Publicité

Martin Luther King-Malcolm X: une dualité historique

On a longtemps présenté les deux figures afro-américaines comme des rivaux acerbes, l’une prônant la non-violence, l’autre la résistance musclée. Dans les faits, elles étaient plus proches qu’on ne l’imagine

Quand on parle de Malcolm X, impossible de le dissocier de Martin Luther King et de la dispute qui a déchiré le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis.  — © Henry Griffin/AP Photo
Quand on parle de Malcolm X, impossible de le dissocier de Martin Luther King et de la dispute qui a déchiré le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis.  — © Henry Griffin/AP Photo

Quand on parle de Malcolm X, impossible de le dissocier de Martin Luther King et de la dispute qui a déchiré le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. Exprimé de façon schématique, l’un était pour la non-violence et l’autre pour une réaction beaucoup plus violente à l’oppression des Blancs dans un pays né avec le péché originel de l’esclavage, puis les lois ségrégationnistes Jim Crow. Désormais, cette opposition est nuancée.

Sociologiquement, beaucoup les séparait. Le pasteur d’Atlanta était d’extraction bourgeoise. Au bénéfice d’un doctorat, il s’impose comme le leader du mouvement des droits civiques dans les années 60. C’est un homme du Sud. Malcolm X est né dans le Nebraska, mais s’établira surtout dans le Nord: Wisconsin, Michigan, Massachusetts puis New York. Il grandit dans les ghettos et fait partie de la pègre de Boston. Il sera condamné à 10 ans de prison pour délinquance, mais sera libéré après 7 ans. En termes d’éducation, c’est un bon élève, mais il quittera le système scolaire vers 15 ans. «Malcolm X est une intelligence organique», souligne Moshik Temkin, professeur associé d’histoire à la John Kennedy School de Harvard.

Stratégie et rapprochement

Martin Luther King fera de la non-violence l’un des principes centraux animant les défenseurs des droits civiques. «Il n’était pas contre la violence à tout prix. Face à des régimes totalitaires comme l’Allemagne nazie, il se rendait bien compte qu’il n’y avait pas d’alternative», analyse Pap Ndiaye, professeur d’histoire des Etats-Unis à Science Po Paris. Mais c’était une stratégie. Pour Malcolm X, la violence pouvait être un moyen de résistance légitime. Mais dans sa vie, il n’y a jamais recouru. Il restera longtemps critique de la manière dont Martin Luther King s’y prenait pour combattre un racisme endémique. Il moquera ainsi la marche sur Washington de 1963 ainsi que le célèbre discours «I have a dream» du pasteur d’Atlanta. Mais deux éléments vont marquer le début d’un rapprochement entre eux: la rupture de Malcolm X avec Nation of Islam, découlant de sa découverte de l’islam sunnite à La Mecque en 1964, et la radicalisation progressive de Martin Luther King face à la guerre du Vietnam.

Lire aussi:  La dernière lettre de Malcolm X envoyée à Genève

La différence la plus fondamentale entre les deux Afro-Américains relève du cadre dans lequel ils inscrivent leur action. Martin Luther King est profondément Américain. Son combat est national et a un objectif: contraindre la société américaine à «intégrer» la minorité afro-américaine. Il s’appuie sur la Constitution et la Cour suprême des Etats-Unis. Pour Malcolm X, être Américain, «c’est un peu le hasard de l’histoire. Il se voit davantage comme un citoyen du monde qui cherche à unir les opprimés de la planète. Il n’est pas attaché à l’identité américaine», relève Pap Ndiyae.

Le soufre et l'institution

Paradoxalement, le leader du mouvement des droits civiques ne développera pas de vrai intérêt pour les cultures noires. Pour lui, dit-on, un Noir est un Blanc avec la peau noire. Dans sa phase la plus radicale, Malcolm X aurait aimé détacher les Noirs de l’Amérique. Mais il est très curieux des cultures noires urbaines, précise Pap Ndiyae. Il était aussi internationaliste. «Martin Luther King parlait de droits civiques. Malcolm X parlait de droits de l’homme. Cette tendance aux Etats-Unis est restée, constate Moshik Temkin. Certains estiment que les droits de l’homme, c’est pour l’étranger.» Par ses voyages, l’idée du prédicateur de Harlem est de trouver des soutiens étrangers à la cause afro-américaine. Il a un côté révolutionnaire. L’islam est pour lui une religion globale. Peu avant sa mort, il était d’ailleurs sur le point de porter la cause devant les Nations unies, estimant qu’elle était assimilable à l’apartheid en Afrique du Sud.

Lire aussi:  De cocaïnomane à héraut de la cause noire

Les deux éminentes figures afro-américaines sont aujourd’hui vénérées outre-Atlantique. Mais l’une reste beaucoup plus institutionnelle que l’autre. Martin Luther King est le seul à avoir droit à un jour férié (en janvier). «On l’a ainsi un peu «trivialisé» par son caractère trop officiel, poursuit Pap Ndiaye. Malcolm X reste en revanche un personnage plus sulfureux, qui plaît davantage aux jeunes.» Les deux figures ont interpellé l’ex-président Barack Obama. Durant sa jeunesse hawaïenne, quand il se cherchait une identité, il avait été séduit par Malcolm X. «Certains voient en ces trois personnages affichés sur des t-shirts la sainte Trinité. C’est aller un peu vite en besogne, poursuit le professeur de Sciences Po. Barack Obama a eu l’expérience de l’exercice du pouvoir. Les deux autres y étaient opposés.»