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Les fragiles progrès de l’Afrique en matière de nutrition et d’éducation

Outil précieux pour les politiques sanitaires, une cartographie précise révèle les avancées mais aussi les inégalités persistantes sur le continent.

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Publié le 01 mars 2018 à 18h29, modifié le 01 mars 2018 à 18h29

Temps de Lecture 6 min.

Des écoliers masai jouent au football au Kenya, en janvier 2018.

« Sans bonnes données, nous avançons à l’aveugle. Si vous ne voyez rien, vous ne résolvez rien. » C’est en ces termes que l’ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, commente, dans la revue scientifique Nature datée du jeudi 1er mars, la parution de deux articles importants sur l’évolution en Afrique des retards de croissance des enfants, d’une part, et de l’éducation reçue, d’autre part, entre 2000 et 2015. Ces deux articles « jumeaux » sont l’œuvre de chercheurs de l’Institut de statistiques et d’évaluation de la santé à l’Université de l’Etat de Washington, dirigé par le professeur Simon Hay, avec la collaboration de scientifiques de plusieurs autres continents.

Grâce à des outils d’analyse et une modélisation, ces chercheurs ont dressé des cartes détaillant le continent africain à l’échelle de carrés de 5 km sur 5. Cette précision va au-delà des statistiques officielles nationales et, en révélant des inégalités à une échelle plus fine, devrait servir à une meilleure allocation des ressources pour la santé publique.

Réputée dans le monde entier, notamment pour la publication annuelle d’une évaluation mondiale de la charge que représentent pour chaque pays les principales maladies, l’équipe basée à Seattle a choisi deux paramètres cruciaux : la malnutrition et l’éducation. Elle leur a appliqué son approche géospatiale pour analyser les données des années 2000, 2010 et 2015. Puis l’équipe a effectué des projections pour 2025 et 2030 afin de prédire le degré de réalisation de deux cibles : celle fixée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de diminuer de 40 % d’ici à 2025 le nombre d’enfants ayant un retard de croissance, et celle des Objectifs de développement durable (ODD) d’en finir avec la malnutrition et la faim d’ici à 2030.

Au Sahel, des niveaux élevés de retard de croissance

La malnutrition peut entraîner un retard staturo-pondéral se traduisant par une taille ou un poids en dessous de la norme, ou bien un poids insuffisant pour la taille, ces différentes manifestations pouvant se combiner. Sur ce thème, les chercheurs ont travaillé avec les données concernant les enfants de moins de 5 ans provenant de plusieurs enquêtes dans des dizaines de milliers de villages africains.

L’autre paramètre, l’éducation, est un facteur clé du développement et a un retentissement majeur sur la santé maternelle et infantile : plus la scolarisation est élevée, meilleurs seront les indicateurs sanitaires. Le quatrième ODD fixe la perspective d’une éducation de qualité pour tous d’ici à 2030, quels que soient le revenu, le genre et le lieu de résidence. Là, les scientifiques ont utilisé les statistiques pour les hommes et les femmes de 15 à 49 ans.

Prévalence des retards de croissance modérés à sévères, à l’échelle de résolution de 5 km sur 5, pour les années 2000, 2010 et 2015.

Les résultats sur la période 2000-2015 montrent que « pratiquement tous les pays africains ont fait la preuve de progrès en matière de croissance, de malnutrition et d’insuffisance pondérale, principales composantes du retard de croissance infantile, pour les enfants de moins de 5 ans », écrivent les auteurs de la première étude, Aaron Osgood-Zimmerman et ses collègues. Parmi les pays ayant particulièrement progressé dans le domaine de la croissance, l’article cite l’Algérie, le Burkina Faso, le Gabon, le Ghana, la Guinée équatoriale, le Mozambique et le sud du Nigeria. La prévalence de l’insuffisance pondérale a quant à elle notablement chuté en 2015 au Rwanda et, à un moindre degré, en Angola et en République démocratique du Congo (RDC). La RDC a également connu une énorme réduction de la malnutrition entre 2000 et 2015.

