Jumia, immersion dans les coulisses de l'Amazon africain

Jumia Maroc attire 5 fois plus de visiteurs que le plus grand mall du Maroc et campe à la 9e place des sites Internet les plus visités dans le Royaume.

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Jumia a tout fait plus vite que les autres sites de e-commerce marocains. Entre 2012 et 2017, la plateforme est passée de 600.000 visites à plus de 100 millions. Dans le même intervalle, le nombre de commandes en ligne est passé de 25.000 à plus de 800.000.

L’entreprise enregistre en moyenne 2.100 commandes quotidiennes. Forte de 350 salariés et 3.000 vendeurs, le mastodonte possède 10 entrepôts répartis à travers le Royaume, et a développé une flotte de 200 livreurs permettant la remise des produits en 48 heures et la facilitation des retours. Des chiffres qui en font le leader du e-commerce au Maroc.

Service client en surrégime

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L’open space regroupe les opérateurs du SAV ainsi que les graphistes de l’entreprise. Au fond à gauche, l’équipe Jumia Food, composée d’une dizaine de personnes, est indépendante de Jumia.ma. Crédit: TelQuel.ma

Pour gérer tout cela, une armada d’opérateurs s’active dans l’ombre afin de traiter les affaires courantes. Le client est impatient. Chaque minute compte chez Jumia. Confirmation de commandes, expéditions de colis, retours, coordination des vendeurs et livreurs…

L’entreprise assiste les commerçants à travers tout le processus de vente, de l’achat du produit à la livraison en passant par le service après-vente (SAV). Les shootings photo des produits se font dans les locaux du service client en plus d’une formation hebdomadaire pour les vendeurs, dispensée tous les mardis.

Jumia Maroc est un mall virtuel, c’est-à-dire que l’entreprise ne vend pas elle-même les produits, mais fait de l’intermédiation. Fin 2016 le management a décidé de se désengager complètement de l’activité retail qui représentait 15% de son activité et développer davantage Jumia pour en faire une marketplace.

La création d’une boutique en ligne sur jumia.ma est totalement gratuite, les vendeurs ne paient que lorsqu’ils effectuent des ventes. Evidemment, tout cela est contractualisé. « Ces services sont rémunérés à la commission, prélevée sur les ventes réalisées. Le chiffre varie de 5 à 10% en fonction des produits concernés« , nous explique Larbi Belrhiti, directeur général de Jumia Maroc. Ces commissions varient par exemple de 6 à 7% sur la téléphonie.

Dans les locaux de l’entreprise, situés sur le boulevard Yacoub El Mansour, l’ambiance est studieuse. Casque vissé sur la tête, les 90 salariés du service client s’affairent pour traiter les demandes des clients. « Lorsque le client nous contacte pour nous informer d’un problème, nos équipes vont approfondir pour comprendre la raison », explique encore Larbi Belrhiti.

L’e-commerce n’étant pas totalement ancré dans les habitudes de consommation marocaines, « la moitié des réclamations sont de type éducationnel. C’est-à-dire que le client reçoit un SMS  indiquant que son colis est en cours d’acheminement, mais ne comprend pas pourquoi il n’a pas le colis. Le service clientèle s’occupe alors de lui expliquer les différentes étapes« , poursuit-il.

Crédit: TelQuel.ma
Crédit: Telquel.ma

Jumia Maroc déménagera son service client au boulevard d’Anfa à Casablanca au courant du mois de mars 2018. Les locaux actuels, sur deux étages, sont ornés de tags aux couleurs chatoyantes.

L’esprit jeune de la boite contraste toutefois avec le stress qui règne dans l’open space. « Nous avons une obligation de résultats énorme, exacerbée par une concurrence interne acharnée entretenue par nos N+1″, confie une opératrice du service client.

Une pression qui a atteint son paroxysme lors du dernier Black Friday. Organisé du 13 novembre au 12 décembre 2017, l’événement avait attiré plus de 20 millions de visites. « Nous avions des horaires inimaginables. Cela pouvait durer jusqu’à 3h du matin, tous les jours. Personnellement, j’étais au bord du burn-out, surtout que mon salaire ne dépasse pas 3.200 dirhams », confesse-t-elle.

Des assertions que nient le top management de l’entreprise qui reconnaît certes un « rythme soutenu« , mais fait valoir « l’embauche d’intérimaires pour alléger la charge de travail lors de grands événements« . Il faut dire que l’événement est capital pour Jumia, qui en profite pour gonfler considérablement son chiffre d’affaires.

La plateforme a enregistré près de 1.000 commandes par minute lors du lancement des promotions fin 2017. « Nous avons réalisé le chiffre d’affaires de 2016 en un mois de Black Friday cette année« , continue notre source, qui ne divulgue toutefois pas le chiffre d’affaires global.

Crédit: TelQuel.ma
Une dizaine d’opérateurs sont exclusivement chargés des relations avec les vendeurs de la plateforme. Crédit: Telquel.ma

Pour arriver à battre ses propres records année après année, l’entreprise ne mise pas que sur sa présence en ligne. Un service marketing gère les partenariats physiques. Lors du Black Friday par exemple, une banque de la place s’est engagée à mettre en avant Jumia sur ses guichets automatiques, en agence ou encore directement auprès de ses clients par SMS.

Les réseaux sociaux contribuent aussi à une part non négligeable de l’activité de l’entreprise. Facebook représente à lui seul 20% des sources de trafic de Jumia Maroc.

