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Delphine Batho quitte le PS pour Génération écologie : « L’écologie politique doit choisir une ligne d’autonomie »

Delphine Batho a choisi de rejoindre Génération écologie et de quitter le PS. Elle s’explique sur ce choix pour Reporterre. En mars, nous l’avions interrogé longuement sur la situation poliitique et sur ses positions écologiques.

Début mars, Delphine Batho nous expliquait pourquoi elle restait au PS, et ne se tournait ni vers EELV ni vers le mouvement de Benoît Hamon, Génération.s, encore moins vers la France insoumise. Finalement, elle a annoncé mercredi 2 mai qu’elle quittait le PS pour Génération écologie. « L’écologie politique est partout dans la société mais n’a pas une voix forte au niveau national. Le moment est venu », explique la députée à Reporterre.

Génération écologie est un parti politique fondé en 1990 par Brice Lalonde, qui déclare aujourd’hui 2.000 adhérents. Cette organisation « porte une écologie ouverte, ancrée dans le réel », explique Delphine Batho. « Je souhaite sortir l’écologie politique de sa marginalisation. Je pense qu’il faut maintenant choisir une ligne d’autonomie pour en faire une force politique centrale, hégémonique dans la vie politique française. » L’ex-ministre de l’Écologie va candidater à la présidence de Génération écologie pour y remplacer Yves Piétrasanta.

Elle offre ainsi un coup de projecteur à un parti qui faisait peu parler de lui. « On va accueillir tous ceux qui veulent nous rejoindre, poursuit-elle. On va remettre en place un conseil scientifique, on a des projets en cours mais ce n’est pas encore le moment de dévoiler tout cela. »


  • Entretien avec Delphine BathoPublié le 7 mars 2018

Delphine Batho a été évincée de la course au poste de premier secrétaire du Parti socialiste. Alors que les quatre candidats — Stéphane Le Foll, Olivier Faure, Luc Carvounas et Emmanuel Maurel — devaient débattre mercredi 7 mars sur RTL et LCI, Reporterre s’était entretenu avec elle.

Reporterre — En 2013, vous êtes devenue ministre de l’Écologie. Vous étiez jusqu’alors plutôt connue sur les questions de sécurité et de justice. Comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser à l’écologie ?

Delphine Batho — C’est depuis toujours une dimension fondamentale de mon engagement. J’ai été marquée étant jeune par les marées noires, Bhopal, Tchernobyl. Cela a contribué à forger ma conscience politique. Je viens de la vie associative et des mobilisations de la jeunesse. Plus tard, au sein du Parti socialiste, j’ai participé à un courant politique, la Gauche socialiste, qui prônait l’alliance rouge-rose-vert et qui était un des rares au PS à s’emparer des enjeux environnementaux. Ensuite, à travers mon travail de députée de terrain dans les Deux-Sèvres, je me suis consacrée à la défense du Marais poitevin, aux enjeux de la politique de l’eau, des pesticides, j’ai bataillé au Parlement lors de la loi sur les OGM. L’écologie est pour moi quelque chose de viscéral, qui touche à l’essentiel. Cela a toujours fait partie d’un combat plus large contre le capitalisme et pour l’épanouissement humain.



Qu’est-ce qui vous prend aux tripes, exactement ?

Tout. Le commandant Cousteau disait : « On protège ce que l’on aime. » C’est charnel, j’aime la nature, je la défends. Je ne sépare pas les enjeux, entre climat, biodiversité, ressources, impact des produits chimiques sur la santé. C’est le problème que l’on a eu avec François Hollande et que l’on a encore aujourd’hui avec Emmanuel Macron : une élite politique qui a fini par comprendre la réalité du changement climatique, mais qui n’a toujours pas compris l’anthropocène, c’est-à-dire la dimension systémique et globale de la destruction accélérée de nos conditions de vie sur Terre, et qui impose une révision déchirante de notre modèle de civilisation. Cette façon de dissocier les enjeux est obsolète. Et elle conduit par ailleurs à des erreurs lourdes de politique publique, comme le Grenelle de l’environnement, qui, au nom de la lutte contre le CO2, a de facto sponsorisé le diesel avec un « bonus écologique », sans prendre en compte la santé et la pollution liées aux particules.



