qui le déposera et encore moins le gouvernement. La proposition de loi est soutenue par 29 députés de tous bords (sauf FN). Mais comme pour le précédent amendement, nous nous attendons à un vote très large et nous espérons une adoption du texte dans l’année.

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