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ReportageAgriculture

En Allemagne, le salon de la Bio compte trois fois plus d’exposants que le Salon de l’agriculture en France

Quelques jours avant le Salon de l’agriculture s’est tenue la Foire bio de Nuremberg, le plus grand salon professionnel des produits bio au monde. Neuf halls immenses, 52.000 exposants, soit presque trois fois plus qu’au Salon de l’agriculture qui s’ouvre à Paris samedi 24 février. Reporterre y a découvert les tendances, comme celles du véganisme et des « superaliments », et constaté l’évolution marketing d’un secteur en pleine expansion.

  • Nuremberg (Allemagne), reportage

Le marché de la bio explose. Tout va bien. Tout le monde sourit. Voici en résumé l’ambiance de la foire de Biofach, qui s’est tenue du 14 au 18 février à Nuremberg, en Allemagne. Depuis 1999, la manifestation s’y déroule chaque année. Elle impressionne le visiteur comme l’exposant : une dizaine de halls géants, dont trois dédiés à l’Allemagne, et un à la cosmétique écologique certifiée, plus de 2.500 exposants regroupés par pays – presque trois fois plus qu’au Salon de l’agriculture de Paris — et 51.000 visiteurs, c’est dire l’envergure de ce salon professionnel dupliqué à Tokyo, Shanghai, Baltimore… Il permet de mesurer à quel point les productions bio se développent à travers le monde, tout comme le marché, estimé à plus de 80 milliards d’euros en 2015.

Biofach, c’est la vitrine internationale de la bio. Une bio business costume-cravate où la langue anglaise est de mise. Visiteurs professionnels, producteurs et transformateurs viennent des quatre coins de la planète pour vendre, acheter, présenter, s’inspirer, se copier, dénicher la nouveauté, repérer les tendances montantes.

D’allée en allée, la description de la visite est un inventaire à la Prévert, version gourmande et bio. Avec des produits classiques témoignant des cultures et spécialités du monde : sucre de noix de coco des Philippines, thé du Népal, maté (feuilles à infuser) du Brésil, curcuma du Vietnam, riz, sésame, kakis et mangues du Pakistan, miel d’Éthiopie ou miel manuka d’Australie, huile d’argan et eau de rose du Maroc, ou encore étranges racines de Chine, pays dont les stands sont aussi nombreux que l’offre est variée.

Les signes de l’industrie agroalimentaire conventionnelle transpirent 

Transformé — biscuits, muesli, chocolat…— ou sous forme de matière première brute — céréales en graines, fèves de cacao… — ce qui s’expose ici traduit le niveau d’équipement agroalimentaire et la répartition des richesses qui en découle : graines de chia latino-américaines ou barres énergétiques européennes au chia. En Europe, la petite graine précolombienne « santé » fait fureur et, au salon, elle est présente dans de nombreux produits transformés.

Dans le parcours, d’autres mets plus inattendus créent la surprise, montrant que l’agriculture bio est l’occasion d’innovation et de redécouverte. Exemple, les confiseries « raw » - crues - à base de pâte de fruits secs ou de dérivés de noix de coco chez Govinda, les laits végétaux de tubercule de souchets (horchata de chufa, typique de la région espagnole de Valence) ou de pistache sans sucre chez Ecomil. Ou, plus confidentiel, les jus d’aronia additionnés de jus de betterave lactofermenté, désaltérants et stimulants du système immunitaire, selon l’arboriculteur qui les produit au sud de Dresde, en Allemagne.

Mais déjà, sur maints stands, les signes de l’industrie agroalimentaire conventionnelle transpirent : marketing racoleur telles ces sucettes dont les codes aux couleurs criardes n’ont rien à envier à leurs homologues « chimiques ». Oublié l’austère bouffeur de graines des années 1990, le style est aux hommes-sandwichs supports publicitaires, aux pandas géants à fourrure synthétique verte qui parcourent les allées en offrant de la cacahuète aux visiteurs. Ici, un groupe d’acheteurs de El Corte Inglés, célèbre chaîne de grands magasins espagnols, devise. Plus loin, une spécialiste du « business du thé » non bio, comme elle se présente, hume une boisson orange basilic de chez Yogi thé.

Une bonne part de la bio qui s’expose ici est prête à s’exporter loin, sans état d’âme. Telle cette marque Gittis de lait infantile en poudre réalisé à partir de lait collecté auprès d’éleveurs bio autrichiens à destination des bébés chinois. Ou ce tofu soyeux du nom de Mori-Nu made in USA qui part à la conquête des corners à sushis de la grande distribution, ultracompacté dans un emballage Tetra Pack. Et encore ces fraises napolitaines poussées sous serre qui ne parviennent toujours pas à rougir en plein février malgré leur barquette plastique sous cellophane. Il y a peu de produits frais, à Biofach : « Ça reste un très bel événement, mais cette année, la Foire aux fruits et légumes de Madrid, où le bio occupait une place importante, semble avoir aspiré les professionnels du secteur », analyse ce responsable achats d’une plate-forme de fruits et légumes du sud-est de la France. Preuve que le bio n’est plus un secteur à part, une niche, et que son développement continu l’installe durablement dans chaque branche du commerce traditionnel.

