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Harcèlement sexuel : qu’est-ce qui a changé en Algérie ?

Harcèlement sexuel : qu’est-ce qui a changé en Algérie ?

Militante féministe et présidente de la commission des femmes travailleuses de l’UGTA, Soumia Salhi évoque dans cet entretien les difficultés rencontrées par les femmes victimes de harcèlement sexuel en Algérie.

Vous avez mené un long combat contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Les choses ont-elles changé aujourd’hui ?

En effet, les choses ont changé. D’abord, il y a eu la criminalisation du harcèlement sexuel et ce n’est pas rien (à travers l’introduction de l’article 341 bis dans le code pénal, NDLR). Elle traduit un consensus au sein de la société. Des femmes sont de plus en plus nombreuses à témoigner. Elles sont des dizaines à oser déposer une plainte sans compter celles qui parlent de leurs souffrances au niveau des centres d’écoute et des associations d’aide aux femmes victimes de violence. La presse relaie les affaires de harcèlement sexuel. Cela dit, on ne peut pas dire que les choses ont changé de façon fondamentale. Malgré la loi, des cas de harcèlement restent impunis.

Est-ce toujours un tabou difficile à casser pour la femme ?

Je crois que ce n’est plus un tabou en Algérie. On en parle à la télévision, dans les journaux et dans les bus. Et en 2015, l’article 341 bis a été révisé (dans le cadre de la loi sur les violences faites aux femmes, NDLR). Auparavant l’article ne criminalisait que le harcèlement dans le cadre d’une relation d’autorité. En 2015, il a été élargi notamment aux parents proches et les sanctions ont été durcies. Mais pour la femme, cela demeure très difficile de se livrer au regard de la société et de parler de la situation dans laquelle elle se trouve quand elle est harcelée, c’est-à-dire réduite à un objet sexuel.  C’est humiliant. Donc il y a le chiffre de celles qui portent plainte et il y a le chiffre noir de celles qui observent un silence qui leur est imposé.

La loi contre les violences faites aux femmes que vous évoquez est entrée en vigueur en 2016. Y-a-t-il une amélioration dans le traitement de ces affaires ?

Je pense qu’il est très tôt pour apprécier l’impact de cette loi sur les victimes et sur la société. Je crois cependant que c’est quelque chose qui peut aider les femmes si on y ajoute la protection des témoins. Il ne faut pas oublier qu’il n’est pas facile pour une femme de prouver le harcèlement sexuel dont elle est victime. C’est difficile d’apporter la preuve puisque ce sont des actes commis dans le huis clos d’un bureau souvent par les détenteurs du pouvoir. Donc il y a aussi ce risque de licenciement. C’est également difficile d’avoir la solidarité des collègues.

La protection des témoins demeure toujours le principal problème une fois l’affaire est au niveau de la justice ?

Les témoins sont là pour corroborer les déclarations de la victime. Quand ils ne sont pas protégés, ils se rétractent. Au début, ils se solidarisent avec elle avec les promesses d’aller jusqu’au bout. Par la suite, ils se rétractent au moment où elle se retrouve devant le tribunal. A partir de là, la situation se retourne contre la victime. Le harceleur peut même porter plainte pour diffamation ou déclaration calomnieuse. C’est là toute la difficulté. Il faut une clause qui prévoit la protection des témoins. Dans le code pénal, cette clause existe pour ce qui a trait au blanchiment d’argent. Il faut prévoir des dispositions qui facilitent aux femmes le recours au droit pour qu’elles puissent se défendre contre les violences et les agressions qu’elles subissent.

Est-ce que les plaintes des femmes victimes de harcèlement sexuel aboutissent ?

Certaines plaintes aboutissent lorsque les victimes ont des preuves. Ces preuves peuvent être des SMS ou des enregistrements notamment audio que certains tribunaux acceptent. Par la suite, nous les accompagnons à se reconstruire et se réhabiliter aux yeux d’elles-mêmes. Quand on est victime et que la société vous fait porter la responsabilité des agissements de votre agresseur, vous vous retrouvez dans une situation terrible. En novembre 2017, nous avons décidé de mener une campagne nationale contre la banalisation de la violence et la tolérance sociale de cette violence. Nous voulons aussi que les syndicats s’impliquent de façon permanente dans la prise en charge des femmes victimes de violences et de harcèlement sexuel. On va préparer nos militantes à l’écoute et à l’accompagnement.

Aux États-Unis, en France et dans d’autres pays, la campagne #Me_too a aidé des milliers de victimes à rompre le silence et à dénoncer leurs agresseurs qui se sont avérés dans certains cas être des hommes publics très respectés. Une telle campagne peut-elle voir le jour en Algérie ?

Je l’espère parce qu’il faut bien qu’on fasse sauter les verrous un jour. Cette campagne n’en finit pas de nous révéler une réalité sordide et cette immense souffrance des femmes dans le monde entier. On peut dire que la misogynie et l’oppression des femmes est la chose la mieux partagée au monde, même dans les pays développés. Cela étant dit, nous avons déjà mené campagne en Algérie et des femmes sont venues dénoncer le harcèlement à la télévision nationale, à visage découvert et avec leurs maris à leurs côtés. Cela a été un électrochoc pour la société algérienne. C’était même révolutionnaire comme attitude. Énormément de femmes ont également témoigné à la radio. On sait bien que quand vous rentrez à la radio, vous déposez la carte d’identité et vous devenez donc identifiable. Elles ont donné le nom de l’entreprise ou l’institution où elles travaillent.

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