François Molins : «Une femme agressée doit le signaler au plus vite»

François Molins, procureur de Paris, nous a accordé un entretien sur la question sensible des violences sexuelles.

 Palais de justice de Paris (1er), jeudi. « On ne peut pas se contenter de certaines situations qui imposent aux victimes des parcours du combattant », affirme François Molins.
Palais de justice de Paris (1er), jeudi. « On ne peut pas se contenter de certaines situations qui imposent aux victimes des parcours du combattant », affirme François Molins. LP/FRÉDÉRIC DUGIT

    Pour le grand public, il incarne la figure du procureur antiterroriste, celui que l'actualité récente a poussé sous les projecteurs et fait entrer brutalement dans la vie des Français. Il est celui qui, en cas d'attentat, décrypte, informe, rassure. Chef du parquet de Paris, le plus important de France, François Molins est aussi en charge de piloter la justice du quotidien à l'échelle de la capitale : vol à la tire, crime en bande organisée, mais aussi violences sexuelles… Un domaine sensible dans lequel François Molins souhaite gagner en efficacité.

    Les campagnes #MeToo et #BalanceTonPorc sur les réseaux sociaux se sont-elles traduites par un accroissement du nombre d'affaires judiciaires à Paris ?

    Nous avons connu une augmentation de 20 à 30 % pour les affaires de harcèlement et d'agression sexuelle à l'automne, avec un pic en octobre (154 plaintes pour ce seul mois). Mais cet effet est en train de retomber pour revenir à la situation antérieure, soit entre 80 et 120 plaintes par mois. Quant aux viols, les chiffres sont restés stables avec environ 700 plaintes annuelles. Tout cela étant à mettre en regard avec les 350 000 à 400 000 procédures que nous traitons chaque année.

    En tant que juriste et en tant qu'homme, quel regard portez-vous sur ce phénomène inédit ?

    Si cela permet de prendre conscience de la gravité de certains comportements, d'identifier et de punir des gens ayant commis des infractions -bref, si cette chape de plomb cède enfin-, c'est très bien. Mais il ne faudrait pas que « rumeur » vaille « condamnation ». La présomption d'innocence s'applique à tous, quelle que soit son origine ethnique, sa nationalité ou son statut social. Il existe un droit absolu à l'information mais il ne saurait y avoir de tribunal médiatique.

    Le théologien Tariq Ramadan est toujours incarcéré. Une plainte pour viol visant le ministre Gérald Darmanin a, elle, été classée. Est-ce le signe d'une justice à deux vitesses ?

    Non, certainement pas ! Nous avons déjà démontré, au parquet de Paris, que nous n'avions pas peur de mettre en cause des gens haut placés, voire des membres du gouvernement. En tant que magistrats, nous avons une obligation d'impartialité.

    Reconnaissez que dans l'affaire Darmanin le classement par le parquet d'une première plainte pour viol a été rapide…

    Pas du tout. L'affaire, qui a commencé en juillet, a connu un cours normal. D'ailleurs, la durée d'une enquête ne signifie rien en soi. C'est la complexité des investigations qui dicte le tempo des enquêtes.

    Quel conseil donneriez-vous à une femme qui a subi une agression ?

    De le signaler sans attendre. Plus une victime tarde à le faire, plus elle rend difficile le travail de la police et de la justice. En gardant les choses pour soi, on ne rend service à personne et surtout pas à soi. Celles qui hésitent peuvent aussi s'adresser aux associations d'aides aux victimes qui sauront les conseiller. J'ajoute que parler s'avère indispensable pour faire échec à ces agresseurs en série qui profitent du silence autour d'eux. Bien sûr, le résultat n'est jamais acquis mais la justice a une obligation de moyens : tout mettre en œuvre pour identifier l'auteur.

    Porter plainte peut s'avérer compliqué, notamment en raison de l'accueil dans les commissariats…

    On ne peut pas se contenter de certaines situations qui imposent aux victimes des parcours du combattant. « Revenez demain, on n'a pas le temps », ça décourage. Depuis plusieurs années, parquet de Paris, police et associations s'efforcent donc de réduire le temps d'attente des victimes, de les orienter immédiatement vers le bon service d'enquête et ainsi éviter des auditions multiples. À Paris, nous avons cette chance d'avoir des personnels de police spécialement formés et, dans chaque commissariat, des psychologues et travailleurs sociaux. Mais on peut toujours faire mieux. Ainsi une victime de viol qui se rend désormais à l'hôpital avant d'avoir porté plainte sera tout de suite examinée. Et au nouveau tribunal, un dispositif permettra à celles dont l'état le nécessite une prise en charge immédiate sur le plan psychologique ou social.

    En matière d'affaires sexuelles, peu de plaintes passent pourtant le filtre du parquet. Comment cela s'explique-t-il ?

    Un classement sans suite reste un constat d'échec. Cela signifie que l'on n'a pas pu déterminer qui a commis l'infraction, ou que l'on n'a pas suffisamment d'éléments à charge pour juger quelqu'un. Nous veillons ainsi, à Paris, à spécifier aux victimes les raisons d'une telle décision, pour ne pas leur donner l'impression que leur parole a été mise en doute, et à leur signifier leurs voies de recours. Lorsque les faits sur des mineurs sont prescrits, une enquête est tout de même menée, la personne suspectée entendue. Une confrontation peut même être organisée : les cas d'aveux et d'excuses ne sont d'ailleurs pas rares. C'est une pratique bénéfique pour les victimes qui ont besoin de cette parole posée, même sans résultat judiciaire.

    Faut-il rendre imprescriptibles les crimes sexuels contre les mineurs ?

    Cette notion d'imprescriptibilité doit être réservée aux seuls crimes contre l'humanité, quelle que soit l'importance que la société accorde à ces sujets. Pourquoi pas allonger le délai de la prescription en matière de viols sur mineurs ( NDLR : il est aujourd'hui de vingt ans après la majorité de la victime) … Il faut toutefois être conscient que, plus le temps passe, plus il devient difficile d'obtenir des témoignages.

    À Pontoise, un homme de 28 ans est poursuivi pour avoir eu des relations sexuelles avec une préadolescente de 11 ans. À partir de quel âge est-on en mesure de dire « non » ?

    Comment imaginer qu' une enfant de 11 ans puisse, en conscience, être d'accord pour une telle relation? En dessous d'un certain âge, il ne peut pas y avoir de consentement. En matière de viol d'un majeur sur un mineur, ce seuil pourrait donc être fixé à 13 ans. Il y aurait ainsi une cohérence avec l'ordonnance de 1945 sur la protection des mineurs : 13 ans, c'est l'âge à partir duquel on est accessible à des sanctions pénales. Ce serait le seuil du discernement, en quelque sorte.