Le lait en poudre infantile Gittis.

La tendance alimentaire qui monte, c’est le végane 

En revanche, les produits « sans gluten » sont présents dans tous les pavillons. Les agriculteurs bio ont continué à cultiver des variétés rustiques ou traditionnelles pour des farines typiques quand leurs confrères conventionnels les abandonnaient. Ce qui explique en partie la diversité de l’offre bio dans le domaine (graines, farines, flocons naturellement sans gluten comme le millet, le sarrasin…). Incontournables pour répondre à la demande des intolérants au gluten de plus en plus nombreux, les produits qui en sont dépourvus ne constituent pour autant pas la nouveauté du salon.

La tendance alimentaire qui monte, c’est le végane, avec une profusion de produits conçus sans ingrédient issu de l’exploitation d’animaux (viandes, laits, miels…), de mentions « vegan », atout marketing sur les emballages et aussi de substituts protéinés. Sur un espace d’animation végane dédié, les fabricants viennent tour à tour expliquer leur philosophie et l’ingéniosité prodiguée pour obtenir des aliments aussi équilibrés en protéines végétales que le seraient des produits carnés ainsi que la façon de les accommoder : nouilles, galettes, boulettes, plats cuisinés sur base de légumes secs (pois, lentille, lupin…) de soja ou bien de protéines de tournesol, par exemple. Il s’agit souvent de produits secs transformés.

Certains, très réussis, étonnent comme ces crèmes glacées sans laitage, ni œuf, ni sucre ajouté, ni soja, réalisées par Ice Date à partir de pâtes de dattes et de pistache. D’autres, étranges au palais d’un omnivore, devront encore séduire, comme les fromages obtenus à partir de noix de cajou, sans lait ni présure animale, les saucisses de « boucherie verte » ou encore l’énorme fruit du jacquier à peau granuleuse, le jack fruit, dont la chair fibreuse riche en protéines se prête à de nombreux accommodements végétariens.

Est-ce pour pallier les carences dues à l’alimentation conventionnelle passée des nouveaux convaincus du bio ou celles des adeptes des régimes « sans » ? toujours est-il que l’autre grande tendance avec le véganisme revient aux « superaliments » et à leurs promesses nutritionnelles spécifiques. Énergisants, détoxifiants, immunisants… ce sont le plus souvent des produits exotiques : açaï de Guyane, noni de Tahiti, moringa des tropiques et autres baies magiques, tel le goji de Chine

Des géants rachètent des entreprises familiales historiques 

Au salon Biofach, des instituts de recherche bio, des associations ou des services côtoient les fabricants. Impossible de passer à côté de l’OC (l’organisme de contrôle) bio Ecocert. Il y présente un de ses derniers programmes, Fair For Life, un référentiel du commerce équitable : « Il permet de compléter les cahiers des charges bio avec ses critères sociaux et environnementaux, mais des structures non bio peuvent l’adopter, explique Marie Mercui, responsable de la division commerce équitable chez Ecocert. C’est précisément une façon de les sensibiliser à la bio. » « Avant, les opérateurs venaient à Biofach essentiellement pour le business, aujourd’hui c’est un rendez-vous qui permet d’échanger sur le marché, sur le règlement ou sur l’avenir de la planète bio ou encore suivre des conférences », observe Michel Reynaud, vice-président d’Ecocert. « Nous en profitons pour vérifier que les exposants sont conformes ! On a toujours un œil en tant qu’organisme certificateur », explique Tom Nizet, responsable certification chez Certisys BE (organisme certificateur belge). De rencontrer d’autres organismes certificateurs, de sentir les évolutions. Cette année, les discussions portent sur les nouvelles générations qui prennent la relève des pionniers.

Des « superaliments ».

Comment se projettent-elles dans le bio ? Sur des sujets comme les OGM, toujours interdits d’usage dans les cahiers des charges, « mais dont la technique d’obtention a évolué. De fait, quelle position demain… » interroge Tom Nizet. On parle du règlement européen récemment revu, pas totalement satisfaisant selon des membres du Conseil européen des organismes de certification biologique (Eocc). Plus que des risques de fraudes, on s’inquiète du respect de la traçabilité exemplaire de la bio sur laquelle il convient de rester très rigoureux à l’heure où de nombreux façonniers transforment pour le compte de marques. Ce qui allonge les circuits, multiplie les vérifications d’origine, par exemple.

On s’inquiète aussi, notamment les opérateurs historiques français de la bio, des pratiques commerciales de grands distributeurs. Elles pourraient déstabiliser un marché où la matière première est de plus en plus convoitée à cause de la demande du consommateur. Dans le même temps, des géants rachètent des entreprises familiales historiques : Celnat, créé dans les années 1980 par la famille Celle, repris en 2016 par l’espagnol Ebro Foods (Panzani, Taureau ailé et Lustucru…), Pukka Herbs, spécialiste de thés bio, rachetée à l’automne 2017 par l’anglo-néerlandais Unilever (Lipton, Eléphant, Knorr…). Ces quelques exemples occupent les esprits, pour ne pas dire préoccupent les historiques. Et confirment que les temps changent.

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