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«Ebdo», déjà en lutte pour sa survie financière

Deux mois après son lancement, le magazine très critiqué pour la publication d'un article sur Nicolas Hulot est à court de trésorerie. Il n'a pas réalisé l'augmentation de capital sur laquelle il comptait.
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 15 mars 2018 à 20h13

Les mines sont graves, les sourires moins fréquents qu'à l'accoutumée. Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry, les deux actionnaires principaux d'Ebdo, reçoivent ce jeudi dans un bureau, de l'autre côté de la rue où le magazine a ses locaux. Ils sortent d'une réunion de crise avec la quarantaine de salariés du journal. La veille, ces derniers se sont rassemblés en assemblée générale, alarmés par des rumeurs de liquidation judiciaire, de plan social et de cessation de parution qui circulent en interne depuis quelques jours.

«Nous sommes à la croisée des chemins, reconnaît Laurent Beccaria auprès de Libération. On se bat. On explore toutes les pistes pour sauver le meilleur de ce journal.» Deux mois après le lancement plein d'ambitions d'Ebdo, il est déjà question de «sauver» le titre, très critiqué récemment pour la publication d'un article sur une plainte pour viol déposée contre Nicolas Hulot et classée sans suite. «Nous sommes face à ce moment de crise où tout se résout ou s'encalmine. Mais l'énergie est là.»

A défaut d'être flamboyants, aussi bien du point de vue des ventes que du côté éditorial, les débuts d'Ebdo ont été honnêtes. Mais le choix de sortir cette enquête mal ficelée, qui ne faisait pas l'unanimité dans la rédaction et la mauvaise publicité qui a suivi ont eu un effet dépressif sur la trajectoire anticipée. Alors que sort vendredi le dixième du numéro de l'hebdomadaire, le nombre d'abonnés stagne à 8 000 et les ventes au numéro sont tombées «entre 8 000 à 10 000», selon Beccaria, également patron des éditions des Arènes. Loin, très loin des objectifs (70 000 abonnés, 20 000 ventes). «On refait le business plan depuis un mois. Les hypothèses économiques ont pris une autre figure. On doit retravailler l'ensemble de l'équation économique», concède Beccaria.

«Trouver l’équation» 

Plus grave, l'affaire Hulot a fait fuir un gros investisseur individuel qui devait mettre de l'argent dans le journal. Ce serait un ami du ministre de l'Ecologie, ce que ne confirment pas Saint-Exupéry et Beccaria. Son retrait a provoqué l'annulation de l'augmentation de capital de 2 millions d'euros, à laquelle devaient souscrire huit personnes morales et qui était censée donner le temps à Ebdo de se développer. En cascade, les crédits bancaires de 4 millions d'euros sur lesquels les fondateurs du journal comptaient aussi n'ont pas été débloqués.

La société éditrice, Rollin Publications, se retrouve avec un tout petit million d'euros, issu des réserves accumulées grâce aux revues XXI et 6 Mois (ses autres publications) et de la campagne de financement participatif ayant précédé la sortie d'Ebdo. Une misère, au vu de la structure de coûts de la boîte, qui se retrouve à court de trésorerie. Les difficultés économiques de Presstalis n'arrangent rien : le grand distributeur de presse a dû décaler des paiements et prévoit d'augmenter ses commissions, pesant d'autant plus sur les revenus d'un journal sans pub.

Dans l'urgence, les deux hommes sont contraints de remonter un tour de table s'ils veulent faire perdurer Ebdo. «On n'a pas six mois, assume Beccaria. Cela se compte en semaines. Cela ne sert à rien de s'enfoncer dans la vase. Il faut trouver l'équation entre de nouveaux investisseurs, une nouvelle formule du journal et la rédaction qui en a envie.» Quelle somme faut-il désormais réunir ? Beccaria ne donne pas de chiffres précis. Mais explique qu'il faut «plus d'argent», afin de se donner «plus de temps pour réussir notre pari».

Réduction des effectifs

Interrogé sur les différents scénarios envisagés, l'éditeur n'est pas plus précis. «Tout est ouvert», se contente-t-il de dire. La piste d'une réduction des effectifs est forcément sur la table. Si les deux actionnaires principaux ne le reconnaissent pas ouvertement, ils seraient également prêts à s'effacer, pour laisser la place à d'autres dirigeants. «Parfois, il faut changer, s'adapter au réel. Nous assumerons notre part de responsabilité. Nous ferons tout ce qui est bon pour la société», continue Beccaria. Le directeur général de Rollin, Thierry Mandon, s'active de son côté pour trouver des financements. Au sein d'Ebdo, plusieurs sources indiquent qu'il pourrait reprendre le journal avec une nouvelle équipe de direction et une rédaction remodelée.

Saint-Exupéry, qui dirige la rédaction d'Ebdo, sous-entend avec ses mots qu'elle fonctionne mal : «Le choc des cultures à l'intérieur de la rédaction a été mésestimé, et son effet sur le temps qu'il faut pour créer un collectif.» Mais l'ex-grand reporter du Figaro n'a pas perdu tout espoir : «L'attente des lecteurs n'a pas disparu. On n'a pas été assez près d'elle. Nous avons une communauté de lecteurs que l'on peut tout à fait reconquérir.» Après les premiers numéros d'Ebdo, et notamment celui de l'affaire Hulot, beaucoup de fidèles de 6 Mois et XXI ont exprimé leur déception. Ils n'en restent pas moins attachés à l'esprit de ces deux titres.

Reste une question : comment convaincre des investisseurs de s'engager dans une situation qui semble aussi plombée ? «La société a des actifs, argumente Beccaria. Il y a XXI et 6 Mois, la communauté que l'on a créée, l'outil de production qu'est Ebdo, une rédaction avec des talents non négligeables, la valeur de notre indépendance, notre projet journalistique et démocratique…» Et de conclure, déterminé : «Toute cette histoire nous tient aux tripes.»

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