Dulcie September, Sakine Cansiz et Marta Caceres : trois icônes politiques assassinées avant Marielle Franco

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Dulcie September, Sakine Cansiz et Marta Caceres : trois icônes politiques assassinées avant Marielle Franco

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Manifestation après l'assassinat de Marielle Castro le 14 mars 2018 au Brésil.
Manifestation après l'assassinat de Marielle Castro le 14 mars 2018 au Brésil.
© AFP - Ian Cheibub / AGIF

Après l'assassinat de l'activiste brésilienne Marielle Franco, retour sur trois assassinats de combattantes avec l'histoire de la Sud-africaine Dulcie September, de la Kurde Sakine Cansiz et celle de Marta Caceres Flores, icône de la lutte au Honduras.

Marielle Franco, militante brésilienne pour les droits des femmes, la cause des Noirs et la défense des populations des favelas, a été abattue mercredi 14 mars dans sa voiture, à Rio de Janeiro. Elle avait 38 ans et était conseillère municipale du Parti socialisme et liberté. Sa mort donne lieu à de nombreuses manifestations pour saluer le courage de l'activiste, et annoncer que son combat lui survivra.

Avant Marielle Franco, d'autres femmes ont payé de leur vie leur engagement, abattues souvent froidement.  Retour sur le destin de trois d'entre elles : la militante anti-apartheid Dulcie September, la Kurde Sakine Cansiz et la militante écologiste Marta Caceres Flores.

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1. Dulcie September, militante anti-apartheid assassinée en plein Paris

Lorsque Dulcie September a été assassinée à Paris, en 1988, c’est à la Maison des Métallos, rue Jean-Pierre Timbaud, à Paris, qu’elle a été veillée. Toute la nuit durant, des membres de sa famille, venus d’Afrique du sud ou d’Europe, mais aussi des militants communistes français lui ont rendu hommage. Au petit matin, un journaliste de France Inter, en reportage sur place, repérera dans le livre de condoléances des mots laissés par les socialistes Pierre Mauroy ou Edgar Pisani. La gauche française est en deuil : une icône de la lutte contre l’apartheid, militante communiste, a été abattue sur le sol français.

C’est en 1983 que Dulcie September était arrivée à Paris : l’élection de François Mitterrand à l’Elysée signifiait pour l’ANC, le mouvement de Nelson Mandela,  l’autorisation d’ouvrir une représentation en France. L’ANC n’est plus considérée par la France comme une organisation terroriste. L’ex-enseignante vivait depuis dix ans en Europe : fin 1973, elle s’était exilée à Londres. Interdite de séjour dans son pays : “Visa permanent”, indiquera son passeport jusqu'à sa mort. Les autorités sud-africaines en font une paria même si elle a purgé sa peine de cinq ans de prison pour activisme.

C’est en Europe que Dulcie September rejoindra les rangs de l’ANC. Avant son exil, elle militait aussi contre l’apartheid, mais sous d’autres bannières. Devenue une figure de proue de la branche féminine de l’organisation, elle est nommée à la tête du bureau parisien alors qu’elle n’a pas quarante ans. 

Lutter contre l’apartheid depuis la France impliquait tout un volet diplomatique, mais aussi des manifestations devant l’ambassade de l’Afrique du sud à Paris. Dulcie September s’affiche, elle est visible. Elle devient une cible. 

Début 1988, c’est Charles Pasqua qui est ministre de l’Intérieur. C’est l’heure de la cohabitation, et Jacques Chirac est Premier ministre. Dulcie September se sait menacée, elle quitte Paris pour la ville de banlieue Arcueil, qui lui met gracieusement un appartement à disposition, et réclame une protection policière. Celle-ci ne viendra jamais. Le 29 mars 1988, peu avant 10 heures, elle est assassinée sur le pas de la porte des bureaux de l'ANC, en plein Paris. 

