La distribution du courrier, des colis et des petites marchandises est maintenue, à un rythme dépendant des effectifs disponibles.

Ce 9 mars aux prud'hommes, Emmanuelle, décrit dix ans d'agressions sexuelle permanentes à La Poste. Une enquête confirme les faits, mais ne le sanctionne pas: il part en retraite "avec les honneurs".

afp.com/LOIC VENANCE

Ce 9 mars, sur l'un des chemins qui mène aux prud'hommes de Paris, à quelques dizaines de mètres du bâtiment, les militants de Sud PTT ont organisé un rassemblement sur le pont du canal Saint-Martin. "Halte aux violences sexuelles au travail", est-il indiqué sur une banderole. Un triste visage féminin avec un oeil poché complète le slogan. Il est presque 13 heures et une troupe de militants se dirige vers le conseil de la rue Louis Blanc. Ils accompagnent Emmanuelle, défendue par Maude Beckers. A leurs côtés, une syndicaliste de Sud PTT intervient pour défendre les intérêts de la profession dans cette affaire et, face à elles, maître Delphine Diepois ceux de La Poste. La salle est trop petite pour accueillir tout le monde, alors on se serre et dehors, ceux qui n'ont pas trouvé place attendent la fin de l'audience.

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Paris, conseil des prud'hommes, section commerce, le 9 mars 2018 à 13h25

Le président est entouré d'une conseillère et de deux conseillers.

Le président: "Madame, souhaitez-vous que cette affaire soit entendue publiquement ou à huis-clos?"

Emmanuelle: "Publiquement".

Le président: "Très bien. Ce sera la première affaire. Madame a été engagée le 28 avril 2001 en CDI, elle est agent de traitement confirmée, avec un salaire de 1 725 euros brut. Elle est toujours en poste, en arrêt maladie depuis le 10 mars 2015? "

L'avocate d'Emmanuelle: "Oui."

Le président: "Quelles sont vos demandes?"

L'avocate d'Emmanuelle: "Je demande la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur. Je demande la condamnation de La Poste à 25 000 euros de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat, 25 000 euros pour harcèlement moral, 30 000 euros pour harcèlement sexuel, 10 000 euros de discrimination et 50 000 euros pour la nullité de la rupture. Cela entraîne une indemnité de préavis de 3 450 euros, 345 euros de congés payés y afférents, 14 950 euros d'indemnité de licenciement, 7 727 d'indemnité de congés payés et 2 500 euros d'article 700. Ma cliente sollicite aussi l'affichage du jugement dans toutes les entités de La Poste."

Le président: "Nous vous écoutons."

L'avocate d'Emmanuelle: "C'est un dossier extrêmement grave. Dès l'âge de 16 ans, ma cliente a commencé a travaillé à La Poste en Normandie, pendant ses vacances, pour aider financièrement sa mère qui y travaillait aussi. Elle a un attachement certain à son employeur : elle a été engagée à 19 ans, elle en a 36 aujourd'hui. Mais elle est dans une situation où elle n'est plus en mesure de reprendre son activité. Elle est toujours en arrêt maladie, maladie qui a été reconnue comme étant d'origine professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie."

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Le président: "Que lui est-il arrivé?"

L'avocate d'Emmanuelle: "Elles sont 4 femmes sur le site, parmi 100 collègue masculins. Ma cliente dit que, dès le début, son supérieur hiérarchique l'attrapait, l'allongeait sur la bande passante où se trouvent les colis, lui donnait des fessées... et ses collègues riaient.

À 19 ans, elle se disait qu'elle était peut-être un peu prude. Elle raconte qu'elle a mis son mouchoir par-dessus. Mais le supérieur a continué, par des dégraffages de soutien-gorge et des mains aux fesses. C'est un contexte permanent d'agressions sexuelles. Puis, on arrive à des choses plus graves avec des tentatives de viol. Un jour, elle ne va pas bien car elle a fait des analyses et redoute un cancer du sein. Ce supérieur lui palpe les seins, pour la rassurer, lui dit-il. ''Ce n'est rien, reprend le travail avec le sourire'', lui dit-il encore. Une autre fois, alors qu'elle était seule sur le site, il lui a encore touché la poitrine en se frottant contre elle...

Un jour, elle se blesse. Il l'emmène à l'infirmerie mais elle ne veut pas se retrouver seule avec lui. Elle croise des collègues, leur crie de la retrouver. Quelques minutes après, ils arrivent. La porte de l'infirmerie est fermée à clé. Son supérieur a commencé à la déshabiller. Grâce à ses collègues, elle n'a pas été violée.

En 2008, son supérieur hiérarchique est muté. Désormais, il travaille à un autre étage. Le harcèlement ralentit mais se poursuit car ils sont sur le même lieu de travail, fréquentent la même cafétéria, se voient pendant les pauses café, se croisent dans les couloirs.

Ma cliente va garder ces choses là pour elle seule, pendant très longtemps pour cinq raisons majeures : elle a honte ; cela se passe sur son lieu de travail ; cet homme est son supérieur ; elle a peut de perdre son travail et sa mère travaille dans le même établissement."

Le président: "En quoi consiste son travail?"

