Franklin D. Roosevelt : le New Deal

Franklin D. Roosevelt : le New Deal
Frankin Delano Roosevelt et son épouse Eleanor, le soir de son élection à la présidence des Etats-Unis, en 1932. (CULVER PICTURES / THE ART ARCHIVE / THE PICTURE DESK/AFP)

Au moment de l'investiture de Barack Obama, et en pleine crise financière, direction les Etats-Unis, avec le discours prononcé le 4 mars 1933 par Franklin D. Roosevelt dans des conditions étonnamment similaires (voir encadré ci-dessous)...

Par Franklin D. Roosevelt
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l'un des «100 discours qui ont marqué le XXe siècle»(1)

«Monsieur le président Hoover, Monsieur le président de la Cour suprême, mes Amis,

Je suis certain que mes concitoyens attendent de moi que, pour mon investiture à la présidence, je m'adresse à eux avec une franchise et une décision telles que la situation actuelle de la nation les réclame.

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C'est avant tout le moment de dire la vérité, toute la vérité, avec sincérité et sans ambages. De plus, il ne nous faut pas craindre de faire face honnêtement à la situation actuelle dans notre pays. Cette grande nation supportera les moments difficiles comme elle les a toujours supportés, cette nation revivra et prospérera.

Permettez-moi tout d'abord d'affirmer ma conviction déterminée que nous n'avons à craindre que la crainte elle-même, cette peur irraisonnée, injustifiée qui ne porte pas de nom et qui anéantit les efforts nécessaires pour transformer une retraite en progression.

À chaque fois que notre nation traversait un moment sombre, une main franche et vigoureuse a trouvé auprès du peuple lui-même cette entente et ce soutien indispensables à la victoire. Je reste persuadé que vous accorderez à nouveau ce soutien à vos dirigeants en ces journées difficiles.

Unis dans un même esprit, de mon côté ainsi que du vôtre, nous surmonterons ces difficultés. Il ne s'agit, Dieu en soit loué, que de questions matérielles. Les valeurs se sont effondrées dans des proportions incroyables, les taxes se sont envolées, notre capacité de payement a chuté, toute forme de gouvernement doit affronter une grave réduction de ses revenus, les moyens d'échange sont gelés dans les courants du commerce, les feuilles mortes de l'entreprise industrielle se ramassent partout, les paysans ne trouvent pas de marché pour leurs produits, des milliers de familles voient leurs économies de plusieurs années s'envoler.

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Ce qui est encore plus important c'est qu'une foule de citoyens sans emploi doit faire face à la dure réalité de l'existence et qu'un nombre tout aussi important peine sans grand profit. Seuls les optimistes, simples d'esprit, peuvent nier la dure réalité des choses actuelles.

Pourtant notre détresse ne provient pas d'un manque de substance. Nous ne sommes pas envahis par une armée de sauterelles. En comparaison avec les périls que nos aïeux ont dû braver parce qu'ils avaient la foi et n'avaient aucune crainte, nous devons être reconnaissants pour plus d'une raison. La nature nous prodigue sa générosité et les efforts de l'homme la font fructifier. L'abondance se trouve à portée de main, mais la perspective d'une utilisation généreuse de celle-ci s'évanouit à la seule vue des provisions.

Cela s'explique premièrement par le fait que les dirigeants qui président aux échanges des biens de l'humanité ont échoué par leur propre obstination et leur propre incompétence, pour ensuite admettre leur échec et abdiquer. Les pratiques de cambistes sans scrupules restent l'objet de l'accusation publique. Les hommes les ont rejetés du fond de leur cœur et de leur esprit. Il est vrai qu'ils ont essayé d'agir, mais leurs efforts sont moulés sur une coutume obsolète. Face au manque de crédit, ils n'ont rien trouvé de mieux que de prêter davantage.

Privés de l'attrait du profit grâce auquel ils incitaient la population à les suivre, ils n'ont eu d'autre recours que d'exhorter, larmoyants, les citoyens à leur rendre la confiance perdue. Ils ne connaissent que les lois d'une génération d'égoïstes. Il leur manque une vision d'avenir et sans celle-ci, les gens vont à leur perte. Les marchands du temple se sont enfuis de leurs postes élevés. À nous maintenant de rétablir le temple de notre civilisation dans sa vérité ancienne.

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L'étendue de cette remise en état dépend de l'intensité avec laquelle nous ferons valoir des valeurs sociales plus précieuses que le seul profit matériel. Le bonheur ne réside pas dans la seule possession de biens, il est dans la joie de l'exploit, dans la sensation de l'effort créateur.

Le plaisir et l'encouragement moral que procure le travail ne doivent plus succomber à la recherche effrénée de profits fugitifs. Ces jours sombres nous récompenseront de tous les efforts qu'ils nous auront coûtés, s'ils nous apprennent que notre destinée n'est pas d'être assistés, mais bien de nous assister nous-mêmes et nos concitoyens.

