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Harcèlement sexuel : les ministres français plus protégés que leurs homologues étrangers ?

Les ministres Gérald Darmanin et Nicolas Hulot ont tous deux été mis en cause dans des affaires de harcèlement sexuel. LUDOVIC MARIN/AFP

DÉCRYPTAGE - Dans les pays anglophones les affaires de harcèlements sexuels ont déjà conduit plusieurs ministres à démissionner. En France, deux ministres ont été mis en cause mais n'ont pas quitté leurs fonctions. Pourquoi de telles différences alors que la lutte contre le harcèlement est devenue une cause internationale ?

Kent Hehr, Michael Fallon, Damian Green, Gérald Darmanin… Tous ont en commun d'avoir été cités dans des affaires de harcèlement sexuel ou de viol. Pourtant dans cette liste non-exhaustive, un seul est pour l'instant toujours en poste: le ministre français de l'Action des Comptes publics, Gérald Darmanin.

Depuis les révélations de l'affaire Weinstein la parole s'est libérée et de nombreuses enquêtes ont été ouvertes. Le milieu politique n'est pas épargné. En France, deux ministres du gouvernement d'Édouard Philippe ont été mis en cause: Gérald Darmanin et Nicolas Hulot. Malgré les soupçons qui pèsent sur eux, ils n'ont pas démissionné. La vague de révélations a touché un grand nombre de pays, notament les États anglophones. Au Canada, en Australie, ou encore au Royaume-Uni, des ministre ont également dû faire face à des accusations. Mais dans ces pays-là, plusieurs ministres cités dans ces affaires ne sont plus en poste.

Comment expliquer cette différence? «La première hypothèse tient au régime politique. Les pays anglophones comme le Royaume-Uni ou le Canada sont des régimes parlementaires. La possibilité qu'une telle affaire puisse renverser le premier ministre existe. En France, où nous avons un régime présidentiel, le premier ministre ne risque rien de sa majorité», explique Éric Fassin, sociologue et professeur à Paris 8 au Département d'études de genre, interrogé par Le Figaro.

Au-delà du régime politique, certains y voient également une différence culturelle. «Nous avons en France un héritage de ce qui s'appelle la ‘séduction à la française'. C'est une théorie selon laquelle la femme est heureuse d'avoir cédé aux avances d'un homme. C'est un héritage qui est propre à notre société», avance au Figaro Vanessa Jérôme, politiste au Labex-TEPSIS-EHESS. Selon la chercheuse, «on dit souvent que l'homme propose et que la femme dispose. Mais on nie que la sexualité est avant tout un jeu de pouvoir».

Des démissions rapides

Si Gérald Darmanin et Nicolas Hulot n'ont pas quitté leurs fonctions, c'est aussi parce qu'ils sont largement soutenus par le gouvernement, qui respecte une ligne fixée dès l'arrivée au pouvoir du président de la République et son premier ministre, Édouard Philippe. Un cadre simple a été défini: aucun ministre ne sera obligé de démissionner sauf en cas de mise en examen dans le cadre d'une enquête.

À titre de comparaison, depuis le début de l'année 2017 au Royaume-Uni, deux ministres du gouvernement de Theresa May ont démissionné après des mises en cause du même accabit. C'est le cas de Damian Green. Le vice-premier ministre britannique a été accusé de harcèlement par Kate Maltby, une journaliste de 31 ans. Celle-ci affirmait que Damian Green, l'avait, en 2015, invitée à boire un verre en tête à tête et lui avait touché le genou sous une table de manière très appuyée. Dès la révélation de cette affaire, la première ministre Theresa May a commandé un rapport officiel sur la conduite de l'homme. Celui-ci a conclu qu'il avait violé le code de conduite ministériel. Theresa May a ainsi demandé à Damian Green de renoncer à ses fonctions en décembre dernier.

Michael Fallon a lui aussi présenté sa démission le 1er novembre. Le ministre britannique de la Défense était accusé d'avoir posé sa main sur le genou d'une journaliste en 2012 au cours d'un dîner lors d'une conférence du parti conservateur. Sans reconnaître un acte de harcèlement, il a déclaré que son comportement par le passé n'avait «peut-être pas été à la hauteur».

Au Canada, Kent Hehr, ministre des sports a, lui, démissionné le 26 janvier. Il était accusé de harcèlement sexuel par Kristin Raworth, une ancienne employée politique en Alberta. Celle-ci a témoigné sur Twitter le 25 janvier. Dès le lendemain, Kent Hehr a été convoqué par le premier ministre canadien Justin Trudeau et a dû démissionner. Il reste cependant député du parti libéral en attendant les conclusions de l'enquête. Enfin, en Australie, le vice-premier ministre, Barnaby Joice, a donné sa démission le 23 février. Il était accusé de harcèlement et fortement critiqué pour une relation extra-conjugale avec une ancienne collaboratrice. Le premier ministre australien, Malcolm Turnbull, avait tancé le comportement de son adjoint au cours d'une conférence de presse et interdit les relations sexuelles entre les ministres et leurs collaborateurs.

Les hommes de pouvoirs protégés?

La prise de position du chef de l'État français sur ces affaires diffère également de l'attitude de ses homologues. En effet, dans l'Hexagone l'absence de réaction d'Emmanuel Macron sur ces affaires qui touchent les ministres pose question. Si à l'étranger les premiers ministres prennent rapidement la parole, tels qu'ont pu le faire Theresa May, Justin Trudeau ou encore Malcolm Thurnbull, ce n'est pas le cas du président français. «Dès le début de son mandat, Emmanuel Macron a voulu redonner une certaine noblesse au rôle présidentiel. Il reste au-dessus de ces affaires», estime Vanessa Jérôme.

Un point de vue partagé par Éric Fassin. Mais, selon le sociologue, cette attitude soulève un vrai problème. «Ces accusations interviennent à un moment où le Président porte un discours sur les droits des femmes. Le fait de ne rien dire sur ces affaires, de refuser d'intervenir voire de soutenir les ministres incriminés, donne l'impression que la volonté de lutter contre les violences envers les femmes épargne les hommes politiques. Pourtant, comme l'a rappelé l'affaire Weinstein, harcèlement, agressions sexuelles, viols sont des abus de pouvoir, il faut donc commencer par s'en prendre à ceux qui ont du pouvoir».

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271 commentaires
  • A.S

    le

    En gros, c’est pas bien en France parce que l’on respecte le principe de la présomption d’innocence ? Franchement. Je préfère qu’un ministre ou député accusé de harcèlement reste à son poste jusqu’aux résultats d’une enquête judiciaire, plutôt qu’un système où un homme, qui apporte potentiellement beaucoup à son pays par ses actions à son poste, est obligé de démissionner parce qu’il y a dix ans, il a touché un genou. C’est ridicule.

  • BombeH

    le

    Ben oui ! Étrange laisser faire : z'ont ka continuer comme ça puisqu'ils ne risquent rien...

  • QUESTIONNAIRE

    le

    Quand je lis : "la parole s'est libérée", ne faut-il pas lire : "la délation s'est libérée" ?

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