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L’Italie va mieux, les Italiens en doutent

Tous les indicateurs économiques indiquent que l’Italie est en train de sortir de la crise économique. Mais les Italiens qui iront voter lors des élections législatives du 4 mars prochain ne partagent pas cet optimisme

Une maison à l’abandon à Rome. L’Italie reste profondément fragilisée par la crise et demeure marquée par des inégalités importantes.  — © TONY GENTILE/Reuters
Une maison à l’abandon à Rome. L’Italie reste profondément fragilisée par la crise et demeure marquée par des inégalités importantes.  — © TONY GENTILE/Reuters

«L’Etat restera au sein de Monte dei Paschi di Siena encore des années.» L’homme qui répond ainsi à la question d’une syndicaliste de Sienne, inquiète du sort du plus vieil institut bancaire du monde, n’est pas Pier Carlo Padoan, le ministre de l’Economie italienne. Ces paroles sont celles de Pier Carlo Padoan, candidat du Parti démocrate (PD, centre gauche) au parlement aux prochaines élections législatives.

Comme un symbole, Matteo Renzi a choisi son fidèle ministre pour aller défendre son propre bilan économique. Mieux, il l’a envoyé dans l’épicentre même de la crise bancaire italienne, dont le système est criblé de dizaines de milliards d’euros de créances douteuses. Monte dei Paschi a été sauvée par l’Etat l’été dernier. Moins de deux ans après le sauvetage de quatre autres instituts bancaires. Fin 2015, des centaines de petits épargnants perdaient malgré tout leurs économies, poussant même un retraité au suicide. Le gouvernement avait promis de tous les rembourser.

© CARLO HERMANN
© CARLO HERMANN

Au nom de ces petits épargnants, le Mouvement 5 étoiles (M5S), en tête des intentions de vote, s’est posé en défenseur de ces «laissés-pour-compte». La formation populiste créée par l’humoriste Beppe Grillo n’a de cesse de dénoncer ceux qui, au pouvoir, ont «protégé les banquiers». Un tiers des Italiens sont prêts à lui donner leurs voix. Le M5S concentre certes encore le vote de contestation, mais capitalise sur le sentiment des Italiens de ne pas sortir de la crise économique qui a frappé le pays il y a une dizaine d’années. Durant cette période, des exécutifs de centre gauche comme de centre droit se sont succédé.

A ce propos:  Le Mouvement 5 étoiles en tête des sondages

L’économie va mieux

Pourtant, objectivement, l’Italie va mieux. Tous les indicateurs montrent que le pays est en train de sortir de la crise. Les chiffres de la croissance du PIB sont légèrement positifs depuis 2014. En 2017, celui-ci a augmenté de 1,4% par rapport à l’année précédente, la plus forte croissance depuis sept ans. «L’Italie n’est pas revenue au niveau de production pré-crise, analyse Francesco Daveri, enseignant d’économie à l’Université Bocconi de Milan. Mais son économie est en train de croître, trois ans de suite sans interruption.» Pourtant, fin 2017, seuls 4% des Italiens partageaient cet optimisme, selon un sondage de l’institut Eumetra Monterosa. 67% d’entre eux avaient le sentiment de vivre toujours en période de crise.

«L’économie réelle est repartie, mais on ne peut pas dire que je suis optimiste, détaille Franco Mosconi, professeur d’économie à l’Université de Parme. Ce ne serait pas juste envers le tissu social du pays.» Car certains chiffres fâchent: fin 2017, le taux de chômage était de 10,6%, contre 6,1% dix ans plus tôt. Les 15-24 ans font partie de la frange de la population la plus touchée, près d’un jeune sur trois. Certes, le chômage baisse. «Le nombre de personnes travaillant a augmenté, mais aussi ceux qui recherchent un emploi, nuance cependant Francesco Daveri. Cela explique le taux de chômage encore très élevé, ainsi que la perception pessimiste» des Italiens.

Notre blogueur Alberto Mocchi  a écrit une série d'analyses des partis italiens en vue de ces élections.

La société demeure fracturée

Les inégalités sociales toujours croissantes viennent encore alimenter davantage ce pessimisme. Selon un rapport de l’ONG Oxfam, un cinquième de la population la plus riche détenait, mi-2017, les deux tiers des richesses du pays. Entre 2006 et 2016, cet écart s’est creusé encore davantage. La part de revenu national disponible pour les 10% les plus pauvres de la société italienne a diminué de 28%.

«Quand une société devient plus inégale, elle devient plus difficile à gouverner», regrette le professeur Franco Mosconi, expliquant indirectement le succès des partis populistes en Italie tels que le Mouvement 5 étoiles, la Ligue ou encore les petites formations de l’ultra-droite, dont les intentions de vote ont augmenté entre les élections de 2013 et celles du 4 mars prochain. «Une part grandissante de personnes sont exclues du «jeu économique», elles ne participent donc plus à la croissance» du pays. Difficile pour elles de se réjouir des signes encourageants de sortie de crise.

«L’économie réelle est repartie et cette poussée vient de l’industrie, détaille le professeur de l’Université de Parme. Côté finances publiques, les comptes sont aujourd’hui sous contrôle.» Bien sûr, tous les secteurs du made in Italy, de la mode à l’industrie alimentaire, ont souffert, à l’exception de multinationales ayant pu investir à l’étranger ou des secteurs de niche, comme le cluster bolonais des machines d’emballage. Mais selon l’observatoire Cerved, le nombre de faillites au premier semestre de l’année dernière a baissé, revenant au niveau d’avant la crise. Des signaux positifs salués par le président du Conseil sortant, fin 2017. «L’Italie s’est remise en marche, lançait Paolo Gentiloni. Grâce aux entreprises et aux familles.» Les premières l’ont senti, pas les secondes.