Reconnaître la fausseté des biens matériels comme critère du succès va de pair avec la remise en question de la croyance selon laquelle les fonctions officielles et les plus hautes charges politiques se mesurent seulement à l'aune de la fierté d'occuper un poste et en fonction du bénéfice personnel. Il faut mettre fin à ce comportement dans le monde bancaire et des affaires qui trop souvent a conféré au rapport de confiance l'apparence du méfait égoïste et sans cœur.

Il ne faut dès lors pas s'étonner que la confiance se dégrade, car elle ne prospère que sur l'honnêteté et sur l'honneur, sur le respect des obligations, sur la protection fidèle, sur la réalisation altruiste. Sans cela, il n'y a point de confiance.

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Une remise en état n'appelle pas uniquement des changements éthiques. Cette nation a besoin d'action, d'action tout de suite.

La première de nos grandes tâches est de mettre les gens au travail. Il ne s'agit pas là d'un problème insurmontable si nous nous y prenons avec sagesse et courage.

Nous pouvons y arriver en partie en engageant directement les gens dans les services publics, en abordant le problème comme nous le ferions pour faire face à l'urgence en cas de guerre, mais en même temps ces emplois peuvent servir à réaliser des projets indispensables en vue de stimuler et de réorganiser l'utilisation de nos ressources naturelles.

En même temps, nous devons être conscients de la surpopulation dans nos centres industriels et tenter, en entreprenant une redistribution à l'échelle nationale, d'améliorer l'utilisation des terres pour ceux qui sont adaptés à la vie agricole.

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Il est possible d'atteindre ce but en menant des efforts délibérés d'augmenter la valeur des produits agricoles et par là augmenter le pouvoir d'achat qui absorbera le produit de nos villes.

Il est possible d'y arriver en empêchant, de façon concrète, la disparition tragique, par la forclusion, de nos humbles demeures et de nos fermes.

Il est possible d'y arriver en insistant pour que le gouvernement fédéral, les États et les autorités locales veillent à réduire radicalement leurs frais.

Il est possible d'y arriver en unifiant les mesures d'aide qui actuellement sont souvent dispersées, peu rentables et inéquitables.

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Il est possible d'y arriver en planifiant et en gérant à l'échelle nationale toutes les formes de transports, de communications et de services à caractère éminemment public.

Il y a de nombreuses manières d'atteindre ce but, mais il n'est pas possible d'y arriver en ne faisant que parler. Il nous faut agir et agir rapidement.

Enfin, dans nos efforts pour une reprise de l'emploi, nous devrons nous assurer de deux garanties contre les maux du passé. Il faut un contrôle strict des activités bancaires, de crédit et d'investissement. Il faut mettre fin à la spéculation qui se sert de l'argent d'autrui et il faut prendre des dispositions pour une monnaie solide et disponible en quantité suffisante.

Telles sont les lignes d'attaque. Je vais recommander à un congrès nouveau en session extraordinaire d'adopter les mesures nécessaires à leur réalisation et je demanderai l'assistance immédiate des différents États.

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Par ce programme d'action, nous nous attaquons à la remise en ordre de notre maison nationale et à l'équilibre de nos revenus.

Nos relations commerciales internationales, toutes importantes qu'elles soient, viennent, pour ce qui est de leur urgence et de leur nécessité, après l'établissement d'une économie nationale saine.

Je privilégie, comme pratique politique, de réaliser les choses importantes d'abord. Je n'épargnerai aucun effort pour rétablir le commerce mondial par des réajustements internationaux, mais l'urgence dans mon pays ne peut pas attendre.

L'idée maîtresse qui guide les moyens spécifiques de cette reprise nationale n'est pas strictement nationaliste. C'est l'insistance, comme première préoccupation, sur l'interdépendance des différentes composantes qui constituent les États-Unis - une reconnaissance du vieil esprit pionnier américain, éternellement valable.

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C'est le chemin de la reprise, le chemin direct. C'est la plus forte assurance de la pérennité de la reprise.

Dans le domaine de la politique internationale, je recommanderais à ce pays une politique de bon voisinage, avec chaque voisin se respectant résolument et par là, respectant les droits de l'autre, avec chaque voisin respectant ses obligations et respectant la dignité des engagements qui constituent - et qui le lient à - un monde de bons voisins.

Si j'interprète correctement l'état d'esprit de nos concitoyens, nous nous rendons compte, comme jamais auparavant, de notre dépendance mutuelle. Nous comprenons que nous ne pouvons pas simplement prendre, mais que nous devons donner aussi, et que, si nous voulons aller de l'avant, nous devons marcher comme une armée bien exercée et loyale, prête à se sacrifier pour le bien d'une discipline commune, car sans une telle discipline, il n'est pas possible d'aller de l'avant et aucun commandement ne peut être efficace. 

Je suis sûr que nous sommes disposés à donner nos vies et nos biens pour une telle discipline, car elle rend possible un commandement qui vise de plus grandes réalisations.

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C'est le sacrifice que je propose, et je vous promets que les plus larges desseins nous réuniront comme une obligation sacrée, avec une unité de devoir, évoquée jusqu'ici seulement en temps de conflit armé.

Cet engagement pris, j'assume sans hésiter le commandement de cette grande armée de nos citoyens prêts à s'attaquer, dans la discipline, à nos problèmes communs.

