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Mea culpa

Racisme : l'examen de conscience de «National Geographic»

A l'occasion de la sortie du prochain numéro consacré aux «races», la rédactrice en chef de la revue revient sur le passé raciste du célèbre magazine.
par Maxime Birken
publié le 13 mars 2018 à 17h05

Dans un article en anglais posté ce mardi sur son site et traduit en français, la rédactrice en chef de National Geographic, Susan Goldberg, a décidé de prendre la parole concernant la vision du monde qu'a donné à voir son magazine jusqu'aux années 70. Le mensuel américain, basé à Washington, souffle cette année ses 130 bougies. Il explore traditionnellement les thèmes de l'histoire, de l'archéologie, des sciences naturelles ou encore la protection des espèces animales menacées d'extinction. Lundi, c'est à l'occasion de la présentation du numéro d'avril sur le thème des «races» que la revue a publié cette introspection sans détours.

L'occasion pour Susan Goldberg d'évoquer le passé raciste des reportages du magazine dans un article intitulé «Pendant des décennies, nos reportages étaient racistes. Pour nous en détacher, il nous faut le reconnaître».

«Je suis le dixième rédacteur en chef de National Geographic depuis sa création, en 1888. J'en suis la première rédactrice en chef, juive de surcroît, deux groupes de population qui ont eux aussi été discriminés aux Etats-Unis. Il m'est douloureux de partager cet affreux état de fait qui fait pourtant partie de l'histoire du magazine. Mais puisque nous avons aujourd'hui décidé de faire une couverture exceptionnelle du sujet des "races", il nous faut faire cet examen de conscience avant de considérer de faire celui des autres.»

Avec l'aide de John Edwin Mason, professeur à l'université de Virginie spécialisé dans l'histoire de la photographie et de l'histoire de l'Afrique, ils ont ouvert les archives du magazine afin de les décrypter. Et le constat est édifiant, comme le raconte la rédactrice en chef. «Ce que M. Mason a découvert, c'est que jusque dans les années 70, National Geographic ignorait complètement les personnes de couleur qui vivaient aux Etats-Unis, ne leur reconnaissant que rarement un statut, le plus souvent celui d'ouvriers ou de domestiques. Parallèlement à cela, le magazine dépeignait avec force reportages les "natifs" d'autres pays comme des personnages exotiques, souvent dénudés, chasseurs-cueilleurs, sorte de "sauvages anoblis", tout ce qu'il y a de plus cliché.»

Pour le professeur Mason, «contrairement aux magazines comme Life, National Geographic a très peu fait pour faire en sorte que ses lecteurs dépassent les stéréotypes de la culture blanche occidentale». Et les exemples ne manquent pas, comme en atteste un reportage sur l'Australie datant de 1916, dans lequel on peut lire sous plusieurs photos d'Aborigènes : «Deux Noirs sud-australiens : ces sauvages se classent parmi les moins intelligents de tous les êtres humains.»

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John Edwin Mason tient tout de même à rappeler que «National Geographic est né au moment où la colonisation était à son apogée [en 1888, ndlr], et où le monde était divisé entre colons et colonisés. Une ligne de couleur les séparait, et National Geographic était le reflet de cette vision du monde».

En guise de conclusion de son article, Susan Goldberg revient sur le thème du prochain numéro consacré aux races en ces termes : «Dans deux ans, pour la première fois dans l'histoire des Etats-Unis, moins d'un enfant sur deux sera Blanc. Il est sans doute temps de parler des conflits basés sur l'idée erronée de "races". D'essayer de comprendre pourquoi nous continuons à distinguer les hommes et à construire des communautés inclusives. D'analyser le recours politique actuel aux logiques éhontément racistes et de prouver que nous valons mieux que cela. Pour nous, cette couverture médiatique est aussi l'opportunité d'un examen de notre propre histoire, et de nos efforts pour illuminer le cours de l'humanité, au cœur de notre mission depuis cent trente ans.»

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