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Pourquoi certains croient aux fake news en dépit de toute rationalité

Malgré des démonstrations implacables, il existe des biais cognitifs qui provoquent une résistance psychique aux données.

<a href="https://www.flickr.com/photos/53272102@N06/27648314436/in/photolist-J8bQCu-dMPrVr-dcVGb3-wTEZDo-xbQUur-jypVk8-GCePiF-bPewqD-BMm5c5-9UwYp-qDbwbV-Y6ff-6F7N2v-9ETgC3-3nF1wQ-8AtdcS-eYKxyV-7Urvzy-bPbME2-f5dKLy-61qG5j-ihD6Dc-a2yCBt-68xLrq-Sf1CZ-hiLLg-RXUcs6-8Ne9VP-fdmLNP-7UrtrL-cq1T7-7fFGrE-5XMg8L-cfmiJ-6gDx-Gd6RP7-9UwYX-gCMkrL-dcVE6Z-3PW49g-dAdBf-ebQcRB-SXYGhU-9Sw5u1-cbmo9C-fFg-RXUbR6-2vfT-8FqrQC-5sJtu">C'est compliqué</a> | Abhijit Bhaduri via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License by</a>
C'est compliqué | Abhijit Bhaduri via Flickr CC License by

Temps de lecture: 5 minutes

Si les rumeurs existent depuis l’Antiquité, le phénomène des «fake news» est apparu plus récemment avec l’essor de nouveaux médias. Le dictionnaire de référence britannique, Collins, a d’ailleurs élu cette expression mot de l’année 2017 et l’a désormais inscrit dans son thésaurus. Nous serions entrés dans une ère de post-vérité où les faits se confondent avec les mensonges. Face à ce danger, venant parfois des plus hautes sphères du pouvoir, les scientifiques tiennent la tranchée.

Ainsi, lorsque Donald Trump a eu recours à des fake news pour justifier la sortie des USA de l’accord de Paris, en réponse, un mouvement de contestation a émergé avec l’organisation de Marches pour la Science.

À cette occasion, le physicien du CERN James Beacham qui organisait la marche en Suisse a déclaré:

«Nous considérons que la [science] bénéficie à l’humanité et qu’elle doit donc être encouragée. Cela peut sonner comme une évidence, mais cette idée n’est plus soutenue par une partie de la population et par certains gouvernements.»

La science peut-elle réellement combattre les mensonges?

La science repose sur l’analyse de faits permettant l’élaboration de théories qui tendent à la généralisation et permettent des prédictions. Elle n’est pas exempte d’erreurs et d’approximations, d’autant plus que les faits sont issus d’expériences complexes. Ainsi, si un médicament est testé dans plusieurs études, il peut montrer une efficacité dans neuf études et échouer dans une seule, du fait d’une méthodologie inadéquate ou même par le fait statistique (plus on répète un test, plus on a un risque d’erreur).

Statistiquement, le médicament sera considéré comme efficace. Cependant, en sélectionnant la seule étude négative, il est possible de faire croire que le médicament est inefficace. Les chercheurs ont appris à interpréter les études dans leur globalité, en prenant en compte ces discordances inévitables et à manier les statistiques. La réplication d’un résultat est devenue un critère majeur avant d’affirmer qu’un fait est réel.

De plus, lorsqu’une théorie scientifique est inventée, elle l’est à partir des données actuelles. Cependant, de nouvelles données peuvent surgir et venir contredire la théorie qui est alors abandonnée. La science repose sur cette idée de remise en cause et d’évolution des connaissances.

Karl Popper s’est intéressé à définir les critères de la scientificité (voir Conjectures et réfutations, La croissance du savoir scientifique). Pour le philosophe, l’un des critères essentiels pour définir la science n’est pas la vérité mais la réfutabilité. Selon cette définition, la théorie darwinienne de l’évolution est plus scientifique que la Génèse biblique car elle se prête aux critiques de nouveaux faits.

En revanche, la religion n’est pas scientifique car l’argument de la Création par Dieu ne peut pas trouver de contradictions par les faits. Selon un sondage IFOP la part de personnes qui sont d’accord avec l’affirmation «Dieu a créé l’homme et la Terre il y a moins de 10.000 ans» est cependant de 18% en France.

Pourquoi les fake news résistent au discours rationnel?

La démarche scientifique est infiniment plus complexe que les mécanismes à l’origine des fake news. Il est devenu plus facile de propager rapidement via Internet une fausse information que de collecter patiemment les faits permettant la construction d’une théorie étayée. De plus, les statistiques sont devenues une composante essentielle à la démarche scientifique pour déterminer si les faits donnent raison à une théorie. Mais les statistiques sont mal comprises par une large part de la population.