Une histoire particulière, un récit documentaire en deux parties
29 min
Une histoire particulière, un récit documentaire en deux parties
29 min

Pour “Une histoire particulière”, Michel Pomarède et Jean-Philippe Navarre ont enquêté sur sa mort dans un documentaire en deux parties diffusé les 28 et 29 octobre 2017 sur France Culture. Ils ont notamment exhumé le rapport de police daté du 29 mars 1988 qui indique :

A 10 heures, au 28, rue des Petites-Ecuries, à Paris 10e, était découvert le cadavre d’une femme mortellement blessée de plusieurs coups de feu sur le palier du 4e étage du bâtiment C devant les bureaux de l’ANC (African National Congress), organisation anti-apartheid. Carte de résident temporaire au nom de September Dulcie Evonne, née le 20.08.1935 à Cap Town, République sud-africaine, domiciliée au 7, avenue de la Convention à Arcueil (94). Célibataire. Représentante de l’ANC pour la France, la Suisse, le Luxembourg.

On ne peut pas dire que ces cinq balles tirées à bout portant soient une surprise et on apprendra que le Quai d’Orsay avait connaissance de menaces aggravées. A l’époque, le régime de Prétoria, sur sa fin,  se durcit, et multiplie les assassinats, y compris à l’étranger. La France ne se distingue pas par son zèle : l’enquête est indigente et l’affaire sera classée sans suite. Après ce non-lieu, des associations, comme Survie, accuseront Paris de complicité plus ou moins passive.

Incinérée au Père Lachaise, Dulcie September cessera d’être exilée à sa mort : sa soeur a rapporté ses cendres en Afrique du Sud. Six ans après sa mort, Nelson Mandela devient le premier Président noir d’Afrique du Sud : l’apartheid a pris fin en 1991, et a duré officiellement 43 ans.

"Une histoire particulière" Dulcie September 1/2 le 28/10/2017

29 min

"Une histoire particulière" Dulcie September 2/2 le 29/10/2017

29 min

2. Sakine Cansiz : feu sur l'image d'une génération de combattantes

Sakine Cansiz est morte à 54 ans dans le dixième arrondissement parisien. Figure importante du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, Cansiz était une combattante. Ce n’est pourtant pas sur un terrain de lutte armée qu’elle a trouvé la mort mais en plein Paris, dans un local associatif à deux pas du Canal Saint Martin, rue La Fayette. Elle n’était pas seule ce jour-là : deux autres militantes kurdes - Fidan Dogan, 29 ans, et Leyla Saylemez, 25 ans- ont été assassinées ce 9 janvier 2013 à l’heure du repas. Mais Sakine Cansiz est, de loin, la plus connue, après onze années passées dans les prisons turques. 

Sakine Cansiz appartient à la première génération de femmes a vraiment prendre des responsabilités au sein du PKK. Olivier Grojean, politiste et spécialiste des Kurdes, rappelait le 9 octobre 2014 sur France Inter que le parti ne se dit pourtant pas “féministe”. Ses activistes femmes, pas davantage, du reste. Mais le parti a cependant fait émerger des figures féminines dès les années 1990. En Syrie ou en Turquie, les mouvements kurdes comptaient près de 30 % de “soeurs” au milieu des années 1990. 

Deux décennies plus tard, on redécouvrira l’importance du rôle des femmes, y compris à des postes de commandement, au détour de la guerre en Syrie. Découvrant une femme peshmerga, générale à la tête des troupes kurdes lors de la bataille de Kobané, les médias avaient beaucoup souligné la féminisation des combats, au risque de glamouriser à l’excès l’activité de ces femmes. Mais en réalité, ce principe de co-direction à peu près paritaire était déjà très antérieur à la guerre en Syrie, comme l’expliquait Olivier Grojean :

Les femmes dans le combat kurde, le 9/10/2014 sur France Inter dans "Les femmes toute une histoire"

16 min

Ce 9 janvier 2013, personne ne serait entré par effraction dans le local, ce jour-là. L’homme de 32 ans qui tire à bout portant sur les trois femmes n’en a pas eu besoin. On connaît son nom : Omer Güney, en France depuis l’âge de 9 ans. Sakine Cansiz aussi connaissait son meurtrier : depuis plus d’un an, Güney avait infiltré la base parisienne de l’organisation et les enquêteurs découvriront après le triple meurtre qu’il servait régulièrement de chauffeur ou d’interprète à des dignitaires du PKK. Après son arrestation il clamera se sentir “Kurde de coeur”, alors que ses proches le dépeindront comme un pur nationaliste turc.