À l’Assemblée nationale, pourquoi vous êtes-vous mise dans la commission des Affaires économiques et pas dans celle du Développement durable ?

La commission des Affaires économiques est celle qui chapeaute la politique énergétique, la politique agricole et industrielle. Autrement dit, c’est là que se discutent bon nombre de décisions fondamentales sur lesquelles il faut peser. Je ne considère pas que l’écologie doive être cantonnée à la seule commission du Développement durable. C’est d’ailleurs un des problèmes du précédent quinquennat, comme de l’actuel, où l’écologie n’est considérée que comme un enjeu sectoriel. Elle doit au contraire être centrale dans la définition et la mise en œuvre de la politique économique et industrielle.

Il ne peut pas y avoir de reconstruction industrielle de la France sans stratégie volontariste sur la transition énergétique et la mobilité propre. À l’inverse, si la transition énergétique n’est pas pensée comme une stratégie industrielle, elle n’aura pas lieu. Elle suppose de détruire volontairement de la valeur ; donc si on ne créé pas en même temps d’autres emplois, des gains de pouvoir d’achat, on se retrouvera face à des impasses sociales et économiques. Quand on ferme une centrale à charbon ou nucléaire, si on n’annonce aux territoires que des mauvaises nouvelles, sans donner un avenir au travers de nouvelles industries, on est bloqué.

« L’écologie est pour moi quelque chose de viscéral, qui touche à l’essentiel. »



Concernant le nucléaire, Nicolas Hulot a revu les ambitions du calendrier de sortie du nucléaire : l’échéance de 2025 ne serait pas tenable. Qu’en pensez-vous ?

D’abord, incontestablement, rien n’a été préparé sous le précédent quinquennat. Cela a été la politique du fait accompli. La loi de transition énergétique n’a jamais organisé la baisse du nucléaire — c’est d’ailleurs pour ça que je ne l’ai pas votée. Ce que fait juridiquement la loi, c’est de plafonner la puissance nucléaire à son niveau actuel, soit 63,2 GW. C’est pourquoi EDF n’est contrainte à fermer Fessenheim que quand l’EPR de Flamanville ouvrira. Quant à l’objectif inscrit dans la loi de diminuer la part du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025, il s’agit d’un article d’affichage politique sans portée normative réelle.

Donc, c’est un fait que le gouvernement actuel hérite d’une situation où un objectif a été fixé sans que les moyens aient été mis en place pour l’atteindre.

Est-ce une raison pour continuer avec la politique du fait accompli ? Certainement pas ! C’est pourtant ce qui est en train de se passer. Sur le prolongement ou l’arrêt des centrales, nous sommes déjà en 2018, et le président a dit qu’il attendrait l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire — c’est-à-dire 2021.Tout est en train de se mettre en place pour que ce quinquennat, à nouveau, ne décide rien et que les décisions soient en fait refilées comme une patate chaude aux gouvernements futurs. Ce n’est pas responsable.

Pire, Emmanuel Macron semble tenté par une relance du nucléaire ! La déclaration du président de la République il y a quelques semaines est tout sauf anodine : il a explicitement dit qu’il n’excluait pas la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.



À l’Assemblée nationale, vous faites partie d’une mission d’information sur les produits phytosanitaires. Que pensez-vous de la sortie en trois ans du glyphosate annoncée par M. Macron ?