Cependant, l’article souligne des niveaux élevés de retard de croissance, de malnutrition et d’insuffisance pondérale dans quatorze des pays se trouvant dans la zone du Sahel, qui s’étend du Sénégal à l’Erythrée : de vastes zones en Ethiopie, dans le nord du Nigeria, en Somalie, au Soudan du Sud et au Tchad continuent d’afficher des niveaux élevés pour ces trois paramètres. Le nord du Nigeria, le sud du Niger, la RDC, le Zimbabwe, l’Angola et le nord du Mozambique connaissent des taux de retard de croissance se situant près, voire au-dessus de 40 %. Le taux de malnutrition infantile atteint 19 % au Burkina Faso, 20 % au Niger, 21 % au Soudan du Sud. Malgré des progrès substantiels, la province du Kasaï occidental (RDC) présente un taux d’insuffisance pondérale de 25 % en 2015.

De plus, les auteurs tempèrent le constat globalement positif en soulignant qu’une « frappante hétérogénéité subnationale demeure pour les niveaux et les tendances de développement de l’enfant ». « Si les rythmes actuels de progrès se maintiennent, beaucoup de parties de l’Afrique atteindront les cibles mondiales de l’OMS en 2025 pour améliorer la nutrition des mères, des bébés et des enfants, mais des niveaux élevés de retard de développement perdureront à travers le Sahel. »

Ils ajoutent : « A ce rythme, une grande partie, si ce n’est tout le continent, échouera à atteindre l’objectif de développement durable d’en finir avec la malnutrition en 2030. » Un objectif dont la formulation est jugée « cliniquement vague et presque certainement inatteignable » par les auteurs. L’article précise qu’il existe encore de « vastes étendues du continent qui doivent multiplier par deux, trois, voire quatre le rythme de leurs progrès pour parvenir aux objectifs fixés par l’OMS pour 2025 ».

Les femmes ont un niveau d’éducation inférieur

En matière d’éducation, le second article, que publient Nick Graetz et ses collègues, recense de nombreuses zones du continent africain où existent de larges écarts dans le niveau d’éducation de base entre les zones urbaines et rurales. Ils citent le cas du Nigeria, où la moyenne nationale de scolarisation est de sept années en 2015, mais la finesse de résolution de leur analyse met au jour une grande différence entre le nord et le sud du pays, où les niveaux sont respectivement de deux années et dix années. Malgré cela, des pays comme le Ghana ont fait beaucoup de progrès entre 2000 et 2015.

Là encore, la région du Sahel montre des résultats peu en progrès et à des niveaux faibles en termes d’éducation, notamment dans le nord du Nigeria, au Soudan du Sud et dans le nord du Kenya. Quatre régions rurales du Tchad présentent les durées de scolarisation les plus faibles d’Afrique, avec moins de six mois.

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Des disparités importantes persistent entre les hommes et les femmes. Le département de la Kabia, au Tchad, présente le fossé le plus grand entre les deux sexes : les hommes y ont près de six années de scolarisation de plus que les femmes. Dans 64 des 77 communes du Bénin, soit 86 % de la population, les hommes ont un niveau d’éducation supérieur aux femmes. Idem dans tous les districts de Guinée, de Guinée-Bissau, de Sierra Leone et du Togo. Même si cela n’est pas statistiquement significatif, une tendance est notée à de plus hauts niveaux d’éducation délivrée aux femmes en Afrique australe.

Dans un communiqué publié par l’Université de l’Etat de Washington, Simon Hay déclare : « Les cartes ne servent pas seulement à révéler les “points chauds” de bas niveaux d’éducation et de mauvaise alimentation des enfants, mais elles mettent également le projecteur sur les communautés mettant en œuvre avec succès des programmes éducatifs et nutritionnels durant les quinze dernières années, qui sont riches d’enseignements. La santé publique de précision est un nouveau champ d’étude qui sera inestimable au cours des douze prochaines années pour aider à cibler efficacement et équitablement les ressources. »

Il faut espérer que les autorités publiques sauront s’emparer de ces nouveaux outils pour ajuster plus finement sur le terrain les politiques de santé et de développement.

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