Notre éditorial, le 12 février:  En Italie, les élections de la peur

80 euros pour sortir les Italiens de la crise

L’ancien président du Conseil Matteo Renzi fait campagne en revendiquant le bilan de ses trois ans au pouvoir

Les Italiens les appellent sobrement «les 80 euros». Promise et mise en place par Matteo Renzi dès le début de son mandat, cette somme d’argent est versée tous les mois aux employés gagnant moins de 1500 euros mensuels. En cas de victoire, l’ancien premier ministre et secrétaire du Parti démocrate au pouvoir promet d’étendre cette «mesure universelle de soutien» à «chaque enfant jusqu’à ses 18 ans».

© MATTEO BAZZI
© MATTEO BAZZI

Cette mesure, sur laquelle celui qui est aujourd’hui aussi candidat au Sénat a beaucoup communiqué, a pourtant été énormément critiquée. Elle a été taxée par l’opposition de «pourboire électoral». Pour le gouvernement démocrate, il s’agit pourtant bien d’un levier pour lutter contre les inégalités. «C’est une mesure d’équité sociale, explique au Temps Yoram Gutgeld, député démocrate à l’origine de ce projet. Alors que les taxes étaient élevées pour la classe moyenne et les revenus les plus bas, nous avons créé un correctif qui sans doute pour la première fois vise à une meilleure redistribution des ressources.»

Quel bilan en tirer? Pour le professeur à l’Université Bocconi de Milan Francesco Daveri, les «80 euros» ont bien influé sur l’économie réelle. «Il n’y a pas d’études scientifiques pour montrer ce qui s’est vraiment passé, confie-t-il d’abord. Mais je dirais que les Italiens ont dans un premier temps économisé ces 80 euros, puis les ont dépensés. L’effet sur la consommation que la mesure visait a été obtenu. L’effet principal s’est ressenti sur la confiance, ce qui a contribué à augmenter la consommation.» «Notre objectif était de faire repartir l’économie le plus vite possible», analyse Yoram Gutgeld, baptisé par L’Espresso «l’homme des Renzinomics».

Un Jobs Act mitigé

En plus des «80 euros» mis en place, le président du Conseil italien lance en 2015 la réforme phare de son mandat, le Jobs Act. Elle vise à rendre le marché du travail plus flexible, en introduisant des CDI «à protection croissante», avec une période d’essai de trois ans. Le licenciement est plus facile pour l’employeur, qui est exonéré de cotisations sociales pendant trois ans pour toute nouvelle embauche en 2015. «Notre but était d’éliminer les barrières imposées aux entrepreneurs par un marché du travail rigide, dans un contexte où les banques ne prêtent plus et la bureaucratie est lente», poursuit Yoram Gutgeld.

«L’allégement fiscal (aux employeurs) a donné l’illusion d’effets énormes, avance le professeur Francesco Daveri, avant que l’on comprenne que les entreprises embauchaient à durée indéterminée seulement grâce à un rabais temporaire» disparu par la suite. Le Jobs Act reste néanmoins une fierté de Matteo Renzi. Sa réforme est la deuxième «chose faite» mentionnée dans son programme. En cas de victoire électorale, il compte renforcer le travail à durée indéterminée en baissant le coût de la main-d’œuvre.

Un petit épargnant du M5S face au premier ministre

L’homme est totalement inconnu. En campagne électorale, il arpente les rues de Rome à bord d’une petite caravane aux couleurs jaune et blanche du Mouvement 5 étoiles (M5S) et frappe à toutes les portes. Angiolino Cirulli est discret, les mains fourrées au fond de son manteau noir à capuche quand il rencontre ses potentiels électeurs. Ce Romain d’adoption de 53 ans est candidat à la Chambre des députés dans la première circonscription de la capitale. Son adversaire est Paolo Gentiloni, président du Conseil sortant proche de l’ancien premier ministre Matteo Renzi.

Le candidat étoilé est un petit entrepreneur. Il possède une «activité artisanale depuis vingt ans». Il fait partie des épargnants ayant perdu toutes leurs économies dans le sauvetage de quatre petites banques, fin 2015. Il avait investi, comme des milliers d’autres personnes, dans des produits s’étant avérés toxiques. Le gouvernement démocrate avait promis de tous les rembourser. «Le M5S est le seul à ne pas avoir voté le décret sauvant les banques et le seul à avoir ensuite partagé notre malheur, assure le nouveau politicien. J’ai choisi d’entrer en politique car c’est le seul moyen de faire changer les choses.»

Luigi Di Maio, le jeune leader de la formation populiste fondée par l’humoriste Beppe Grillo il y a bientôt dix ans, a monté ce candidat en symbole contre la caste au pouvoir. Fin janvier, le candidat au poste de président du Conseil présentait à Rome les candidats choisis parmi la société civile. Angiolino Cirulli «est le premier à avoir dénoncé la fraude bancaire, lâchait le vice-président de la chambre basse. Nous le présentons contre celui qui a fait partie de ces gouvernements ayant protégé les banquiers.»