Il s’appelle Leonid Sloutski et occupe le poste de vice-président de la Douma (Chambre basse du parlement russe). Ultra-patriote, orthodoxe pieux, 100% loyal envers le Kremlin. Elles, ce sont d’abord trois journalistes suivant les affaires parlementaires. Elles ont tour à tour lancé l’alerte sur des petits médias indépendants, sous la forme de témoignages anonymes. Puis une quatrième, Ekaterina Kotrikadze, première à témoigner à visage découvert depuis New York, où elle dirige la rédaction de la chaîne câblée russophone RTVI. Enfin, la candidate à la présidentielle russe Ksenia Sobtchak s’en est mêlée mercredi en demandant qu’une enquête soit menée par le comité d’éthique au sein du parlement.
A une distance confortable des tribunaux russes et de son ancien tourmenteur, Ekaterina Kotrikadze a raconté les détails d’un calvaire qui s’est déroulé il y a sept ans. Selon elle, Leonid Sloutski l’a invitée dans son bureau au parlement, sous prétexte d’arranger les détails d’une interview télévisée. «Dès que la porte s’est refermée, il a tenté de me toucher et de m’embrasser», raconte Kotrikadze, qui s’est immédiatement sauvée. Elle se dit «certaine que beaucoup d’autres journalistes sont également victimes […] mais personne n’en parle car c’est la garantie d’être l’objet d’innombrables vexations, d’accusation de mensonge et de diffamation servant des intrigues politiques».
Nier en bloc
Dès la première accusation anonyme contre lui, Leonid Sloutski a énergiquement réagi en niant tout en bloc sur son compte Twitter et surtout en menaçant les médias répandant les accusations de poursuites judiciaires. Mais en parallèle, il plaisantait sur Facebook avec ses confrères parlementaires sur la manière d’aborder les femmes journalistes. «Leonid Edouardovitch [Sloutski], c’est inacceptable! Faites porter le chapeau à d’autres membres du comité. Je suis prêt à prendre sur moi quelques journalistes!» ironise le député Anton Morozov. «On en discute», répond l’intéressé. «Moi aussi j’en veux trois», en rajoute un autre larron. «Ralentissez un peu, collègues! Où vais-je vous trouver autant de journalistes?» rétorque Sloutski, dans un post récoltant 20 likes.
Депутат Леонид Слуцкий в сообществе других депутатов обсуждает журналисток, обвинивших его в домогательстве. Клуб английских сэров, честное слово pic.twitter.com/M1yHYQozLh
— Здесь Шепелин (@ilya_shepelin) 26 février 2018
Sans surprise, les collègues du vice-président ont fait bloc autour de lui. Igor Lebedev, également vice-président de la Douma, a réclamé que la chaîne câblée Dojd (qui a publié le second témoignage anonyme) soit privée de son accréditation au parlement. Les femmes députées ne sont pas en reste. Présidente du Comité des affaires de la famille, des femmes et des enfants, Tamara Pletneva a fièrement affirmé: «Nous ne sommes ni en Amérique, ni en Europe. Si une femme y est opposée, personne ne la harcèlera.»
Patriotisme plus fort
Jusqu’ici, la campagne #MeToo (#BalanceTonPorc en français) avait fait chou blanc. La variante russe #янебоюсьсказать («je n’ai pas peur de m’exprimer»), apparue en octobre dernier, a eu à peine le temps d’affleurer les médias en ligne qu’elle a été balayée par la vague «patriotique» classant tout ce qui remet en cause le patriarcat et les «valeurs traditionnelles» parmi les «attaques de l’Occident décadent contre la Russie». La campagne s’est limitée à des publications de témoignages sur Facebook. Une poignée de célébrités ont confessé avoir été victimes de harcèlement de la part de réalisateurs, directeurs de théâtre, etc. Mais jamais jusqu’à aujourd’hui un seul nom de tourmenteur n’avait été cité.