Publicité

Vladimir Kara-Murza, une dissidence russe empoisonnée

Ayant survécu à deux empoisonnements, cet opposant russe tenace estime être de son devoir de se battre pour une Russie démocratique. Il dénonce l’hypocrisie du système Poutine

Vladimir Kara-Murza est sans concession. Le 
              reset
              (remise des compteurs à zéro) de Barack Obama en 2009 avec la Russie? Ce fut une mauvaise idée.  — © Mark Henley
Vladimir Kara-Murza est sans concession. Le  reset (remise des compteurs à zéro) de Barack Obama en 2009 avec la Russie? Ce fut une mauvaise idée.  — © Mark Henley

Il s’excuse presque de parler un si bon français, appris à l’école à Moscou. Historien diplômé à Cambridge, journaliste ayant travaillé depuis Londres notamment pour les médias Novye Izvestia, Kommersant ainsi que la radio Echo de Moscou, Vladimir Kara-Murza nourrit un espoir: qu’après Vladimir Poutine, la Russie devienne «un pays normal, démocratique et respectueux des droits de ses citoyens».

Moscovite de cinquième génération, très à l’aise dans la langue de Shakespeare, il n’est pas de ceux qui abandonnent face à l’adversité. Empoisonné à deux reprises en 2015 et en février 2017 au moyen d’une «substance toxique inconnue» qui le plongea dans le coma, ce Russe de 36 ans a la ténacité – certains diront la radicalité – de ceux qui croient en un idéal. Descendant d’un aristocrate tatar, il en est convaincu: son pays, la Russie, qu’il aime profondément, «mérite beaucoup mieux que l’actuel régime autoritaire corrompu instauré par un ex-officier du KGB».

Notre éditorial en décembre 2017: L’apparente démocratie russe

Le Prix du courage

Petite moustache et barbichette, Vladimir Kara-Murza est aujourd’hui simplement content de nous parler, d’avoir défié les pronostics des médecins qui ne lui donnaient que 5% de chances de survie. Proche du feu opposant Boris Nemtsov, assassiné à proximité du Kremlin en 2015, Vladimir Kara-Murza ne feint pas la surprise. Le KGB puis son successeur le FSB ont développé une expertise pointue dans des laboratoires pour créer des poisons puissants et difficiles à identifier.

«Je ne sais peut-être pas qui l’a commandité, mais je sais au moins pourquoi.» Venu parler en février au Geneva Summit for Human Rights and Democracy, qui lui a attribué le Prix du courage, Vladimir Kara-Murza n’est pas retourné en Russie depuis février 2017. Même si sa famille est actuellement installée en Virginie, à proximité de Washington, il insiste: «Je suis basé en Russie. Mais je me suis donné un an pour récupérer et y retourner.»

Le militant russe n’a pas de peine à attribuer ces deux tentatives d’assassinat à son activité politique dans l’opposition russe et dans la campagne internationale pour pousser des parlements étrangers à adopter une loi «Magnitsky», du nom de l’avocat russe Sergueï Magnitsky, mort dans une prison de Moscou dans des conditions troubles. Le 16 novembre 2012, Vladimir Kara-Murza s’en souvient encore: «J’étais assis sur le balcon du Congrès américain avec Boris Nemtsov en attendant le vote sur la loi Magnitsky. Mon ami Boris m’a alors soufflé: «C’est la loi la plus pro-russe jamais adoptée à l’étranger.»

10 ans sans vraie élection

L’idée de cette loi est d’inciter les Etats à sanctionner les auteurs russes de graves violations des droits de l’homme pour les empêcher de profiter des largesses des démocraties occidentales. «C’est en Occident que ces gens envoient leurs enfants à l’école, précise, courroucé, le Moscovite, qui officie aussi comme vice-président de l’ONG Russie ouverte, fondée par l’oligarque longtemps incarcéré dans les geôles de Poutine Mikhaïl Khodorkovsky. C’est en Occident qu’ils placent leur argent volé aux citoyens russes. C’est en Occident qu’ils achètent des villas. Cette hypocrisie n’est pas acceptable.» Le Royaume-Uni, le Canada et les trois Etats baltes ont adopté des lois similaires. Vladimir Kara-Murza invite d’ailleurs la Suisse, qui a accueilli de nombreuses fortunes russes, à joindre le mouvement.

Vladimir Kara-Murza est sans concession. Le reset (remise des compteurs à zéro) de Barack Obama en 2009 avec la Russie? Ce fut une mauvaise idée. Un Etat démocratique ne doit pas se compromettre avec une dictature corrompue. Mots choisis, Vladimir Kara-Murza ne perd jamais le fil de sa pensée. Agé de 10 ans à la fin de l’URSS, il ne peut plus entendre que Vladimir Poutine est un président très populaire. «Cela fait dix-huit ans que nous n’avons pas eu de vraie élection en Russie. Il est facile d’en gagner une quand il n’y a pas d’opposants. Boris Nemtsov a été éliminé et Alexandre Navalny bloqué par une décision de justice. La popularité de Poutine n’a jamais été confirmée dans une élection libre et démocratique.»

L’honneur perdu

Quand on lui parle de l’honneur restauré de la Russie grâce à Vladimir Poutine après la chienlit des années 1990, Vladimir Kara-Murza fronce du sourcil. Il reconnaît les difficultés des années 1990 après la chute de l’URSS, mais reste convaincu que cette décennie-là est la «seule période dans l’histoire de la Russie moderne où il n’y avait pas de prisonniers politiques. Aujourd’hui, on en a au moins 117. Il y avait aussi de vraies télévisions, une vraie liberté de la presse, de vraies élections, une vraie opposition.»

Et le dissident de lancer en guise de provocation: «En 1997, la Russie est devenue membre du G8. Avec Poutine, elle s’en est fait éjecter. Est-ce restaurer l’honneur de la Russie? Pour la première fois depuis un siècle, la Russie n’a pas de frontières internationales reconnues en raison de son annexion de la Crimée. Est-ce restaurer l’honneur russe?»

Costume anthracite, chemise bleue et cravate rouge, Vladimir Kara-Murza démonte un mythe: il n’y a pas un Poutine 1.0 ou 2.0. Le maître du Kremlin est resté le même. «J’ai compris le 20 décembre 1999 qui était Poutine, onze jours avant qu’il ne devienne président ad interim. C’était le jour anniversaire de la création du KGB. En tant que premier ministre, il est allé à la place Loubianka pour inaugurer une plaque en l’honneur de Iouri Andropov.» Or, dit-il, Andropov est celui qui, en tant que patron du KGB, a développé la psychiatrie punitive pour les dissidents qui s’opposaient au régime soviétique. «La Russie est un pays de symboles», insiste-t-il. Une manière de sous-entendre qu’on ne joue pas avec eux.

Profil

1981 Naissance à Moscou.

1997 Journaliste à «Novye Izvestia».

2000 Reporter à «Kommersant».

2003 Candidat à la Douma.

2004 Correspondant à Washington de la télévision RTVI.

2016 Président de la fondation Boris Nemtsov.

2016 Vice-président de l’ONG Russie ouverte.