Les psychiatres s’intéressent également depuis longtemps aux mécanismes de pensée qui font qu’un individu résiste à des arguments rationnels. Pour expliquer les symptômes des patients souffrant de schizophrénie, le scientifique Kapur a par exemple proposé que l’excès de dopamine dans certaines régions cérébrales causerait une anomalie de la «salience». La salience renvoie à l’attention donnée à certains phénomènes, plutôt qu’à d’autres, permettant ainsi un tri dans les informations. Lorsque ce tri est systématiquement biaisé, un délire peut survenir. Sans faire des adeptes de fake news des malades mentaux, il existe cependant des biais cognitifs qui provoquent une résistance psychique aux données de la science.

Un biais de négativité repose sur la tendance à donner plus de poids aux expériences négatives qu’aux expériences positives et à s’en souvenir davantage. Ainsi les effets secondaires d’un traitement seront plus reconnus que les bénéfices.

Par exemple, les fake news sélectionnent souvent les informations qui vont dans leur sens, ignorant les discordances entre les études. C’est ce qu’on appelle un biais de sélection. Ce biais est également proche du biais de confirmation qui consiste à ne prendre en considération que les informations qui confirment ses croyances et à ignorer ou discréditer celles qui les contredisent.

Le biais de représentativité est un raccourci mental qui consiste à porter un jugement à partir de quelques éléments qui ne sont pas nécessairement représentatifs. Souvent ces biais sont associés au biais d’ancrage qui est la tendance à utiliser une information comme référence, généralement car il s’agit du premier élément d’information acquis sur le sujet. Ces biais s’opposent à la démarche scientifique qui nécessite des réplications et une remise en cause constante de ses connaissances acquises.

Un biais de négativité existe également et repose sur la tendance à donner plus de poids aux expériences négatives qu’aux expériences positives et à s’en souvenir davantage. Ainsi les effets secondaires d’un traitement seront plus reconnus que les bénéfices. Le biais d’omission consiste à considérer que causer éventuellement un tort par une action est pire que causer un tort par l’inaction. Ainsi certains choisiront de refuser la vaccination pour leurs enfants considérant qu’il est plus grave de déclencher un effet secondaire par une injection que de voir son enfant mourir de la rougeole par refus des soins.

L’illusion de corrélation consiste à percevoir une relation entre deux événements non ou faiblement reliés car ils apparaissent temporellement proches. Par exemple, un symptôme survenant après la prise d’un médicament peut être attribué à ce traitement alors qu’il survient du fait de la maladie sous-jacente.

Quelles missions pour les scientifiques?

La démarche scientifique est donc complexe contrairement aux fake news qui s’appuient sur des biais de raisonnement présents chez chacun de nous. La science est plus exigeante qu’un simple clic sur Internet. Dans un monde où le flot d’information est constant, il devient difficile de mesurer la véracité de chaque information ce qui revient à faire confiance à la source de l’information. Certains individus, en rupture avec le système médiatique actuel, vont privilégier des sites d’information alternative.

Cette question de la confiance est essentielle quand on voit la succession des paniques sanitaires où la parole des médecins est mise en doute. La part des personnes d’accord avec l’affirmation «Le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins» a été estimée à 55% ce qui éclaire bien le discrédit des instances sanitaires.

Face à ces mécanismes, les scientifiques doivent assumer leur mission. Celle de faire avancer les connaissances mais également de les propager dans la société. En ce sens la vulgarisation des connaissances est un enjeu majeur dans une société progressiste. Les scientifiques sont insuffisamment formés et ont souvent des idées fausses sur la vulgarisation.

Or la vulgarisation est importante pour diffuser les résultats en dehors de la communauté restreinte des chercheurs spécialisés et pour éclairer le débat public. Il est impossible de laisser la vulgarisation aux seuls journalistes qui, s’ils maîtrisent les outils de communication, n’ont pas toujours le recul nécessaire pour rendre compte de manière fiable d’une avancée scientifique complexe. Des séances de formation à la communication commencent à être organisées au sein de la communauté scientifique.

Une demande d’information scientifique

La population est en demande d’information scientifique ce qui se mesure par exemple à la popularité du hashtag #scicomm sur Twitter. Les scientifiques devraient également davantage investir les réseaux sociaux qui sont des lieux où les informations sont encore trop souvent laissées aux complotistes.

Dans une société progressiste, les scientifiques ne devraient pas seulement se préoccuper de leurs recherches mais expliquer quelle est leur démarche, éclairer le débat public, démontrer pourquoi il faut refuser les certitudes et apprendre à penser tout en doutant de ses connaissances. Ils devraient utiliser les différents médias à leur disposition pour ce travail, rayonnant hors de leur laboratoire et menant inlassablement le combat contre l’obscurantisme.

Le gouvernement promet une loi contre les fake news. Mais cela est-il de nature à redonner confiance aux citoyens dans l’information officielle ou à les pousser vers d’autres sources d’information alternative encore moins contrôlables? Plutôt que de légiférer sur un problème spécifique, ne vaut-il pas mieux prendre le problème à la racine et poursuivre l’immense tâche d’éducation populaire qui nous fait face?

 

Boris Chaumette, Psychiatre, neurobiologiste, McGill University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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