L'action, dans cette optique et dans ce but, est possible dans la forme de gouvernement que nous avons héritée de nos ancêtres.

Notre Constitution est à ce point simple et pratique qu'il est toujours possible de répondre aux besoins les plus extraordinaires par un changement des priorités et un arrangement n'affectant en rien sa forme essentielle. 

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C'est la raison pour laquelle notre Constitution s'est avérée être le mécanisme politique le plus stable que le monde moderne ait produit. Elle a su faire face aux extensions de territoire, comme aux conflits à l'étranger, à la lutte interne, comme aux rapports internationaux.

Il faut espérer que l'équilibre normal entre les pouvoirs exécutif et législatif soit tout à fait apte à braver la tâche qui nous attend. Mais il se peut qu'une exigence sans précédent, un besoin d'action immédiate, requière que l'on s'écarte temporairement de cet équilibre caractéristique de la procédure normale.

Je suis prêt à recommander, de par ma mission constitutionnelle, les mesures qu'une nation éprouvée peut requérir dans un monde éprouvé. De telles mesures, et d'autres que le Congrès mettra au point sur la base de son expérience et de sa sagesse, je les ferai, dans les limites de mon pouvoir constitutionnel, adopter rapidement.

Mais au cas où le Congrès n'emprunterait pas une de ces voies, et que la situation du pays serait toujours critique, je ne me déroberai pas au devoir qui s'imposera alors à moi.

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Je demanderai au Congrès de pouvoir disposer du seul instrument subsistant qui soit à la hauteur de la crise - le pouvoir exécutif élargi afin d'engager un combat contre l'urgence, qui serait de la même ampleur que le pouvoir qui me serait octroyé si nous étions envahis par un ennemi extérieur.

À la confiance qui repose sur moi, je répondrai par le courage et le dévouement qui s'imposent, c'est le moins que je puisse faire.

Nous faisons face aux jours difficiles qui nous attendent dans le courage de l'unité nationale, en pleine conscience de notre recherche de valeurs morales anciennes et précieuses; avec la pure satisfaction que confère l'accomplissement strict du devoir partagé par les jeunes et les anciens à la fois.

Nous visons la garantie d'une vie harmonieuse de notre nation.

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Nous ne manquons pas de confiance dans l'avenir du principe démocratique. Le peuple des États-Unis n'a pas démérité. Dans le besoin, il a souscrit à un mandat qui réclame une action directe et vigoureuse.

Il a opté pour la discipline et un commandement fort. Il m'a fait l'instrument de sa volonté. Je l'accepte dans l'esprit du don.

Dans ce dévouement à la nation, nous demandons humblement la bénédiction de Dieu. Puisse-t-il tous nous préserver, et chacun de nous! Puisse-t-il guider mes pas dans les jours à venir!»

(1) «Les 100 discours qui ont marqué le XXe siècle», choisis et présentés par Hervé Broquet, Catherine Lanneau et Simpon Petermann, André Versaille éditeur, 820 p., 34, 90 euros.

Le contexte du New Deal

Au printemps 1933, à l'heure où un nouveau président s'apprête à entrer en fonction, les Etats-Unis sont plongés depuis trois ans et demi dans une crise économique sans précédent. Les républicains ayant manifestement échoué à la résorber, les Américains décident d'accorder leur confiance aux démocrates et au changement promis par leur candidat, Franklin Roosevelt. Sous le nom de New Deal, celui-ci propose une manière différente d'appréhender et de gérer les questions socio-économiques, en alliant libéralisme et intervention mesurée de l'Etat. [...]

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Cousin de l'ancien président républicain Théodore Roosevelt, Franklin Delano Roosevelt (1882-1945), avocat de formation, est sénateur démocrate de New York puis secrétaire adjoint à la Marine sous Wilson de 1913 à 1920. L'année suivante, il est victime d'une attaque de poliomyélite, mais la maladie ne met pas fin à sa carrière. Gouverneur de New York de 1929 à 1933, alors que la ville compte un million de chômeurs, il reçoit l'investiture du parti en juillet 1932 sur la formule, vague encore, de New Deal, soit «nouvelle donne», comme au jeu de cartes. L'idée d'annoncer une rupture forte vietn du groupe de jeunes intellectuels dont il s'est entouré, le Brain Trust. Il s'agit de rompre avec la passivité et le style de Hoover, de reconquérir la confiance des Américains en leur proposant une gestion dynamique, efficace mais empirique de la crise. En effet, le New Deal n'est pas une théorie mais le nom génétique sous lequel seront initiés un certain nombre de réformes censées redresser le pays en mettant fin aux excès du libéralisme sauvage.

***

En novembre 1932, Roosevelt est élu avec 57,5% des suffrages, 42 des 48 Etats lui ayant accordé la majorité. Toutefois, la tradition politique américaine fixe la transmission des pouvoirs au 4 mars 1933, un samedi de grisaille. Dans l'intervalle, la crise s'est encore aggravée, surtout dans le domaine bancaire. Le jour même où Roosevelt prononce son énergique discours d'investiture, de nombreuses banques ont été contraintes de fermer.

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