L'avocate d'Emmanuelle: "Elle décharge les colis. En moins de 10 ans, elle a 7 accidents du travail et entre 2002 et 2012, 14 arrêts de travail d'origine professionnelle.À 36 ans, elle a vécu des agressions sexuelles et subit un affaiblissement physique. Cela commence à agacer les responsables qui trouvent qu'elle n'est pas assez rapide. On la chronomètre et on lui dit "arrête de te victimiser".

Le harcèlement moral suit le harcèlement sexuel. Et c'est là qu'elle craque. Cela fait 10 ans qu'elle est victime. En mars 2015, elle est mise en arrêt maladie, qui se poursuit à ce jour. Elle décide de révéler les faits à La Poste qui diligente une enquête. On lui dit le 10 août 2015 que son supérieur va faire l'objet d'une sanction disciplinaire.

Si la promesse avait été tenue nous ne serions pas là, devant vous. Les collègues confirment les fessées, les dégraffages de soutien-gorge. Et que se passe-t-il? Rien. Ce supérieur part à la retraite le 1er novembre 2015, deux mois après sa demande alors qu'en général il faut six mois. Avec les honneurs, signature d'un livre d'or et sans que le conseil de discipline soit saisi. Il a une suspension de fonctions le 10 août 2015 mais avec maintien de sa rémunération et autorisation de travailler à l'extérieur. Ma cliente a l'impression qu'on la prend pour une imbécile!"

Le président: "Nous devrons voir si c'est une retraite ou une exfiltration."

L'avocate de La Poste: "La procédure disciplinaire s'interrompt dès qu'il part en retraite. Mais elle a bien commencé le 10 août."

Le président: "Pourquoi la procédure devrait-elle s'arrêter pour un fonctionnaire qui part en retraite. A quelle date ce monsieur dépose-t-il sa demande de retraite?"

L'avocate de La Poste: "Je n'en sais rien. Mais La Poste a réagi dès qu'elle a eu connaissance des faits. L'enquête a montré une faute de cet homme, la procédure a été enclenchée. Mais avant, j'ai une prétendue victime et un prétendu auteur."

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Le président: "Vous n'aviez pas connaissance des faits avant que madame les dénonce? Vous n'avez pas la vidéo-surveillance pour voir ce qui se passe sur les bandes passantes? "

L'avocate de La Poste: "Peut-être que personne ne nous a dit d'aller voir la vidéo-surveillance. Le secrétaire du syndicat Sud PTT nous écrit en mai 2015, la salariée a été embauchée en 2001 [Emmanuelle sort discrètement de la salle en sanglotant doucement]. La Poste a un système de prévention, une procédure..."

L'avocate d'Emmanuelle: "La Poste se défend avec des procédures. Il y a des accords collectifs, je n'en doute pas, les partenaires sociaux font leur boulot. Mais il y a une différence entre négocier les accords et les appliquer. On organise des journées de "rigologie" en 2012, et même "une journée de la truite"... On me produit ces pièces pour montrer que La Poste respecte ses obligations."

L'avocate de La Poste: "Nous avons un système de prévention et les déclarations de madame ont été prises au sérieux puisqu'une enquête a été menée. C'est quand elle apprend qu'il part à la retraite que la salariée se sent libérée. L'entretien n'a pas lieu sur le site de Val de Reuil mais à Rennes. Elle décrit exactement ce qui vient d'être dit. Elle nous a même dit : "votre écoute m'a fait du bien". "

Le président: "Après les arrêts de travail, des préconisations?"

L'avocate d'Emmanuelle: "La Poste a poursuivi son médecin traitant devant le conseil de l'ordre au motif qu'il aurait rédigé un arrêt de travail mentionnant: "dépression réactionnelle suite à harcèlement professionnel, risque avéré de tentatives de suicide". Elle lui a demandé de faire un certificat médical rectificatif précisant qu'il n'aurait pas du faire le lien entre les signes cliniques et le harcèlement professionnel. Quand le médecin affirme, il est sanctionné et quand il met ses phrases au conditionnel, on me dit qu'il n'y a rien. De plus, le médecin du travail a, à plusieurs reprises, préconisé un changement de poste à court terme... "

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L'avocate de La Poste: "La salariée est déclarée apte après ses retours d'arrêt maladie et le changement d'affectation était prévu à long terme! En 2012, même en lisant entre les lignes, on ne comprend pas qu'il y a du harcèlement sexuel. [Emmanuelle revient aussi discrètement qu'elle était partie, livide].

Le président: "Pour conclure?"

L'avocate d'Emmanuelle: " Ce n'était pas la volonté initiale de ma cliente, mais nous demandons des dommages et intérêts importants pour suivre la directive européenne : "des sanctions qui doivent être dissuasives". Pour protéger les autres salariées de La Poste. Pour que la prévention soit enfin appliquée."

L'avocate de La Poste: "L'enquête a reconnu que madame avait subi des gestes déplacés qui n'ont pas été couverts par la direction."

15h. Le président (à Emmanuelle): "Madame, souhaitez-vous ajouter quelque chose?"

Emmanuelle, dans un souffle: "Cela me fait plaisir d'entendre aujourd'hui pour la première fois que la Poste reconnaît que j'ai subi..."

Prononcé, le 17 mai 2018. La Poste est condamnée aux Prud'hommes à verser 127 000 euros à la victime. Et à afficher la décision dans ses entités.

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