L’arrêt du glyphosate en trois ans, c’est dans un tweet du président, mais il ne figure pas dans le projet de feuille de route gouvernementale sur les produits phytopharmaceutiques, actuellement mis en consultation et qui engage le gouvernement pour la durée du quinquennat. Outre qu’il n’y a pas un mot sur les pollinisateurs et sur les néonicotinoïdes dans cette feuille de route, la sortie du glyphosate n’a pas connu à ce jour le moindre commencement de concrétisation. Pourtant il y a un problème de santé publique, il n’y a pas à tergiverser ! Je proposerai un amendement pour interdire le glyphosate lors du débat sur la loi Alimentation… On verra bien ce qui se passera alors.



Comment expliquer ce décalage entre des annonces fortes et des actes amoindris ?

Le moment est venu pour la société civile de se mobiliser puissamment sur cette question de la santé environnementale. Sans ça, tout continuera comme avant : regardez comment se sont terminés les états généraux de l’alimentation ! Les débats se sont centrés sur les relations commerciales agricoles, mais les demandes citoyennes n’ont pas été entendues alors même que la rémunération de l’agriculteur est aussi directement liée au mode de production.

L’aspiration de la population à une alimentation saine est majoritaire dans la société, mais elle ne s’exprime pas assez fortement. Nous avons besoin d’un mouvement citoyen puissant.

« Je proposerais un amendement pour interdire le glyphosate lors du débat sur la loi alimentation… On verra bien ce qui se passera alors. »



Comment travaillez-vous avec les agriculteurs sur ces questions ?

Le monde agricole est pluriel. Beaucoup veulent se convertir au bio, désormais pour des raisons économiques et plus seulement éthiques ou culturelles. Mais on n’est pas fichu de les accompagner. Au contraire, le gouvernement remet en cause les aides au maintien de l’agriculture biologique, et parle également de remettre en cause l’aide à la conversion. C’est désastreux ! Pour la première fois, il y a un élan du monde agricole vers des changements, mais l’État n’est pas au rendez-vous.

Dans le même temps, les forces conservatrices et les lobbys de l’agrochimie misent sur le rejet de l’écologie. Ce rejet dans le monde agricole est alimenté par la bureaucratie. Je plaide pour un changement radical de méthode : il faut passer des obligations de moyens, où vous devez remplir de la paperasse, à une obligation de résultat, qui remette l’agriculteur en position d’agronome. C’est lui qui choisit ses pratiques, ses modes de production, et à la fin, on vient vérifier son résultat agronomique, sur les phytos, sur les nitrates, etc. Le système actuel est inefficace du point de vue environnemental, il ne produit que du ras-le-bol.

Je fais un parallèle avec l’affaire Volkswagen. Il existe aujourd’hui des dossiers de normes épais comme des dictionnaires, un bureau avec 26 agents qui vérifient qu’il y a bien écrit que l’alinéa machin est bien conforme au règlement truc… Mais personne pour mesurer ce qui sort du pot d’échappement ! Qu’il s’agisse d’agriculture ou d’industrie, tout le système de norme européen est devenu un système bureaucratique, où on contrôle la paperasse mais pas la réalité.



En décembre dernier, nous avons enquêté dans Reporterre d’un projet controversé de bassines dans les Deux-Sèvres (où vous êtes députée) pour retenir 8,6 millions de m³ d’eau sur 200 hectares destinés à l’irrigation. Vous êtes opposée au projet. Pourquoi ?

Tout est sidérant dans ce dossier. 122 hectares de zone Natura 2000 vont être détruits. Le projet est validé par l’État malgré un avis très négatif de l’Agence régionale de santé, en charge de l’eau potable, car notre territoire est très vulnérable en ce qui concerne l’eau potable, en quantité et en qualité. Depuis le mois de juin, je n’ai cessé d’alerter le ministère de la Transition écologique et tenu moult réunions pour expliquer qu’on ne peut pas doubler les volumes d’irrigation dans le bassin versant du Marais poitevin, deuxième zone humide de France, mais tout continue comme si de rien n’était.

