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Royaume-Uni : l’empoisonnement de Sergueï Skripal ravive le spectre du « laboratoire des poisons » soviétique

Selon la veuve de l’ex-espion russe Alexandre Litvinenko, assassiné dans les mêmes conditions en 2006, Moscou utilise toujours « les anciennes méthodes du KGB ».

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Publié le 06 mars 2018 à 19h33, modifié le 21 mars 2018 à 10h11

Temps de Lecture 4 min.

Sergei Skripal, lors de son procès, à Moscou, en 2006.

Après que l’ancien espion russe Sergueï Skripal et sa fille Youlia ont été retrouvés inconscients dimanche 4 mars à Salisbury (sud-ouest de Londres), la police britannique a demandé de ne pas tirer de conclusions hâtives. Mais, pour Marina Litvinenko, veuve de l’ex-espion russe Alexandre Litvinenko, assassiné en 2006 à Londres, l’empoisonnement a un air de « déjà-vu ». Il porte, selon elle, la marque des services secrets russes et, derrière eux, du président Vladimir Poutine.

Boris Johnson, le ministre des affaires étrangères britannique, a évoqué mardi devant le Parlement un « incident inquiétant » et a assuré que « si l’enquête démontre la responsabilité d’un Etat, le gouvernement répondra de façon appropriée et ferme ». Dans l’après-midi, Scotland Yard a annoncé que l’enquête était confiée à l’unité de lutte antiterroriste, qui dispose de « l’expertise nécessaire ». Selon la police du Wiltshire, les enquêteurs cherchaient toujours, mardi, à identifier la substance à laquelle le père et sa fille ont été exposés.

Le « Laboratoire des poisons »

Si cette « affaire Skripal » n’a pas encore livré tous ses secrets, elle rappelle en effet d’autres exemples d’éliminations d’opposants politiques russes. Et notamment par le biais d’empoisonnement.

Le 1er novembre 2006, Alexandre Litvinenko, un opposant russe et ex-agent du KGB (service secret russe, devenu FSB en 1995), prend un thé avec Dmitry Kovtun et Andreï Lougovoï, deux anciens du FSB, pour discuter d’affaires. Peu après, Alexandre Litvinenko se sent mal. Hospitalisé deux jours plus tard, il meurt le 23 novembre. Si le rapport d’autopsie n’est pas rendu public, de grandes quantités de radiations dues au polonium-210, une substance radioactive extrêmement toxique produite en Russie, sont détectées dans ses urines.

Portrait d’Alexandre Litvinenko exposé dans une galerie de Moscou en 2007.

Une enquête officielle menée par le juge britannique Robert Owen met en cause le FSB et ajoute : « L’opération a probablement été approuvée par M. Patrouchev [Nicolas Patrouchev, ex-chef du FSB] et aussi par le président Poutine [qui, après le KGB, a fait carrière au FSB]. » Pour Moscou, cette affaire est une « blague ».

Le régime soviétique a créé dès 1921 un « laboratoire des poisons ». Aussi appelé « Laboratoire 1 », « Laboratoire 12 » et « Kamera », ce mystérieux laboratoire a été mis en place en vue de « combattre les ennemis du pouvoir soviétique » et semble avoir survécu à l’effondrement de l’URSS.

De Nikolaï Khokhlov à Alexander Litvinenko

S’il a démontré son efficacité pendant les premières années du régime soviétique, le « laboratoire des poisons » n’a pas pour autant cessé son activité après la mort de Staline. En 1957, Nikolaï Khokhlov, un officier du KGB ayant fait défection aux Etats-Unis quelques années plus tôt, est traité pour une intoxication au thallium, un métal lourd toxique comme le plomb et le mercure et s’attaquant au système nerveux central, à la suite d’une tentative d’assassinat par le KGB à Francfort.

L’une des affaires les plus célèbres de cette époque reste celle du « parapluie bulgare ». En 1978, en pleine guerre froide, le dissident bulgare Georgi Markov est « piqué » alors qu’il attend le bus à Londres par un passant, qui abandonne un parapluie. Pris d’une forte fièvre le soir même, Georgi Markov meurt trois jours plus tard. L’autopsie révèle qu’il a été empoisonné par une dose de 0,2 milligramme de ricine, un poison plus puissant que le cyanure. Selon Oleg Kalouguine et Oleg Gordievsky, deux transfuges du KGB, les services russes se seraient contentés de fournir le parapluie et le poison.

Mais toutes les tentatives d’empoisonnement ne se terminent pas par la mort de la cible. En septembre 2004, l’Ukrainien Viktor Iouchtchenko tombe gravement malade en pleine campagne présidentielle qui l’oppose à Viktor Ianoukovitch, le candidat de Moscou. Des médecins autrichiens identifient un empoisonnement à la dioxine. Malgré les traitements, le visage de M. Iouchtchenko, élu à la tête de l’Ukraine en janvier 2005, en porte désormais les stigmates.

Les anciennes méthodes du KGB

Les morts suspectes ne se sont pas arrêtées avec celle d’Alexandre Litvinenko et la crise diplomatique entre Londres et Moscou. En novembre 2012, l’enquête sur la mort d’Alexandre Perepilichny, un oligarque réfugié en Angleterre, conclut dans un premier temps à une mort naturelle, avant que de nouveaux éléments relancent la piste de l’empoisonnement en 2015.

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En 2013, la mort de l’oligarque russe Boris Berezovski, ennemi juré du président Vladimir Poutine et proche d’Alexandre Litvinenko, dans sa propriété d’Ascot, près de Londres, est pour sa part restée « inexpliquée », l’autopsie révélant une mort probable par « pendaison ».

Plus récemment, en février 2017, l’opposant Vladimir Kara-Murza qui coordonne le mouvement Russie ouverte de l’ex-oligarque en exil Mikhaïl Khodorkovski, a été hospitalisé et placé en coma artificiel car il souffrait d’une défaillance inexpliquée de plusieurs organes vitaux. Sa famille et son avocat ont fait état d’« une forte intoxication par une substance inconnue ». Deux ans plus tôt, ce proche de Boris Nemtsov – assassiné à proximité du Kremlin le 27 février 2015 – avait déjà été admis en soins intensifs pour une défaillance rénale aiguë. Les examens avaient révélé la présence de métaux lourds (manganèse, cuivre, zinc et mercure dans des proportions anormales) dans son sang.

« En Russie, ils appliquent encore les anciennes méthodes du KGB, expliquait Marina Litvinenko lundi soir sur les ondes de la BBC Radio 4. Si l’ordre d’assassiner quelqu’un est donné, ce sera fait. »

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