Le reste de l’année, pour attirer, Jumia affiche des promotions: -70% sur les sèche-cheveux, -86% sur les montres connectées … Ce sont en général des produits d’entrée de gamme affichés à des prix proches de ceux de l’informel.

Des pratiques commerciales visant à booster les ventes et par ricochet les chiffres de la plateforme d’e-commerce. En effet, « l’entreprise, qui a beaucoup investi, n’est pas encore rentable. Il faut faire beaucoup de volume pour y arriver », indique Larbi Belrhiti.

Fait intéressant, ce sont les couches pour enfants qui se vendent le mieux sur le site. Nous l’avons vu: dans les entrepôts, la partie dédiée aux couches-culottes occupe un bon tiers des 2.100 mètres carrés! « C’est un phénomène continental, les Pampers trustent le classement des meilleures ventes partout sur Jumia en Afrique« , explique Wafaa Elkadmiri, en charge de la logistique. Les produits high-tech et les chaussures complètent le podium des meilleures ventes sur Jumia.

200 colis emballés quotidiennement par opérateur

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Les chaussures font partie du top 3 des ventes de Jumia Maroc. Crédit: Telquel.ma

Pour se rendre compte du cœur du business de Jumia, il faut visiter entrepôts. A quelques encablures de Casablanca, à Lissasfa, est nichée une business unit logistique de Jumia Maroc. S’étalant sur 2.100m2, celle-ci gère les stocks pour les vendeurs.

C’est une sorte de service de consignation proposé aux grands fabricants qui opèrent directement sur le marché avec leur propre chaîne d’approvisionnement locale, et aux grands distributeurs de marques internationales. La plateforme travaille aussi avec plusieurs magasins multimarques comme Cosmos.

C’est comme si les commerçants disposaient d’un magasin supplémentaire, sans en supporter les charges et avec la force de frappe géographique d’Internet. Les marchands ont aussi le choix de faire référencer leurs produits sur le site de Jumia, tout en gérant eux-mêmes la logistique de stockage. Néanmoins, les vendeurs doivent être réactifs. S’ils vendent en flux tendu, ils sont tenus d’expédier les produits sous 24h voire 48h maximum.

Concrètement il y a peu de bureaux. Le gros du travail se fait debout, en se déplaçant dans le rayonnage, sur fond de musique (nos hôtes écoutaient du raï lors de notre visite).

Une première équipe est chargée de réceptionner au hub dédié la marchandise préparée par les vendeurs. C’est ce qu’on appelle le « drop-shipping », celui-ci représente environ 25% de l’activité de Jumia Maroc.

Le concept est simple: dès qu’une commande passe chez le vendeur, les opérateurs Jumia prennent le relais. Ils réceptionnent le produit, déjà préparé par l’e-commerçant, le conditionnent, et s’occupent de l’acheminement vers le client final, du paiement et de son transfert vers le vendeur.

Une deuxième équipe s’occupe de réceptionner les retours client et de vérifier si l’objet est défectueux. « Nous avons en moyenne 5 à 10% de retour », indique Wafaa Elkadmiri. « La plupart du temps, l’objet n’est pas défectueux. C’est le client qui a du mal à l’utiliser. Nous passons alors le relais au service client qui se charge des démarches didactiques », continue-t-elle.

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L’équipe en charge de traiter les retours de colis à l’entrepôt de Lissasfa. Crédit: TelQuel.ma

L’obligation de résultats se ressent aussi à Lissasfa. La troisième équipe, composée de 3 personnes, s’occupe d’emballer les colis stockés dans l’entrepôt à un rythme effréné. Chaque opérateur est chronométré avec un objectif de 200 colis quotidiens à atteindre. L’acheminement des produits de la plateforme aux relais, puis vers le client final se fait essentiellement via des opérateurs tiers. Amana, filiale du groupe Poste Maroc, est un des plus importants partenaires du site.

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L’entreprise reste discrète sur ses autres activités. A peine pourra-t-on soutirer au management les commissions Jumia Food. Elles oscillent entre 20% pour les restaurants avec leur propre livraison à 30% pour les restaurants utilisant la livraison par Jumia. D’ailleurs un nouvel entrant marocain dans la livraison de plats préparés, Hmizate Food, compte challenger la licorne africaine, là où Uber Food a échoué.

Le portail immobilier Jumia House ainsi que  Jumia Travel « n’ont pas le vent en poupe », déclare une source interne. Le premier doit faire face à la concurrence féroce de Sarouty.ma et d’Avito, tandis que le deuxième ne représente pas encore une alternative aux indéboulonnables Booking et TripAdvisor.

Changement de cap

Un plan de restructuration a été enclenché à l’arrivée de Larbi Belrhiti à la tête de la plateforme leader de la vente en ligne au Maroc. Durant ce mois de mars, une quarantaine d’employés ont été licenciés. « Nous avons pris la décision de nous séparer de plusieurs salariés afin de les remplacer par des profils plus pointus. Les employés licenciés bénéficieront de l’entièreté des droits qui leur sont dus », argumente le dircteur général de Jumia Maroc.

L’entreprise compte désormais embaucher « des profils dotés d’expertises dans le digital, et possédant des expériences internationales au sein de multinationales telles qu’Amazon ou Uber ».

Selon nos informations, l’arrivée d’un ancien cadre marocain d’Amazon, qui sera chargé de la gestion de l’entrepôt,  a été actée. Derrière cette ambitieuse politique d’expansion, un tour de table solide composé de mastodontes tels que MTN, Goldman Sachs, Orange ou encore Axa.[/encadre]

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Crédit: TelQuel.ma
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