En parallèle, on nous a confirmé il y a quelques jours que les éleveurs du département allaient perdre 9,3 millions d’euros d’aides liées au déclassement des zones défavorisées. Ce sera un désastre humain, économique et environnemental car cette coupe signe l’arrêt de nombreux élevages qui entretiennent les prairies, les bocages, les haies. Les éleveurs ruinés vont se tourner vers la production de céréales. Et le gouvernement évoque, pour « compenser » ce déclassement, son soutien aux aménagements liés à l’irrigation à hauteur de 28 millions d’euros. Cherchez l’erreur !

« Qu’il s’agisse d’agriculture ou d’industrie, tout le système de norme européen est devenu un système bureaucratique, où on contrôle la paperasse mais pas de la réalité. »



Encore un projet sur lequel vous avez l’air en désaccord avec Nicolas Hulot… Que pensez-vous de son action au gouvernement ?

Je renverserais la question : quelle serait la politique d’Emmanuel Macron si Nicolas Hulot n’était pas ministre de l’Écologie ? Dans la situation dans laquelle on est, sa nomination a représenté un espoir.

Mais justement, on attend plus. On voit bien que, dès que l’on est sur des sujets sensibles — le nucléaire, le glyphosate —, le problème, ce sont les stratégies que je connais bien d’encerclement du ministre de l’Écologie par les lobbies. Donc, il faut l’aider. On n’a plus le temps d’attendre des configurations politiques idéales. Tout ce qui peut être fait aujourd’hui, dans l’immédiat, pour obliger ce gouvernement à agir, à bouger dans le bon sens, il faut le faire. Même si je ne me fais pas d’illusion sur la place de l’écologie dans son orientation générale libérale.

Il y a une seule chose qui permet de passer le mur des lobbies, c’est le rapport de force avec les citoyens. Je n’aurais pas bloqué les offensives d’Arnaud Montebourg et d’autres pour relancer le gaz de schiste en France si je n’étais pas adossée à tous les territoires où il y a eu des mobilisations citoyennes puissantes. Donc, la question aujourd’hui est comment on crée, avec les ONG, la société civile, les organisations politiques, un rapport de force qui impose un certain nombre de décisions. Macron est pragmatique. Je ne pense pas qu’il aurait fait le tweet sur la sortie du glyphosate en trois ans s’il n’y avait pas eu la pétition signée par 1,3 million de citoyens…



En tant que députée à l’Assemblée nationale comment pouvez-vous créer des rapports de force ? Est-ce plus difficile alors que la majorité gouvernementale est particulièrement importante ?

Les députés de la majorité votent mes amendements, je ne vais pas me plaindre ! Ma stratégie est de chercher à convaincre et de gagner des batailles. Je suis numéro un de l’opposition pour le nombre d’amendements que j’ai fait voter depuis le début de la législature, ce travail n’est donc pas inutile.



Et la majorité est-elle, comme on l’entend, le petit doigt sur la couture du pantalon ?

Il y a davantage de collègues personnellement sensibles à la cause écologique. Après, effectivement, ils sont dans un rapport de soutien constant au président de la République qui fait qu’ils ont choisi à ce stade d’avoir des marges d’action assez réduites. En Marche ! n’est pas un parti politique, c’est une marque. Il n’y a pas de débat démocratique. D’ailleurs, il n’y a pas non plus aujourd’hui de parti de gauche où il y ait un débat interne réellement démocratique.

« En Marche ! n’est pas un parti politique, c’est une marque. Il n’y a pas de débat démocratique. »



Toujours à l’Assemblée, que pensez-vous de l’action du groupe France insoumise ?

L’écologie n’est pas au centre de leur raison d’être et de leur positionnement vis-à-vis de la politique du gouvernement. Ils considèrent toujours que la question sociale supplante la question écologique. Ce ne sont pas eux qui font voter les avancées et sur une bonne loi, comme celle sur la sortie des hydrocarbures, ils n’ont pas été au rendez-vous. Qu’ils aient voté avec Les Républicains des motions de rejet, cela ne tient pas la route et c’est à mes yeux une faute politique.

