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«Racisme environnemental»
Avec son ONG Hawaii Alliance for Progressive Action (Hapa), Gary Hooser a mobilisé la communauté de Kaua’i. Celle-ci souffre des effets secondaires provoqués par l’exposition durable aux pesticides. Il n’est pas aisé d’avoir une preuve de causalité directe, mais les indices abondent. Chez des enfants fréquentant des écoles à ciel ouvert, les problèmes respiratoires aigus qui ont nécessité des hospitalisations se sont multipliés. «Selon les pédiatres et obstétriciens, le nombre de déformations à la naissance a décuplé. C’est pourquoi l’Académie américaine de pédiatrie nous soutient.» Les premières victimes à Kaua’i sont vite trouvées: les habitants sont surtout des Hawaiiens de souche et une population de la classe laborieuse. Pour Eric Chivian, professeur à la Harvard Medical School, ce n’est rien moins que du «racisme environnemental».
Les habitants de la Garden Island (Kaua’i) ont bien tenté de faire passer un projet de loi exigeant de Syngenta et des autres multinationales des zones tampons entre les habitations et les champs de culture ainsi qu’une transparence totale sur les produits utilisés. Mais face aux millions de dollars versés par ces sociétés aux politiques ainsi qu’aux écoles, à un hôpital et à la communauté pour acheter leur silence, ils ont perdu le combat. Gary Hooser le relève: «Ces multinationales engagent surtout des immigrants pour trois ou quatre mois. Impossible de savoir s’ils ont eu des problèmes de santé. Elles ne nourrissent pas non plus les Hawaiiens. La plupart du maïs cultivé ici sert à produire de l’éthanol et à nourrir le bétail. Hawaii continue d’importer 90% de sa nourriture.»
Notre éditorial en novembre 2017: Pesticides, le fiasco de l’évaluation
Politique de la chaise vide
Mise en cause dans le film Poisoning Paradise de Keely Shaye Brosnan diffusé au FIFDH, Syngenta a préféré la politique de la chaise vide lors du débat. Ou presque. Face à Gary Hooser, Hank Campbell, recommandé par Syngenta sans toutefois parler en son nom, a représenté l’industrie en tant que président de l’American Council on Science and Health, un organisme financé par de grandes multinationales, dont Syngenta. «Rien qui n’est avancé dans ce film est prouvé par la science.» Avec un aplomb outrancier, Hank Campbell lâchera: «Le monde moderne n’est pas que mauvais. Grâce à la technologie, la première génération de gens très pauvres peut se permettre d’être obèse.»
Contactée par Le Temps, Andrew McConville, responsable de la communication de Syngenta, justifie l’absence de sa société: «Nous avons décidé de ne pas participer à un forum qui, à notre avis, n’allait pas permettre une discussion équilibrée, honnête et réaliste sur la question de l’accès des agriculteurs à la technologie.» Précisant que Syngenta Hawaii a été repris par la société américaine Hartung Brothers en mai 2017, Andrew McConville précise que la société respecte scrupuleusement les droits de l’homme: «Notre industrie est parmi les plus réglementées du monde.»
Gary Hooser n’y croit pas. Il a déposé avec ses amis une plainte en 2017 contre Syngenta et l’Etat d’Hawaii. Il a failli quitter Kaua’i avec sa famille. «J’ai fait l’objet de multiples attaques de blogueurs professionnels payés par l’industrie.» Il voit néanmoins une lueur d’espoir: les pesticides ne sont plus pulvérisés près des écoles. «Dow Chemical va même construire une serre de 12 millions de dollars pour désormais mener ses tests de produits.»