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A Mayotte, le gouvernement veut remettre en cause le droit du sol... sans l'avouer
La ministre des Outre-mer Annick Girardin en visite à Mayotte, le 12 mars.

A Mayotte, le gouvernement veut remettre en cause le droit du sol... sans l'avouer

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Submergée par l'immigration clandestine, Mayotte accueille notamment un nombre important de femmes comoriennes venues accoucher en France pour que leur enfant obtienne la nationalité. Pour s'y opposer, la ministre des Outre-mer Annick Girardin voudrait retirer la maternité Mamoudzou du territoire français.

"Des réponses innovantes et co-construites sur le terrain". Ce n'est peut-être pas avec ce genre de phrases qu'Annick Girardin va convaincre qu'elle est capable de résoudre la situation à Mayotte. Alors, la ministre des Outre-mer a décidé d'employer les grands moyens, en remettant en cause le droit du sol. Le 101e département français, un archipel de l'océan Indien situé à quelques encablures de Madagascar, traverse une grave crise : submergé par l'immigration illégale, le territoire le plus pauvre de France est plongé dans l'insécurité et la violence. Le DOM entame sa quatrième semaine de grève. "Il faut être réaliste, pragmatique, aucun territoire d'outre-mer, aucune région, aucun pays n'a la moitié de sa population qui est étrangère", constate Annick Girardin. Sauf Mayotte.

Au cœur du problème, l'afflux massif de femmes venues des Comores voisines. Elles rejoignent clandestinement la maternité de Mamoudzou, la plus grande du pays, pour y accoucher : en vertu du droit du sol, un enfant né en France de parents étrangers (y compris lorsqu'ils sont présents illégalement sur le territoire) peut en effet acquérir la nationalité française à partir de l'âge de 13 ans, à condition d'avoir résidé au moins 5 ans sur le territoire. Résultat : l'hôpital de Mamoudzou accueille 10.000 naissances par an, un record en France dont... 70% de bébés nés de mères étrangères. Et près de 3.000 mineurs isolés errent sur le territoire.

"Il faut dépasser les combats nationaux que nous pouvons avoir"

"Mayotte est une terre d'accueil qui a trop accueilli", résume Annick Girardin au micro de France Inter ce mardi 13 mars. Avant d'évoquer la solution envisagée par le gouvernement : donner un statut extra-territorial à l'hôpital de Mamoudzou, soit le "sortir" du territoire français pour en faire une zone bien spécifique. "On ne peut pas refuser ces mamans en détresse argumente la ministre. Mais en même temps, on peut peut-être proposer que dans cet hôpital extra-territorial, on puisse avoir plusieurs états civils, en accord avec les Comores et en accord avec Madagascar. Quand on y naît, on dépend d'un état civil ou d'un autre, et on est effectivement reconduit dans son pays d'origine".

En clair, les enfants nés à Mayotte n'auraient plus la nationalité française de manière automatique. Cette option avait été défendue par le président du parti Les Républicains, Laurent Wauquiez : "Quand un enfant naît ici de parents clandestins, ça ne peut pas aboutir à l'octroi de la nationalité française" avait jugé le chef de file de la droite. Annick Girardin propose en substance la même chose mais s'embarrasse bien davantage de précautions langagières. Quand la journaliste de France Inter lui fait remarquer que sa proposition remet en cause le droit du sol, elle s'écrie : "Je n'ai absolument rien dit ! Ici à Mayotte, il faut trouver des solutions innovantes. Il faut dépasser les combats nationaux que nous pouvons avoir. Il faut être réaliste, pragmatique, aucun territoire d'outre-mer, aucune région, aucun pays n'a la moitié de sa population qui est étrangère."

Une proposition inconstitutionnelle ?

Ce "pragmatisme" pourrait néanmoins vite trouver des limites. Celles de la Constitution française : "Cela porterait atteinte au principe d'indivisibilité du territoire", fait remarquer à France Inter le professeur de droit public Serge Slama. La France étant une et indivisible, il est en effet a priori impossible de décréter qu'une partie du territoire n'est plus soumise aux mêmes règles que les autres. Ce qui est précisément le projet du gouvernement : "La France a des territoires d'outre-mer avec des défis particuliers, alors peut-être que la France peut jouer la différenciation des territoires", plaide Annick Girardin.

Autre possible obstacle juridique : le principe d'égalité devant la loi. La proposition de la ministre semble en effet impliquer un statut spécial pour les mères venues des Comores, qui sont les plus nombreuses à affluer à Mayotte. Cela créerait une discrimination frappant les enfants nés de mères comoriennes, par rapport aux enfants nés de mères d'autres nationalités. Les obstacles à la remise en cause du droit du sol sont donc très nombreux. D'autant que sortir la maternité du territoire national pourrait créer un autre problème : les femmes clandestines pourraient être tentées d'aller accoucher en dehors de l'hôpital, pour contourner la règle et permettre à leur progéniture d'acquérir la nationalité française... mais en mettant leur vie, et celle de leur enfant à naître, en danger.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne