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Au Cameroun, le travail de forçat des casseuses de pierres

Dans la région de l’Extrême-Nord, où sévissent les djihadistes de Boko Haram, des femmes réduisent des pierres en graviers pour pouvoir scolariser leurs enfants.

Par  (Maroua, Cameroun, envoyée spéciale)

Publié le 02 mars 2018 à 12h17, modifié le 02 mars 2018 à 12h17

Temps de Lecture 3 min.

A l’entrée de Maroua, au Cameroun, les casseuses de pierres travaillent sur le bord de la route.

Des deux côtés de la route goudronnée où voitures et motos roulent à vive allure, des femmes, assises à même le sol, marteaux ou petites barres de fer entre les mains, visages suant parfois à grosses gouttes, concassent des pierres. Autour d’elles, des tas de graviers de tailles différentes ont été formés. Ils serviront à la construction ou à la réfection de routes, d’immeubles ou de maisons.

Chaque jour à Maroua, capitale régionale de l’Extrême-Nord, au Cameroun, une trentaine de casseuses de pierres investissent, dès les premières heures de la matinée, cette place rocailleuse ceinturée par les montagnes. Elles s’écorchent les doigts, se brûlent au soleil et, disent-elles, risquent souvent « la mort », pour assurer l’avenir de leur progéniture. D’après l’Institut national des statistiques, l’Extrême-Nord est la région la plus pauvre du Cameroun. C’est aussi dans cette zone frontalière du Nigeria que sévissent les djihadistes de Boko Haram.

« On souffre et on n’a pas grand-chose »

« Je casse des pierres pour que mes enfants aillent à l’école et n’intègrent pas Boko Haram. S’ils restent à la maison, ils deviendront oisifs et ne pourront pas avoir une bonne moralité. Ils seront tentés par n’importe quoi et n’importe qui », explique Jacqueline Djougoudoum. Sous un abri de fortune fait de piquets plantés dans le sol, ouvert aux quatre vents et recouvert par de vieux vêtements, cette femme de 39 ans, mère de sept enfants, s’échine à cette tâche depuis cinq ans. « Avant, je ne faisais rien, chuchote-t-elle, honteuse. Mais mes enfants ont commencé le collège et je ne pouvais plus rester inactive, car mon mari ne s’en sortait plus. Avec cet argent, je paie leur transport pour l’école, j’assure leur repas et j’aide mon mari à payer leur scolarité. »

Chaque jour, Jacqueline effectue le même rituel : elle se lève aux environs de 5 heures et prépare ses enfants pour l’école. Puis elle ramasse rapidement ses outils de travail : une cuvette et un marteau ou une petite barre de fer. Elle se rend sur les chantiers et ne s’accorde qu’une pause de trois heures, le temps de retourner chez elle cuisiner un repas pour sa famille. Elle n’achèvera son travail qu’après 17 heures.

Combien ces femmes gagnent-elles ? Avant de répondre, la plupart d’entre elles montrent leurs doigts zébrés d’écorchures. « On souffre et on n’a pas grand-chose, soupire Jacqueline. Le prix minimum d’un tas de graviers est de 500 francs CFA [0,76 euro]. Il y a des jours où je peux gagner 6 000 francs CFA et des jours où je n’ai rien. »

Elles se ravitaillent auprès des hommes qui creusent les collines et les carrières environnantes. « Ils nous vendent le tas de grosses pierres 3 000 ou 4 000 francs CFA. Nous les cassons en petits morceaux pour la revente », détaille Ruth Doudja, la soixantaine et le visage marqué par de profondes rides. Mais certaines, comme Djara, 32 ans et mère de deux enfants, vont elles-mêmes chercher les pierres sur la colline, au péril de leur vie. Car selon des témoignages, six femmes sont mortes au cours d’accidents sur la montagne. « Moi je n’ai pas le choix, explique Djara. Cette année, mes deux enfants n’ont pas pu aller à l’école, faute d’argent. Je dois me battre. Mon mari est maçon et ne trouve pas du travail. »

« Je veux juste retourner à l’école »

D’après Mahamat Salé, délégué régional pour la promotion de la femme et de la famille, plus de cent casseuses de pierres ont été répertoriées le long de la chaîne montagneuse de Maroua. « La majorité de ces femmes viennent de familles pauvres. Ce sont parfois des veuves ou des femmes qui élèvent seules leurs enfants, dit-il. C’est une activité qui leur permet d’être autonomes et c’est la raison pour laquelle nous les avons aidées à s’organiser en association afin de mieux gérer leur activité. Ainsi, elles font de petites tontines qui les aident à épargner. »

« Nous avons surtout besoin de matériel comme des brouettes, des marteaux, des pioches et même de petites machines qui nous permettront de travailler sans risquer notre vie », demande Zra Sabba, 45 ans. Comme les femmes, cet homme casse des pierres pour envoyer ses sept enfants à l’école : « Je vends des grosses pierres aux femmes, qui les cassent en petits graviers qu’elles revendent. On s’entraide et personne ne meurt de faim. » En face de lui, Naoura, rescapée des attaques de Boko Haram, appelle les « âmes de bonne volonté, les gentils », à leur fournir du matériel adapté pour qu’ils puissent « vivre dignement ».

« Moi je veux juste retourner à l’école », supplie Fadimatou, 14 ans. Son voisin, Daouda, 13 ans, a quitté les bancs en classe de 5: son père, devenu brusquement aveugle, n’avait plus de quoi payer ses études. Leur rêve ? « Faire des économies et retourner à l’école », pour ne pas risquer d’être séduits par « ces gens » de Boko Haram.

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