Des migrants à Melilla
| Photo: Port Causa Foundation
Des migrants à Melilla | Photo: Port Causa Foundation

Alors que l'Espagne connaît une augmentation des arrivées de migrants, notamment via les enclaves de Ceuta et Melilla, des militants et des avocats des droits de l'homme mettent en garde contre les refoulements illégaux des forces de police et contre une politique frontalière qui viole les droits de l'homme.

Début février, une tragédie s'est produite au large de l'enclave espagnole de Melilla. Plus d'une vingtaine de corps ont été récupérés en mer : des migrants qui tentaient d’atteindre la côte se sont noyés lorsque leur bateau a fait naufrage.

Avec l'Italie et de la Grèce, l'Espagne est l'un des principaux pays d'arrivée des migrants qui souhaitent rejoindre l'Europe. L'année dernière, 22 103 migrants et réfugiés sont arrivés sur les côtes espagnoles, a indiqué la Commission espagnole pour les réfugiés (CEAR).

C’est trois fois plus qu’en 2016.  Selon la CEAR, les migrants arrivent de plus en plus souvent sur les côtes andalouses via Ceuta, Melilla et la Mer d'Alboran. "Nous le constatons dans des endroits comme Motril, Almería et Malaga", explique Esteban Velazquez, l'ancien chef de la délégation des migrations de l'archevêché de Tanger à Nador, au Maroc.

Vulnérables des deux côtés de la frontière

Esteban Velazquez vit aujourd’hui à Grenade, en Espagne, où il est témoin des tensions qui accompagnent les arrivées de migrants. "Récemment, la police a laissé un groupe de migrants à la gare routière de Grenade dans l'espoir qu'une ONG viendrait les chercher, mais personne ne l'a fait", poursuit-il.

Camp de migrants sur le Mont Gourougou | Photo: Port Causa FoundationM. Velazquez a passé trois ans à Nador, où il a pu voir de ses propres yeux la situation vulnérable dans laquelle se trouvent les migrants à la frontière sud de l'Espagne. "Les droits des migrants sont bafoués de part et d'autre de la frontière, au Maroc comme en Espagne", explique-t-il.

Le 31 janvier, il est intervenu à l'Institut Européen de la Méditerranée (IEMed) à Barcelone. "On ne nous raconte pas tout. On entend parler du mont Gourougou [montagne surplombant la partie espagnole de Melilla], où des gens attendent pour traverser la frontière", dit-il. "Mais sur d'autres montagnes voisines, les femmes migrantes sont obligées de se prostituer." Cela, dit-il, on n’en parle pas.

Aider les migrants qui n'ont pas réussi à franchir les frontières

L'organisation religieuse de Velazquez offre une assistance médicale aux migrants qui tentent de franchir la frontière. "Depuis fin 2012, les Forces Spéciales Marocaines - une sorte de police - emmènent à l'hôpital les migrants qui n'ont pas réussi à franchir la frontière et qui ont été blessés lors de cette tentative. Mais ils sortent de l'hôpital avant qu’ils ne soient complètement rétablis et on les abandonne à leur sort dans les rues et les parcs des villes marocaines", dit-il.

Esteban Velazquez | Photo: Judit Alonso"Nous avons enterré des personnes qui sont mortes à la suite de violences policières après avoir tenté de franchir la frontière", raconte Velasquez. "J'ai vu une vingtaine ou une quarantaine de personnes âgées de 15 à 23 ans saigner, les pieds et les épaules cassés, le crâne ouvert. Certains avaient perdu leurs yeux parce que la police espagnole (Guardia Civil) a utilisé des balles en caoutchouc jusqu' à la tragédie de Tarajal", poursuit-il.

La tragédie de Tarajal

L'incident de Tarajal du 6 février 2014 est considéré comme l'un des moments les plus sombres de la région frontalière hispano-marocaine. Quinze migrants africains se sont noyés en essayant de nager depuis les côtes marocaines jusqu’à Ceuta. Des groupes de défense des droits de l'homme ont exigé une enquête après que des témoins ont accusé les forces de sécurité espagnoles d'avoir tiré sur les migrants qui étaient dans l'eau. Tout en admettant que ses forces utilisaient des balles en caoutchouc, le gouvernement a nié avoir pris les migrants pour cible directe.

"L’impunité règne à la frontière", affirme Virginia Rodriguez, coordinatrice des recherches au sein de porCausa, une fondation qui se concentre sur le journalisme et la recherche sur les questions migratoires. "Quatre ans après [après Tarajal], la justice espagnole refuse d'enquêter sur ce qui s'est passé à Ceuta, malgré les preuves", explique Virginia Rodriguez.

Cet incident a entraîné des changements dans la politique migratoire. Il a légalisé les refoulements. "Les organisations de défense des droits de l'homme dénoncent ces activités depuis des années. Mais le gouvernement espagnol les nie", affirme Marta Valladaura, avocate à l'IRIDA, une association basée à Barcelone qui œuvre pour la défense des droits de l'homme.

"Le changement de politique stipule que "les étrangers qui sont repérés à la frontière de la démarcation territoriale de Ceuta ou Melilla en train d’essayer de franchir les éléments de cette frontière pour la traverser de manière irrégulière, peuvent être expulsés afin d'empêcher leur entrée illégale en Espagne", explique Marta Valladaura.

Procès d’une militante des droits de l’homme

Le jour de la conférence d'Esteban Velazquez, Helena Maleno, une militante espagnole des droits de l'homme, a été jugée au Maroc pour avoir prétendument encouragé le trafic d’êtres humains, dans le cadre d'une enquête ouverte par la police espagnole. Helena Maleno vit au Maroc depuis 15 ans, et elle reçoit constamment des appels de détresse de migrants qui tentent de traverser la Méditerranée.





En Espagne, les partisans de la militante se sont mobilisés pour manifester leur soutien. "Son cas est un exemple flagrant de la manière dont les droits de l’homme pâtissent de la prédominance de la protection de la frontière. Non seulement les droits des migrants, mais également ceux des défenseurs des droits humains. Ils sont convaincus qu’ils doivent défendre la dignité de ceux qui tentent de franchir la frontière. Mais ils peuvent finir devant un tribunal à cause de cela", raconte Virginia Rodriguez.

La décision du juge dans le cas d’Helena Maleno n’a pas encore été rendue.

 

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