Quand on est dans l’opposition, on n’est pas là seulement pour faire constater tous les matins à quel point la politique du gouvernement est mauvaise, on a la responsabilité aussi de peser au maximum sur les décisions dans le bon sens. J’ai appelé cela la gauche et l’écologie utile.



Vous avez dit qu’il n’y a de débat démocratique dans aucun parti de gauche. Est-ce pour cela que vous ne quittez pas le PS : vous ne trouvez aucun autre endroit où aller ?

Aujourd’hui, le paysage est celui de la décomposition de la gauche. Ma ligne stratégique est de contribuer à la reconstruction de l’écologie politique comme une force hégémonique et non plus comme une force d’appoint. Par quel chemin va passer cette unification des forces de progrès ? Je ne peux pas encore vous le dire aujourd’hui, mais c’est ma feuille de route.

À ce stade, on travaille en réseau. Tous ceux qui sont engagés dans cette lutte échangent, se serrent les coudes dans telle ou telle bataille. On pousse ensemble, par delà les frontières des partis. Je vais participer aux Assises de l’écologie le 16 mars. Il faut avancer.



Et pouvez-vous continuer à le faire en restant au PS ?

Je suis une voix libre. Si le PS continue de tourner le dos à la cause de l’écologie et du féminisme, il n’ira nulle part. Il est train de sombrer dans les abysses, c’est devenu un théâtre d’ombres. Les semaines et mois à venir vont dire si le jugement que je porte est définitif. Est-ce qu’il a la capacité de changer ? J’en doute, car c’est devenu un appareil vérolé de l’intérieur et en profondeur.

Je suis attachée à ce qu’était la vocation historique du PS, qui était de rassembler dans une seule formation différentes sensibilités et courants de pensée de la gauche, et de transformer l’espérance en projet d’action crédible. Je ne laisse pas tomber la culture de gouvernement, sans laquelle aucun espoir ni aucune conquête du pouvoir n’est possible.

L’une des choses qui ont empêché jusqu’ici l’écologie d’être autre chose qu’une force d’appoint, c’est qu’il faut travailler d’arrache-pied à la crédibilité économique et sociale d’un projet de transformation écologique. Je suis pour une écologie de gouvernement qui soit dans une interaction entre les luttes, les espérances, les combats qui sont portés dans la société et la possibilité de les transformer en décisions publiques.



Il y a d’autres forces politiques que le PS qui pourraient porter ces combats, comme le mouvement de Benoît Hamon ?

Mais le mouvement de Benoît Hamon est-il démocratique ? Est-il féministe et républicain ? La lumière a-t-elle été faite sur un certain nombre de faits et harcèlements pendant la campagne ? L’orientation choisie porte-t-elle une culture de gouvernement ? Cela fait beaucoup de questions politiques… Autant le choix de l’alliance avec les Verts me paraissait incontournable, autant le texte qui en a découlé, franchement, m’a surprise car il n’était pas solide, il paraissait écrit sur un coin de table. Aujourd’hui, la question n’est pas de repeindre en vert les programmes, c’est de considérer enfin l’écologie avec sérieux et méthode pour lui donner une culture de gouvernement. Par exemple, même quand on est pour l’abandon du nucléaire, il y a des déchets qui existent. On ne met pas dans un programme présidentiel qu’on ne va pas faire Bure. Ce n’est pas crédible.

« Ma ligne de conduite est invariable : l’écologie doit être non violente. »



Vous êtes donc pour le centre d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure ?

