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    Des eurodéputés LR et FN ont refusé de condamner les thérapies pour «guérir» les personnes LGBTI

    Pour justifier leur choix, les élus parlent de «lobby LGBTI», de l’«idéologie du genre», de «communautarisme» ou tout simplement de «souveraineté».

    C'est la première fois que l'Union européenne (UE) condamne les thérapies de conversion des personnes LGBT. Ces traitements homophobes supposés modifier l'orientation des personnes homosexuelles ou «guérir» les personnes trans sont régulièrement dénoncés par le milieu médical pour les dégâts psychologiques et les suicides qu'ils peuvent entraîner. Le 1er mars, lors du vote d'un texte sur la situation des droits fondamentaux dans l'UE, les eurodéputés ont eu à se prononcer sur deux amendements (8 et 11). Ceux-ci précisent :

    «(Le Parlement européen) se félicite des initiatives interdisant les thérapies de conversion pour les personnes LGBTI et la pathologisation des identités transsexuelles ; prie instamment tous les États membres d’adopter des mesures similaires qui respectent et défendent le droit à l’identité de genre et l’expression de genre.»

    Le texte, finalement adopté à une large majorité (435 voix pour, 109 voix contre et 70 abstentions), n'a pas de valeur contraignante. Pour autant, 34 eurodéputés français du Front national (FN), des Républicains (LR), des centristes de l'UDI, ou indépendants ont préféré s'abstenir ou voter contre cet amendement. BuzzFeed News a demandé à chacun d'entre-eux pourquoi ils avaient fait ce choix. Voici la réponse de ceux qui nous ont répondu.

    Voici les 34 députés européens français qui ont voté contre ou se sont abstenus concernant le vote pour la condamnation des thérapies de conversion anti-LGBT. #BalanceTonHomophobe @stop_homophobie https://t.co/g42KRzCk5b

    Consigne officielle d'abstention à LR

    Les 19 eurodéputés LR, dont Rachida Dati et Nadine Morano, se sont majoritairement abstenus. Seuls trois d'entre eux ont voté «pour» l'interdiction des thérapies de conversion, comme l'indique le compte rendu de vote (page 127). Aucun n'a voté contre. Brice Hortefeux, qui a d'abord voté pour l'interdiction, a finalement corrigé son vote et décidé de s'abstenir.

    Après le scrutin et les nombreuses dénonciations sur les réseaux sociaux, certains élus LR ont tout de même décidé de corriger leur vote, passant de l'abstention à un vote favorable. C'est le cas de Michèle Alliot-Marie ou de Geoffroy Didier, notamment. Officiellement, ces élus s'étaient trompés de vote pour des raisons techniques. Mais d'après nos informations, corroborées par trois sources à Bruxelles dont un eurodéputé LR, la consigne officielle de la délégation française du PPE (groupe auquel appartient les élus LR) était bien l'abstention. Selon nos informations, cette recommandation a été envoyée par Rachida Dati, alors référente du texte en question.

    Nadine Morano (LR)

    «J'ai voté totalement contre le texte. Et sur cet amendement, je me suis abstenue car le contenu ne me plaisait pas», justifie l'élue LR Nadine Morano, interrogée par BuzzFeed News. «Un amendement n'est pas là pour se féliciter pour si ou pour ça, il doit apporter quelque chose à un texte. C'est pour cela que je me suis abstenue, même si je ne m'oppose pas au fond», précise l'actuelle conseillère politique de Laurent Wauquiez.

    Même si le texte demande aux États d’adopter des mesures en faveur des LGBTI, l'eurodéputée estime que «la rédaction de l'amendement n'apportait absolument rien de concret dans un combat qui est légitime». Nadine Morano balaye enfin les critiques qu'elle a pu recevoir en dénonçant un «lobby LGBT» :

    Nadine Morano : «Écoutez, je ne suis pas sous le diktat de la pression des réseaux sociaux. C'est moi qui suis élue, d'accord ? C'est pas parce qu'il y a un lobby LGBT puissant sur les réseaux sociaux que ça me fait changer d'avis. Vous voyez ce que je veux dire ?

    – BuzzFeed : Vous pensez qu'il y a un "puissant lobby LGBT" ?

    Mais bien sûr qu'il y a un lobby LGBT. Tout le monde le sait. Vous allez nier ? Vous en faites partie ou pas ?

    – C'est quoi cette question ?

    Parce qu'il y a des journalistes qui en font partie. Donc c'est la question que je vous pose ?

    – Vous voulez que je vous dévoile mon orientation sexuelle aussi ?

    – C'est pas la question. Je suis attachée à la liberté des êtres et des personnes. On a le droit, au-delà de son métier, d'avoir des convictions.»

    Rachida Dati (LR)

    Interrogé sur l'abstention de Rachida Dati, le cabinet de l'eurodéputée et maire du 7e arrondissement de Paris, met en avant le principe de souveraineté, (argument qu'elle a envoyé aux autres eurodéputés de son groupe) :

    «La délégation PPE-France reste attachée au principe de subsidiarité en Europe. Nous considérons que les questions de société doivent être traitées dans le cadre d'un débat national, et que l'UE doit arrêter de s'occuper de tous les sujets, pour se consacrer à l'essentiel.»

