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Golshifteh Farahani: «J’ai l’impression de porter tout le poids de l’injustice faite aux femmes»

Bannie de son pays, la belle Iranienne mène une brillante carrière de comédienne en France, aux Etats-Unis et ailleurs. Eprise de liberté, de poésie et de musique, cette citoyenne du monde est à l’affiche du «Chant des scorpions»

«Si le paradis existe, il est fait de musique», affirme Golshifteh Farahani qui, malgré son don pour le piano, est devenue actrice. — © Agora Films
«Si le paradis existe, il est fait de musique», affirme Golshifteh Farahani qui, malgré son don pour le piano, est devenue actrice. — © Agora Films

Dans Le Chant des scorpions, Golshifteh Farahani tient le rôle d’une guérisseuse du Rajasthan qui soigne par le chant les piqûres de scorpion. La magie spirituelle qu’invoque le film l’a séduite. «La vie est une poésie, mais on a tout oublié», dit celle dont le prénom signifie «éprise de la fleur». «Je viens d’Iran, qui est le pays de la poésie, précise-t-elle. Elle est comme l’oxygène, indissociable de la vie des Iraniens. Alors, ici, j’ai parfois l’impression d’être un peu étrange, un peu zinzin. Comme une extraterrestre»… Elle éclate de rire.

Shéhérazade contemporaine

Le gueux qui a audience avec Golshifteh Farahani pense forcément à Shéhérazade. La beauté sidérante de la comédienne, son talent chez Farhadi ou Jarmusch, Ridley Scott ou Alain Chabat, son courage invitent au respect. Or, confit de dévotion, l’asticot découvre que l’étoile est bonne copine, rieuse, chaleureuse, directe.

L’humeur joyeuse dissimule des gouffres. L’héroïne du Chant des scorpions est sauvagement violée. Une scène très éprouvante à jouer, parce que l’actrice s’investit intensément dans ses rôles, parce qu’elle prend sur elle la violence que subissent les femmes. «J’ai cet océan gigantesque de tragédie à l’intérieur de moi. J’ai l’impression de porter tout le poids de l’injustice faite aux femmes. La douleur, la tristesse, la solitude vivent en moi. Et c’est violent.»

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Cèdre et manguier

A Téhéran, lorsqu’elle a 16 ans, l’adolescente rebelle échappe miraculeusement à une agression à l’acide parce qu’elle marche tête nue dans la rue. Elle se déguise en homme pour pouvoir jouir de la liberté. Elle fait partie d’un groupe de rock underground. En 2008, elle devient la première actrice iranienne à tourner dans un film hollywoodien, Mensonges d’Etat, de Ridley Scott. Parce qu’elle a joué sans voile, Téhéran lui cherche des noises. Lorsqu’elle défile en robe du soir à la première new-yorkaise du film, la rupture avec son pays natal est consommée. En 2012, elle s’attire les foudres des ayatollahs en posant nue dans Le Figaro Madame, défi assorti de cette ardente promesse: «De vos rêves, je serai la chair.»

«L’exil, c’est moi. J’ai été follement amoureuse de l’Iran, et je l’ai perdu.» Près de dix ans après avoir quitté son pays, la comédienne apatride constate qu’elle n’a pas de base, pas de maison. Qu’elle vit un deuil semblable à celui des gens qui ont perdu un enfant et ne peuvent plus en avoir. En même temps, même si «la musique d’exil ne nous quitte jamais», le monde est son pays. Elle se sent chez elle à Locarno, à Genève, à Paris, en Amérique du Sud, en Malaisie…

Des films qui lui ressemblent

Citoyenne du monde, elle tire des «trous noirs de la souffrance, de la mélancolie, de la nostalgie» de jolies choses, à l’instar des lotus «sortant de la vase pour aller vers la lumière». Les films dans lesquels joue Golshifteh Farahani lui ressemblent, ils expriment tous une idée de liberté et de dignité. «Merci, c’est un beau compliment. La dignité est essentielle. Un être digne ne peut pas tuer. Un être digne ne juge pas. Oui je me bats pour la liberté, la noblesse, la beauté… pour les valeurs de l’humanité en fait. C’est un peu cliché, mais c’est vrai.»

Aujourd’hui, je plante une graine qui donnera un arbre. Un cèdre ou un manguier qui serviront l’humanité

Même si elle s’est amusée à tenir un court rôle de sorcière (chauve!) dans Pirates des Caraïbes, Golshifteh n’est pas prête à fréquenter les blockbusters. Elle est trop attachée au cinéma indépendant: «Je l’aime. C’est ma famille. Je me sens chez moi à l’intérieur de ce petit cinéma galère qui manque d’argent mais défie le temps, en parlant de valeurs et de sentiments éternels. Aujourd’hui, je plante une graine qui donnera un arbre. Je ne veux pas planter de petits machins verts, mais un cèdre ou un manguier, qui serviront l’humanité.»

Hang et guitare

Sa grâce digne des 1001 Nuits détermine un certain nombre de personnages orientaux. Pourtant la comédienne décroche des rôles échappant à la typologie anthropologique, comme une prisonnière dans Les Deux Amis, Anna Karénine au théâtre ou, plus surprenant mais tout à fait séduisant, Mme de Réan dans Les Malheurs de Sophie. Cette diversification la réjouit, car «confiner un acteur oriental dans des rôles orientaux incite à rester dans une zone de confort».

Elle qui pousse les gens, et même la République islamique d’Iran, à dépasser leurs limites se sent attirée par des personnages littéraires et historiques qui ne sont pas nés à Téhéran, comme Bérénice, Othello (oui, un rôle masculin) ou Jeanne d’Arc, l’idole de l’adolescente qu’elle joue dans Le Poirier, son premier film. Elle aimerait aussi incarner Farah Diba, une «femme extraordinaire».

«Si le paradis existe, il est fait de musique», affirme Golshifteh. Elle a l’oreille absolue, elle a étudié le piano au conservatoire. Elle se destinait à une carrière musicale «mais le train du cinéma m’a prise» et tous ses professeurs estiment que c’est «un gâchis total». La musique la talonne. Elle entend plus le monde qu’elle ne le voit. Elle joue du hang dans My Sweet Pepper Land, de la guitare dans Paterson, elle chante dans Les Malheurs de Sophie. Elle n’exclut pas de faire un disque, de «rendre quelque chose à ce que j’entends». Mais elle n’a pas de piano: «C’est incompatible avec ma vie de clocharde déracinée.» Elle s’absorbe dans ses pensées: «Peut-être faut-il que j’acquière un piano»…

Profil

1983 Naissance à Téhéran.

1997  Le Poirier, de Dariush Mehrjui.

2009  A propos d’Elly, d’Asghar Farhadi.

2011  Poulet aux prunes, de Marjane Satrapi.

2016  Paterson, de Jim Jarmusch. Au théâtre: Anna Karénine, mise en scène de Gaëtan Vassart.

2017  Santa & Cie, d’Alain Chabat; The Song of Scorpions, d’Anup Singh.