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Poison: «Le problème vient d’une centaine de criminels autour de Poutine»

Qui a tenté de tuer l’ancien agent russe Sergueï Skripal? Quel rôle Vladimir Poutine a-t-il pu jouer dans cette affaire? Interview d’un opposant de longue date au président russe, Mikhaïl Khodorkovski

Mikhaïl Khodorkovski, ancien oligarque et patron du groupe pétrolier Ioukos. — © Misha Japaridze/AP Photo
Mikhaïl Khodorkovski, ancien oligarque et patron du groupe pétrolier Ioukos. — © Misha Japaridze/AP Photo

L’ancien oligarque et patron du groupe pétrolier Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, a passé dix ans en prison après s’être opposé à Vladimir Poutine. Libéré fin 2013, il vit désormais à Londres où il a accordé lundi un entretien de plus de deux heures à une vingtaine de journalistes.

La tentative d’assassinat de l’agent double Sergueï Skripal et de sa fille a-t-il aidé Vladimir Poutine pour sa réélection?

Mikhaïl Khodorkovski: Je n’exagérerais pas l’influence de cet événement. Personne en Russie ne savait qui était Skripal. La signification [de l’empoisonnement] n’est vraiment comprise que par les membres des services spéciaux. Pendant la période soviétique, il était très rare que des espions fassent défection. Depuis, le nombre de transfuges a beaucoup augmenté. Et désormais, ils ont commencé à les tuer. C’est un message très clair, qui dit: «Vous ne pouvez jamais échapper aux services spéciaux.»

Est-on sûr que cela vient de Russie?

Impossible d’être certain tant que l’enquête n’est pas terminée. Mais sous Staline, la Russie a développé de très nombreux poisons. Il y avait un laboratoire spécialisé à Moscou qui s’en occupait. Ces poisons sont très au point. Souvent, il est impossible de savoir que l’un d’entre eux a été utilisé, et on ne s’en aperçoit que parce que l’entourage de la personne décédée tombe également malade. Certains sont indétectables après quelques heures. Alors, le choix d’utiliser du Novitchok [l’agent innervant employé contre Sergueï Skripal] est un signal clair, de même que le polonium [l’agent radioactif utilisé contre Alexandre Litvinenko en 2006].

Pensez-vous que Vladimir Poutine a commandité l’empoisonnement de Sergueï Skripal?

Il existe un champ de possibilités. A une extrémité, on peut imaginer que Poutine a demandé directement de l’éliminer. Cela me semble improbable. A l’autre extrémité, une agence russe a pu agir de façon complètement indépendante. Cela me semble également improbable. Entre les deux, il y a toute une gamme de gris. Une liste d’espions transfuges à liquider existe peut-être mais cela n’a pas forcément besoin d’être dit explicitement.

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Le 12 mars, Nikolaï Glushkov, qui était proche de Boris Berezovsky, un ancien oligarque lui-même décédé dans des circonstances controversées, a été retrouvé assassiné à Londres. Cette affaire est-elle liée à celle de Skripal?

Je ne pense pas. La situation est différente. Je ne vois pas pourquoi les autorités russes y seraient liées. Skripal et Litvinenko [un autre ex-agent russe empoisonné en 2006] étaient d’anciens membres des services spéciaux et leur ciblage est à considérer dans ce contexte. Les opposants politiques, c’est différent. Je suis moi-même un opposant connu, Poutine ne m’aime pas mais je ne crains pas que la même chose ne m’arrive.

N’avez-vous jamais été menacé?

J’étais beaucoup plus inquiet quand a été assassiné Boris Nemtsov [un opposant politique tué en 2015 au centre de Moscou]. J’ai appris à l’époque que j’étais sur une liste qui visait quatre personnes. On me l’a dit de façon, disons… semi-officielle. Il y a eu une énorme dispute après cela, pour régler l’affaire et cette liste a été annulée. Sur la liste, il y avait aussi Ksenia Sobtchak [candidate… à la présidentielle cette année].

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Qu’attendez-vous des gouvernements occidentaux pour contrer Poutine?

Il faut d’abord comprendre que le gouvernement et l’administration russes n’ont rien à voir dans cette affaire: ce sont des officiels qui font leur travail, à qui on peut peut-être reprocher de la corruption, mais c’est tout. Le problème vient du cercle autour de Poutine, de sa «cour». C’est un groupe criminel. Il s’agit sans doute de moins d’une centaine de personnes, aidées par 1500 ou 2000 autres. Bien sûr, le gouvernement les couvre, mais il est distinct de ce groupe.

Pour les combattre, il faut utiliser la même méthode qu’à l’encontre des gangs criminels. Il s’agit de mener une enquête et de découvrir qui possède quoi exactement, qui a des comptes en banque, à leur nom ou à ceux de leurs amis, etc. La façon dont le gouvernement français a agi contre Suleyman Kerimov est la bonne [arrêté à Nice en novembre 2017, l’oligarque est soupçonné d’avoir acquis plusieurs propriétés de luxe en liquide et est interdit de sortie du territoire français]. Il est sénateur [avec un passeport diplomatique], mais les autorités françaises n’en ont pas tenu compte, ce qui normal: l’homme se promenait avec des valises de billets!

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Vous souhaitez donc des sanctions ciblées, visant juste les proches de Poutine?

Des sanctions économiques puniraient 150 millions de Russes, alors qu’il faut viser une centaine de personnes. De plus, elles pourraient être positives politiquement pour Poutine, qui a besoin de la confrontation [avec l’Occident] pour tenir. Si j’étais président américain, je demanderais au FBI d’enquêter sur les criminels du Kremlin. Ensuite, une fois identifiés les coupables, les outils juridiques existent pour agir. Il y a abondance de lois contre le blanchiment d’argent et la corruption.