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Au Liban, les mariages d’adolescentes continuent de prospérer

Le film Nour replace le débat sur le ‘mariage’ des adolescentes au centre du débat au Liban. IMDB

Au Liban, les lois protègent si peu les jeunes femmes que de nombreuses adolescentes sont encore bien souvent confrontées au mariage précoce, de gré ou de force. La question d’une législation en faveur d’un âge minimal légal du mariage reste en suspens, malgré de nombreuses tentatives issues de la société civile pour faire évoluer le débat. À l’approche des élections parlementaires (le 6 mai prochain), les parlementaires seront-ils capables de discuter de ce fléau sociétal et sexiste ?

Une loi dans les limbes

Il y a un an, une proposition de loi avait été faite par des militants et des politiciens afin d’instituer un âge légal minimum pour le mariage. La proposition est cependant restée lettre morte.

Or cette question demeure particulièrement préoccupante du fait de la présence d’un grand nombre d’adolescentes syriennes réfugiées. Selon une étude de la Commission libanaise dédiée aux femmes réfugiées, de très jeunes Syriennes sont mariées de gré ou de force par nécessité économique (afin de subvenir aux besoins des adolescentes ou de leurs familles) et par crainte des viols et des répercussions sociales et morales sur les familles.

En dehors des communautés de réfugiés, près de 6 % des femmes au Liban ayant entre 20 et 24 ans ont été par ailleurs mariées avant l’âge de 18 ans.

Mariages précoces

En cause, les lois coutumières. Il existe actuellement 18 confessions officielles et 15 règles coutumières acceptées. Peu importe la confession dans laquelle elles sont inscrites, toutes ces lois sont discriminantes envers les femmes. Certes, un âge minimum pour se marier existe au sein de certains codes de la famille relevant du droit coutumier mais les tribunaux choisissent de faire des exceptions au gré des cas.

En permettant ces mariages, le Liban viole la Convention internationale sur les droits de l’Enfance – qu’il a pourtant ratifiée sans réserve en 1991 – et plus spécifiquement sur la question du consentement au mariage.

La société civile a particulièrement pris à cœur cette question ces dernières années, en tentant de pousser le gouvernement libanais afin qu’il légifère.

En 2014, au sein de l’Université libanaise américaine, l’Institut pour les études sur les femmes dans le monde arabe que je dirige, a, en collaboration avec la Commission nationale pour les femmes libanaises orchestré toute une campagne afin de protéger les jeunes filles d’un mariage précoce.

Nous travaillons désormais avec la Commission dédiée aux femmes réfugiées et l’université John Hopkins sur cette question particulièrement présente au sein des familles syriennes réfugiées au Liban.

Des jeunes réfugiées syriennes ont réalisé une série de dessins sur le thème du mariage précoce dans un centre d’accueil au sud du Liban. Russel Watkins/UK Department for International Development, CC BY-SA

Cette année, des représentants du projet ont soumis au Comité des droits de l’Enfance un rapport sur les obligations du pays sur la question du mariage des enfants qui a été particulièrement débattue par les experts présents.

Questionner les normes sociales

La lutte pour mettre fin aux mariages précoces gagne donc du terrain. Mais pour vaincre, il faut avant tout sensibiliser les populations. L’une des initiatives proposées par des associations dédiées à la protection de l’enfance a été de réunir des pères, de les sensibiliser à la nécessité de protéger leurs filles, et à l’impact qu’un mariage précoce peut avoir sur leur enfant et sa future famille.

D’autres actions se font jour parmi les artistes. Le réalisateur libanais Khalil Dreyfus Zaarour, plusieurs fois primé, s’est attaqué au sujet dans le long-métrage Nour, une fiction inspirée d’histoires vraies et récemment projetée à l’Institut du monde arabe à Paris.

Bande annonce du film Nour.

Dans ce film, Nour, 15 ans, est obligée d’épouser Maurice, un quinquagénaire qu’elle méprise. Du jour au lendemain, sa vie d’adolescente insouciante bascule et se métamorphose en un quotidien étouffant composé de tâches ménagères. Nour fait alors le deuil de son enfance perdue et de ses rêves détruits.

Pour Zaarour, avec qui nous nous sommes entretenues, ce film est crucial car il soulève un pan sur une réalité peu connue en dehors du Liban, montrant le pays tel qu’il est : faisant fi des droits de l’Homme et particulièrement inégalitaire.

S’appuyant sur des témoignages de douzaines de femmes rencontrées, Zaarour a mis en scène leurs histoires dans son film :

« Je veux me battre pour l’égalité et pour l’abolition du patriarcat. Je veux que les hommes et les femmes aient les mêmes droits, les mêmes opportunités. »

Dans le film, Nour doit gérer avec le changement brutal qui survient dans sa vie, comme de nombreuses adolescentes au Liban. Ces mariages propulsent les femmes dans des rôles d’adultes mal préparés, voire dangereux. Beaucoup ne sont pas prêtes à affronter ces relations sexuelles, et encore moins les grossesses qui en découlent.

Une loi ne suffit pas

Si les propositions de loi pour instaurer un âge légal minium pour le mariage apparaissent comme des développements positifs et nécessaires, elles demeurent fragilisées par une situation politique instable.

De même, la détresse, la précarité et l’avenir des jeunes filles syriennes sont des questions indissociables de celle de la crise des réfugiés qui contribue à affaiblir les infrastructures libanaises, une situation maintes fois dénoncée par le gouvernement libanais auprès de la communauté internationale.

Ces problèmes limitent considérablement toute mobilisation autour du mariage des enfants au Liban. Les discussions actuelles, y compris à l’approche des élections parlementaires, ont ainsi mis de côté les questions de genre.

La vie et les rêves de Nour sont détruits par son mariage à un homme plus âgé, une pratique encore courante au Liban. IMDB

Un défi pour les féministes

Bien que les défenseurs d’un âge minimum légal ne manquent pas, une large partie partie de la population estime que ce problème ne concerne finalement que les réfugiés syriens. Certains débattent aussi de l’âge exact et se demandent si la loi devrait court-circuiter (ou non) les règles coutumières.

Enfin, la question linguistique demeure : les termes « mariage précoce », « mariage des enfants », « mariage forcé » sont utilisés indifféremment. Pourtant ces mariages sous-entendent un acte sexuel avec une fille de moins de 18 ans dont on peut légitimement douter du consentement : un crime que l’on pourrait requalifier de viol sur mineur.

Peut-être qu’un film tel que Nour pourrait enfin attiser le débat et l’emmener bien au-delà des frontières libanaises et même, qui sait, initier un véritable changement législatif.

This article was originally published in English

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