Les utopies sont-elles destinées à demeurer des utopies ? Telle est la question soulevée par le 50e anniversaire d’Auroville, la communauté fondée en 1968 près de Pondichéry, dans le sud de l’Inde. Le lieu est notamment célèbre pour son impressionnant temple sphérique doré (le Matrimandir), qui se visite sur rendez-vous. À l’occasion du jubilé de ce qui devait au départ devenir une “cité idéale”, Narendra Modi a fait le déplacement le 24 février, raconte The Indian Express, afin de rappeler le rêve initial de ce projet qui s’efforce aujourd’hui de survivre à ceux qui l’ont imaginé.

“Auroville a réuni des hommes et des femmes, jeunes et vieux, en transcendant les frontières et les identités”, a déclaré le Premier ministre indien, rappelant que c’est “une Française” aux origines égyptiennes et turques, Mirra Alfassa, qui en a été à l’origine, après avoir adopté la pensée du philosophe Sri Aurobindo et s’être fait appeler “Mère”. D’après Narendra Modi, Auroville parvient à faire “coexister en harmonie le matériel et le spirituel”, ce qui lui donne encore tout son sens “dans un monde pétri de science et de technologie qui aura de plus en plus besoin de repères pour assurer l’ordre social et la stabilité”.

Relations difficiles avec les villages voisins

DailyO observe qu’il aura fallu une loi rédigée dans les années 1980 par le Parti du Congrès (socialiste) alors au pouvoir “pour qu’Auroville devienne une entité légale et voie son autonomie sauvegardée”. Sa communauté, souvent comparée à une secte, a toujours été un théâtre “d’expérimentations futuristes, dans les domaines de l’énergie, de l’écologie, de l’économie ou de l’éducation”. Pour assurer l’épanouissement de ses membres, elle affirme bannir toute forme d’ego, “que celui-ci soit individuel ou collectif”, tout en respectant “le caractère unique de chaque individu”, explique le site d’information.

Un idéal qui peine manifestement à susciter l’engouement espéré au départ, puisqu’“en cinquante ans la population d’Auroville s’est […] réduite à 2500 personnes, très loin des 50 000 imaginées au départ”, tempère Carlo Pizzati, correspondant du journal italien La Stampa, installé depuis des années dans la région. D’après lui :

Au-delà des querelles et des commérages, compréhensibles au sein d’un petit groupe d’Occidentaux réfugiés au fin fond de l’Inde, la communauté entretient toujours des relations difficiles avec les villages voisins et ne parvient pas à s’imaginer un futur.”

Une communauté humaine comme les autres

Le journaliste cite l’anthologie récemment publiée par son confrère indien Akash Kapur, Auroville. Dream and Reality (“Auroville. Rêve et réalité”, non traduit en français). Si l’on en croit ce dernier, cette manifestation de l’utopie soixante-huitarde qu’est Auroville rassemble finalement “des gens normaux” et incarne, avec ses écoles, ses restaurants, ses boutiques et ses terrains de sport, toutes “les certitudes et les ambiguïtés de l’humanité”. Rien que de très banal en somme pour Carlo Pizzati, aux yeux duquel Auroville est loin d’avoir découvert “le secret de la prétendue unité humaine internationale” que recherchaient ses fondateurs.