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Interview

Fait religieux en entreprise : « la prise de conscience est très lente »

INTERVIEW - Les entreprises doivent organiser leur propre dispositif face à la montée des revendications religieuses et identitaires, explique Anne Giudicelli, directrice de Terr (o) risc, société de conseil sur la problématique du risque.

Anne Giudicelli, directrice de Terr (o) risc, société de conseil sur la problématique du risque.
Anne Giudicelli, directrice de Terr (o) risc, société de conseil sur la problématique du risque. (@VOLLMER)

Par Sophie Amsili

Publié le 23 févr. 2018 à 20:39Mis à jour le 24 févr. 2018 à 17:12

Le plan de lutte contre la radicalisation présenté ce vendredi par le gouvernement se concentre principalement sur les prisons et les écoles. L'entreprise est-elle la grande oubliée ?

C'est normal que l'Etat se concentre sur ses institutions. Mais c'est vrai qu'il y aurait pu y avoir un mot sur les entreprises, pour les aider à prendre conscience du phénomène, à organiser leur propre dispositif face à la montée des revendications religieuses et identitaires. La jurisprudence reste floue, on est encore beaucoup dans le cas par cas.

A quelles difficultés les entreprises françaises font-elles face aujourd'hui ?

Il faut différencier deux niveaux de difficulté. Le premier est purement sécuritaire : des faits de violence de la part d'employés radicalisés. Pour y faire face, il existe des canaux de dialogue avec l'Etat, qui pourra faire des vérifications, agir…

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Le deuxième, qui pose davantage problème car les entreprises s'en préoccupent peu, est l'émergence de demandes identitaires et religieuses. D'après une étude récente de l'institut Randstad, elles ne cessent de progresser dans les entreprises : 65 % des salariés en ont observé sur leur lieu de travail en 2017, contre 50 % deux ans plus tôt.

Cela va de demandes gérables comme celles de congés pour des fêtes religieuses ou d'heures de travail modifiées - où le dialogue est possible - à des refus plus problématiques, par exemple de travailler avec le sexe opposé ou bien de ne pas toucher à des matériaux qui contiennent de l'alcool, qui peuvent aboutir à un refus de travail.

Si les cas conflictuels restent minoritaires (7,5 % selon l'institut Randstad), ces faits peuvent tout de même porter préjudice à l'entreprise. Sa cohésion peut être mise en danger, la légitimité du responsable hiérarchique peut être remise en cause.

Mais la prise de conscience est très lente, même si les attentats de 2015 en France l'ont un peu accélérée. Les signalements de ces faits ne remontent pas forcément en haut de la hiérarchie, qui, elle, regarde les chiffres des ventes et constate que tout va bien.

Comment les entreprises réagissent-elles ?

Tout dépend de leur culture, de leur maturité au sujet de ce phénomène. Soit c'est une réaction hystérisée, parce qu'on parle de religion et qu'on pense aux attentats. Soit elles sont dans le déni, parce qu'elles ne voient pas d'impact sur l'activité de l'entreprise. Dans les deux cas, la réaction est biaisée, elle ne permet pas de prendre le sujet à bras-le-corps.

Or il faut pouvoir en parler pour trouver des solutions, normaliser cette question et la traiter comme un autre aspect du droit du travail.

Que faudrait-il donc faire ?

Cela dépend si le dialogue est possible face aux demandes. Si la situation est complètement bloquée, il n'y a plus que la clause de mobilité qui peut éventuellement aider à résoudre le problème ou bien la rupture conventionnelle pour éviter le conflit.

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Mais l'idéal, bien sûr, est de prévenir la crise. Dès qu'il y a une prise de conscience du problème, les entreprises travaillent donc à mettre en place un dispositif dans le règlement intérieur qui, en plus de respecter le droit, soit conforme à l'identité du groupe et la protège dans sa cohésion et sa dimension sécuritaire. Peu d'entreprises l'ont déjà fait. Le but est de créer une « souplesse encadrée » pour faire face aux demandes.

Sophie Amsili

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