
On les dit feignants, peu motivés et désinvoltes sur le lieu de travail. Mythes ou clichés, un malaise persiste. Et s’il n’était dû qu’à des imaginaires divergents du travail ?
« Certains jeunes avec qui je travaille manquent de structure à tous les niveaux. Ils sont incapables de faire correctement ce qu’on leur demande, ils se justifient systématiquement quand on le leur fait remarquer, et sont totalement détachés ». Le constat de Laura*, 36 ans et consultante associée d’une agence de conseil en communication indépendante, est sans appel : travailler avec les millennials, c’est l’enfer.
Elle constate des différences d’attitude fondamentales entre celles et ceux qui ont toujours eu l’habitude d’avoir un smartphone entre les mains pour travailler, et les autres. « Évidemment, je généralise et ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais ils sont globalement incapables de chercher une information sur un sujet : ils tapent une requête sur Google et me sortent ce qu’ils ont trouvé sur Wikipédia, sans rien vérifier ni chercher à comprendre pourquoi je leur demande ça ». Elle déplore un détachement total. « La notion du "droit à" est hyper forte : j’ai le droit de partir tôt, j’ai le droit de prendre de longues pauses déjeuner, j’ai le droit de me mettre en arrêt maladie pour un mal de tête… sans aucune conscience des conséquences sur l’appréciation de leur maître de stage. C’est à la fois un manque d’implication et une forme de détente absolue ».
Avant, on avait peur de ne pas avoir de job. Aujourd’hui, on a peur de ne pas avoir un emploi qui nous plaise.
L’avis du sociologue : « le ras-le-bol est la manifestation d’une divergence totale d’imaginaire entre les jeunes qui entrent sur le marché du travail et les plus anciens »
Lorsqu’on aborde le sujet auprès du sociologue Stéphane Hugon, il invite dans un premier temps à faire preuve de prudence. Pour lui, difficile de caractériser toute une génération qui n’a de commun que l’âge. « Il existe autant de définitions des millennials qu’il y a de profils », explique-t-il.
Il admet néanmoins constater une espèce de « ras-le-bol » qui cristallise les différentes conceptions de l’entreprise entre « les jeunes entrants » et les autres.
- La fin des héros
Pour Stéphane Hugon, il faut dépasser la seule échelle de la génération et se placer dans un cycle plus long : alors qu’aux XIXe et XXe siècle la notion du héros avait infiltré les sphères politiques et business, elle séduit beaucoup moins aujourd’hui. Plus besoin de jouer au superhumain : on préfère le bien-être au salaire, une ambiance sympa à un statut qui impressionne, et miser sur le collectif plutôt que l’ego.
- La mort du sacrifice
Dans une conception très judéo-chrétienne du travail, on considère l’effort comme indispensable. « Le sacrifice présent se fait dans une attente de la célébration de l’avenir ». Un concept qui échappe totalement aux millennials, qui ont le sentiment que le travail ne doit pas s’opposer au plaisir. C’est aussi parce que le rapport au temps est très différent : « ils ne croient pas au mythe du progrès, car ils sont incapables de se projeter ». Le résultat, c’est une posture qui peut passer pour de la désinvolture : on ne s’engage pas à fond au prétexte d’un potentiel plaisir à venir, mais on ne conteste pas pour autant l’état de fait. « C’est quelque chose qui agace beaucoup, et qui les fait passer pour inconséquents ».
- Finie la hiérarchie : place à la collaboration
Sur fond de crispations, les critiques à l’encontre des plus jeunes témoignent d’un temps déjà révolu : ils ne respectent plus la hiérarchie ? C’est que l’idée même de hiérarchie est obsolète. « C’est cela qui pose problème : on maintient des principes illusoires et illégitimes ». Les fondamentaux que l’on inculque dès l’école primaire ( « on ne copie pas » - « on travaille seul » - « on est premier de la classe » ), sur lesquels reposaient la conception du travail comme émancipation de soi, sont bousculés. On privilégie l’échange, la mutualisation des savoirs, le partage : la multiplication des fablab en est l’incarnation parfaite. « Nous revenons à une logique d’ateliers à l’ancienne où tout le monde travaille ensemble – les gens ne sont plus coincés derrière un ordinateur ». En s’inspirant des Compagnons du Devoir plutôt que des grandes multinationales ?
- Tout sauf l’ennui
On l’a dit : le rapport au temps a changé, et pour celles et ceux qui ont l’habitude de l’immédiateté, le « report de jouissance » promis par des avantages lointains lors des recrutements ne fonctionne plus. « Ils veulent savoir ce qui se passera le jour même, être passionnés tout de suite ». Une tendance qui s’incarne dans les nouvelles définitions que prennent le sens (direction vs signification) et l’expérience (accumulation dans la durée vs quelque chose de ponctuel qui est vécu avec émotion).
En conclusion, Stéphane Hugon souhaite réunir les camps : oui, les jeunes savent travailler. Mais ils ont une conception du travail radicalement différente de celle qui est ancrée chez celles et ceux qui les ont précédés. « Ça ne veut pas dire que l’une est meilleure que l’autre. Mais il va falloir trouver des points de convergence pour créer des entreprises résilientes et agiles ». Les initiatives pour trouver des terrains d’entente ont d’ailleurs tendance à se multiplier : nouveaux métiers, mise en place d’ateliers, création de programmes intrapreneuriaux… « Mais dans cette logique, les entreprises ont tendance à utiliser cette génération comme une ressource énergétique : ce sont des individus qui ne les intéressent pas en soi, mais qui peuvent servir de médiation pour stimuler les autres. Beaucoup de grands groupes vont chercher un effet intergénérationnel pour ramener un peu d’innovation et d’énergie au sein des troupes ! »
Attention à ne pas en abuser – une ressource, ça peut s’épuiser…
*Le prénom a été changé
[…] Et une conséquence négative : les jeunes employés se désengagent très facilement si le poste ne leur convient pas immédiatemen…. […]
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