Ce n’est pas que je suis pour, c’est qu’il n’y a pas le choix. En revanche, les prescriptions de l’Autorité de sûreté nucléaire sur le risque incendie liés aux bitumes sont incontournables. De plus, je suis pour la réversibilité totale, au-delà des 100 ans prévus. Je ne suis pas pour qu’on mette les déchets sous terre et qu’on jette la clef. Mais c’est un constat, les déchets existent déjà et il n’y a pas à ce jour de solution meilleure que le stockage en couche profonde. Cigéo n’a pas vocation à justifier la poursuite du nucléaire et prouve au contraire que ce n’est pas une énergie propre et qu’il est temps d’en organiser la diminution puis d’en programmer la sortie.



Mais que penser de l’attitude du gouvernement, qui envoie 500 gendarmes pour déloger 15 opposants, et qui a agi — selon le Syndicat des avocats de France — en dehors de la légalité ?

Ma ligne de conduite est invariable : l’écologie doit être non violente. Tous les agissements violents, la casse, les black blocks, les journalistes agressés, les échauffourées avec les forces de l’ordre, desservent la cause et ne doivent faire l’objet d’aucune complaisance. J’insiste : pour moi les luttes peuvent être radicales, mais la non-violence n’est pas négociable. Concernant Bure, l’État doit évidemment agir dans le respect de la légalité. L’évacuation du site est une chose, mais pourquoi interdire dimanche [dernier] l’exercice du droit de manifestation ? Ceux qui veulent protester pacifiquement — même si je ne partage pas leur avis — doivent pouvoir le faire. C’est le B-A-ba du maintien de l’ordre de savoir faire la différence entre les citoyens qui ont le droit d’exprimer une contestation et les casseurs.



Quand on voit également les peines prononcées au procès des militants de Greenpeace, on se dit qu’il est de plus en plus difficile d’être militant antinucléaire...

Honnêtement, je crois que même les militants de Greenpeace qui ont organisé les intrusions pour alerter sur la sécurité des centrales ne sont pas surpris puisqu’ils ont agi en toute connaissance de cause s’agissant des sanctions possibles et du fait que l’État les poursuivrait devant la justice. Une commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité nucléaire vient d’être créée à l’Assemblée nationale et permettra que cette préoccupation soit traitée sur le fond et autrement que par des intrusions ou devant les tribunaux.

« La volonté des citoyens trouve toujours un chemin. »



Vous allez aux Assises de l’écologie. Alors, pourquoi ne pas vous tourner vers EELV ?

Les Verts pour l’instant n’arrivent pas à se remettre de leur échec stratégique durant le quinquennat de Hollande et notamment de choix politiques totalement dissociés de la cause de l’écologie, comme leur décision de se maintenir au pouvoir après mon limogeage. Ils n’ont pas encore posé publiquement l’analyse de ce bilan.



Mais alors, quel espoir pour la gauche écologique, si chacun est empêtré dans ses difficultés ?

Si on voit la politique comme une chose statique qui ne dépend que d’appareils globalement rejetés lors des élections de 2017, oui, la situation peut paraître désespérée. Mais je crois que la volonté des citoyens trouve toujours un chemin. Il y a un basculement, les enjeux écologiques ne sont plus seulement la préoccupation d’une petite partie de la société.

Il y a du potentiel, car énormément de citoyens, mais aussi d’élus, se sentent orphelins d’une envie, d’un autre horizon politique, d’une autre forme de parti plus horizontale. Il y a plein de gens qui sont en manque de quelque chose, qui aimeraient pouvoir faire plus que juste signer une pétition en ligne de temps en temps…



Et pourquoi ne créez-vous pas un parti ?

Je n’exclus rien. Mais je ne pense pas que la solution soit d’apporter une pierre supplémentaire à l’émiettement. Ma conviction est que de toute façon les organisations actuelles ont vocation à être dépassées. Toutes. Et qu’il n’y a pas d’avenir pour la gauche en dehors de l’écologie.

  • Propos recueillis par Marie Astier et Lorène Lavocat
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