    «De nombreux paragraphes de ce texte condamnent déjà le harcèlement et les discriminations à l'encontre des LGBTI. C'est notamment le cas du paragraphe 64 de ce rapport, qui est dans le texte, que nous avons soutenu», ajoute son cabinet.

    Brice Hortefeux (LR)

    Brice Hortefeux lui, explique avoir corrigé son vote et préféré l'abstention, par son regret que d'autres «minorités» comme les handicapés ou les chrétiens, soient, selon lui, moins prises en compte par ce texte.

    Ce texte «a pour objectif de constater et alerter sur les atteintes aux droits et libertés dans l'ensemble des États membres. Il ne s’agit donc ni d’un réquisitoire à l’encontre d’un État membre ni d’une tribune pour un groupe particulier», explique-t-il.

    «Or, depuis l’adoption de ce rapport, nous n’avons entendu parler que de l’amendement sur les thérapies de conversion pour les personnes LGBTI. C’est vite oublier que pas moins de sept paragraphes adressant des messages forts et englobant d'une certaine manière cette idée étaient déjà consacrés aux LGBTI contre seulement deux pour les personnes handicapées, deux sur la vulnérabilité des enfants et la pédopornographie et qu’il n’est même pas fait mention des discriminations à l’égard des chrétiens.»

    Assurant que sa formation politique condamne déjà «toutes les atteintes aux droits et libertés», l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy estime que «réduire son vote à un soutien des thérapies de conversion est un faux procès»&nbs: «Mon vote traduit la volonté de ne pas réduire la question des discriminations au seul problème des LGBTI».

    En plus de ces élus, les Républicains Françoise Grossetête, Franck Proust et Anne Sander ont aussi choisi de s'abstenir. Tout comme Alain Lamassoure (ex-LR) et Dominique Riquet (UDI). Ce dernier «estime que ces sujets relèvent de la conscience personnelle et individuelle de chacun, et que l'État ou l'autorité politique ne devrait avoir à s'immiscer d'une manière générale sur les questions sociétales», avance le cabinet de Dominique Riquet, membre de l'UDI et président de la délégation française centriste au parlement européen.

    Le FN vote contre cet amendement «dicté par le lobby LGBT»

    Au FN, consigne a été donnée de voter contre cet amendement. Sur les 74 eurodéputés français présents au moment du vote, les 15 députés FN ont voté contre l'amendement.

    Nicolas Bay (FN)

    Parmi eux, Nicolas Bay, coprésident du groupe ENL (le groupe auquel appartient le FN) au Parlement européen se justifie en dénonçant un texte participant à une «idéologie du genre». Il explique :

    «Nous avons en effet voté contre ces deux amendements déposés par des députés d'extrême gauche, en raison de leur formulation qui participe de cette idéologie du genre que nous combattons. Le fait que ces deux amendements soient strictement identiques prouve d'ailleurs qu'il s'agit d'un copier-coller dicté par le lobby "LGBTI".»

    Enfin, le vice-président du FN met aussi en avant «le principe de subsidiarité trop souvent bafoué» et conclut : «Nous avons refusé de céder à une nouvelle tentative de chantage communautariste.»

    La députée frontiste Christelle Lechevalier qui parle aussi d'un principe de souveraineté bafouée par ce texte, ajoute : «Nous rejetons tout dogmatisme sur les questions d’identité de genre et autres concessions communautaristes».

    Sur le fond, la frontiste Marie-Christine Arnautu n'est pas opposée à toutes les thérapies de conversion. «Si les "thérapies de conversion" se traduisent par des violences physiques et/ou morales, elles sont évidemment condamnables au même titre par exemple que les viols. En revanche, s'il s'agit d'interdire des activités de conseil librement consenties visant à aider les personnes LGBT qui, pour des raisons religieuses ou non, le désirent, alors les interdire va à l'encontre de leur propre liberté individuelle», explique son cabinet.

    Pour la députée enfin, la deuxième partie de l'amendement «contribue à imposer aux États membres l'idéologie du genre, idéologie qui consiste à dissocier le genre du sexe biologique, à faire primer l'orientation sexuelle sur la réalité biologique, ce que Mme Arnautu conteste.»

    Les trois autres députés d'extrême droite, Joëlle Bergeron, Aymeric Chauprade et Bruno Gollnisch qui ont quitté le groupe ENL (celui du FN), ont aussi voté contre l'amendement.

    Philippot et les Patriotes ont changé d'avis après relecture du texte

    Florian Philippot (Les Patriotes)

    Initialement, l'ensemble des eurodéputés Les Patriotes (Florian Philippot, Mireille d'Ornano et Sophie Montel) ont choisi l'abstention. Interrogés par BuzzFeed News, ils plaident finalement l'erreur. «Nous avions analysé que cet amendement posait lui aussi un problème de souveraineté. Néanmoins, à la relecture, il nous est apparu que le texte était plus mesuré sur ce point que nous ne l'avions d'abord interprété et nous avons donc changé le vote afin de soutenir cet amendement», explique Marie-Amélie Dutheil de la Rochère, l'assistante parlementaire de Florian Philippot. Elle ajoute :

    «Sur le fond, il est bien évident que M. Philippot et ses collègues Patriotes au Parlement européen sont tout-à-fait opposés aux pratiques odieuses que recouvrent en général les soi-disant « thérapies » de conversion et donc parfaitement favorables à leur interdiction par la loi nationale.»