Récit

En Suède, de jeunes migrants préfèrent le suicide à l’expulsion

Douze mineurs et jeunes non accompagnés, âgés de 10 à 21 ans, ont mis fin à leurs jours en 2017 dans ce pays. Associations et avocats se mobilisent.
par Lou Marillier
publié le 5 mars 2018 à 20h56

Mahmoud (le prénom a été changé) est afghan. En décembre, ce jeune homme qui affirme avoir 17 ans a appris que sa demande d’asile en Suède avait été rejetée. L’Office national suédois des migrations n’a pas cru à son âge. Ni au mariage secret de sa mère sunnite et de son père chiite. Ni aux menaces de mort de la part de ses oncles. Et pas plus à ses tendances suicidaires pourtant attestées par un psychologue. A Stockholm, il est de toutes les manifestations du mouvement de protestation contre les expulsions vers l’Afghanistan Ung i Sverige (Jeunes en Suède), dont il est l’un des membres fondateurs.

Côté pile : en public, Mahmoud semble souvent enjoué, souriant et très actif. Côté face : en privé, il apparaît comme traumatisé, inquiet et dépressif. Certes, dans le dossier qui justifie sa décision, l'Office des migrations lui reconnaît une santé mentale fragile : «Votre dossier est assorti d'une évaluation physique et mentale. […] Vous n'avez pas de plan concret de vous suicider mais le risque existe. […] Il existe un risque imminent de suicide si votre demande de permis de séjour est refusée et que vous êtes renvoyé dans votre pays.» Mais pas de quoi lui accorder un statut de réfugié : «Aucune circonstance particulière n'a été relevée qui puisse permettre de comparer la dégradation de votre santé mentale à une maladie mentale qui mette votre vie en danger. L'Office des migrations estime que le seul fait que vous souffriez de symptôme de stress post-traumatique n'est pas en soi une circonstance particulièrement alarmante.»

Après avoir lu cette explication, Mahmoud va voir sa psychologue. Mais sur le chemin, il décide d'en finir et avale 80 somnifères. Il se réveille sur un lit d'hôpital. «Maintenant, peut-être me croiront-ils», lâche-t-il alors à sa famille d'accueil.

Angoisse. La situation de Mahmoud est loin d'être unique. Love Blomquist, avocat spécialiste du droit de l'enfance, est formel : «J'ai de nombreux clients dans cette situation qui ont des certificats médicaux pour le prouver, mais sans succès.»

En Suède, douze mineurs et jeunes non accompagnés, âgés de 10 à 21 ans, ont mis fin à leurs jours en 2017. Le risque de suicide est neuf fois plus élevé chez ces réfugiés que chez les jeunes du même âge nés en Suède, révèle un rapport de l’institut médical suédois Karolinska paru le 19 février. L’angoisse de l’attente et la peur d’être expulsé expliquent en grande partie la détérioration de leur santé mentale, soulignait Médecins sans frontières en début d’année. Les deux tiers des 35 369 mineurs non accompagnés arrivés en 2015 sont afghans, et la Suède continue de menacer les déboutés d’expulsion vers l’Afghanistan, où l’ONU a recensé plus de 10 000 civils morts ou blessés en 2017.

«En Afghanistan on a eu Al-Qaeda, les talibans, puis Daech, les prochains ce sont les zombies», résume Matin, un jeune Afghan dont la demande d'asile a aussi été rejetée.En cas de doute sur l'âge des demandeurs d'asile, l'Office des migrations propose des IRM du genou et des radios des dents de sagesse. Dans 79 % des cas, l'âge est revu à la hausse.

La méthode est régulièrement critiquée pour son inexactitude, y compris par le Commissaire européen aux droits de l'homme. Ou même par Volker Vieth, un scientifique allemand qui a participé à l'une des études sur lesquelles se fonde cette pratique. L'avocate de Mahmoud a donc refusé qu'il s'y soumette. Ce qui aurait pu porter atteinte à sa demande. «Si l'Office des migrations vous propose cet examen et que vous refusez de vous y soumettre, il est quasiment garanti que le jugement prouvera que vous n'êtes pas mineur. Je n'ai jamais entendu un jugement contraire dans une telle situation», assure Love Blomquist. L'Office des migrations a choisi d'avancer la date de naissance de Mahmoud de six mois, et il était donc considéré comme majeur lors du rejet de sa demande en décembre.

«Trop tard». Face à la pression des écologistes, le gouvernement de coalition (Verts et sociaux-démocrates) a proposé en novembre une loi qui permettrait aux demandeurs d'asile arrivés avant le 24 novembre 2015 en tant que mineurs (date du durcissement des lois sur l'immigration) de rester en Suède jusqu'à la fin de leurs études secondaires.

Pas de chance pour Mahmoud, arrivé en mars 2016. Des cas comme le sien, la Suède en compte 6 300 - tous arrivés «trop tard» - dont 1 300 attendent toujours une première réponse.«Va voir le Premier ministre, ont ironisé ses copains. Et quand il te demandera pourquoi tu es en retard, réponds-lui que tu as raté deux bus.» Mahmoud, qui a fait appel, s'interroge : «Peut-être que les Afghans ne sont pas des êtres humains… Je crois en Dieu, mais pourquoi Dieu a-t-il créé les Afghans ?»

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