Sur le papier, le régime d’Erdogan était pourtant en plein processus de pacification avec le PKK, en Turquie. Mais la perspective d’une normalisation des relations avec le mouvement longtemps désigné comme l’organisation terroriste numéro 1, était loin de faire l’unanimité à Ankara dans les cercles du pouvoir. Qui pouvait signer cet assassinat politique en 2013 ? Bien au-delà de Güney, c’est l’identité du commanditaire que les enquêteurs ont longtemps pisté. En juillet 2015, le parquet envisageait explicitement l’implication des RG turcs pour la première fois.

Avocat des parties civiles dans cette affaire, Me Antoine Comte saluera le travail de la justice française, inédit : 

C’est la première fois que l’autorité judiciaire prend position de manière aussi claire sur la possible implication d’un Etat étranger dans un assassinat politique. Le pouvoir politique, lui, s’est toujours bien gardé de s’exprimer sur cette affaire.

Mais Ömer Güney meurt le 17 décembre 2016, un mois à peine avant le début de son procès : atteint d'un cancer du cerveau, il contracte la légionellose et meurt d'une pneumonie. Depuis, la famille de Sakine Cansiz tient la France pour responsable.

En savoir plus : La question kurde
Affaires étrangères
43 min

3. Berta Caceres, mourir pour la Terre et ses paysans

D’après l’association Global Witness, 201 militants écologistes ont été assassinés dans le monde en 2016. Parmi eux, comme chaque année, plusieurs figures qui mènent l’offensive contre les barrages artificiels et la destruction des rivières. C’était le cas de Berta Caceres Flores, icône de la défense de l’environnement au Honduras. C’est là-bas, dans son pays, que la militante a été assassinée en mars 2016.

Lorsque les quatre hommes du commando qui va l'abattre pénètrent dans sa maison pourtant protégée de barbelés, Berta Caceres Flores se sait en danger. C’est même pour cette maison qu’elle a déménagé : à 42 ans, elle avait déjà été menacée de mort à trente-trois reprises. Car Berta Caceres était une icône, dotée d’une reconnaissance internationale : un an plus tôt, en 1995, elle avait été décorée de ce qu’on considère comme “le Nobel de l’environnement” : le prix Goldman.

Le combat de Berta Caceres remontait aux années 90, lorsqu’elle crée, en 1993, le Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (Copinh). Vingt-trois ans plus tard, la Honduraise défendait toujours les communautés autochtones, dont elle était issue, quitte à braver sans relâche l’Etat qui exproprie les locaux pour construire de grands projets d’infrastructure au mépris de l’environnement. Lorsqu’elle avait reçu son prix Goldman, en 2015, Berta Caceres avait achevé son discours sur ces mots qui racontent l’intrication de ses combats :

Réveillons-nous, humanités !
Il n’y a plus de temps à perdre.
Nos consciences se réveillent en contemplant la destruction et la prédation capitaliste, raciste et patriarcale.
La rivière Gualcarque et d’autres rivières qui sont gravement menacées nous appellent. Nous devons répondre à cet appel.
Notre Terre mère, militarisée, clôturée, empoisonnée, témoin de la violation systématique des droits fondamentaux, nous exige d’agir.
Construisons des sociétés capables de coexister dans la justice et la dignité. Unissons-nous et gardons l’espoir dans la défense du sang de la terre et des esprits.
Je dédie ce prix à tous les rebelles, à ma mère, au Peuple Lenca, à la communauté de Rio Blanco et aux martyrs de la défense de ressources naturelles au Honduras.

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Alors qu’un rapport venait de sortir, montrant que la violence envers les militants écologistes n’avait jamais été aussi forte depuis quinze ans, le 4 octobre 2017 l’émission “Cultures monde” racontait sur France Culture le combat de Berta Caceres :

"Cultures Monde" sur Marta Caceres Flores le 4/10/2017

58 min