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EnquêtePesticides

Dix ans de lutte contre les pesticides... dix ans d’échec

En 2008 était lancé le plan national Écophyto, affichant l’ambition de réduire de 50 % l’usage des pesticides en… dix ans. À l’heure des comptes, et malgré les moyens mis en œuvre, l’échec est patent.

En 2008, dans la foulée verte du Grenelle de l’environnement, le gouvernement lançait en grande pompe le plan national Écophyto. Objectif : réduire l’usage des pesticides de 50 % en dix ans, « si possible ». Dix ans plus tard, l’échec est patent. D’après le service régional du ministère de l’Agriculture pour l’Île-de-France (Driaff), entre 2008 et 2015, l’utilisation des produits phytos a augmenté de… 22 % !

De l’Union des industries de protection des plantes (UIPP) — qui regroupe les fabricants de pesticides — à la Confédération paysanne, tout le monde s’accorde à constater le fiasco. Et même si l’État ne le reconnait qu’à demi-mot, le plan — remanié et rebaptisé Écophyto 2 en 2016 — vivote au ralenti depuis deux ans.

Pourtant, tout a été fait pour que ça marche : un objectif ambitieux, un budget conséquent (sur la période 2009–2014, le plan a bénéficié de 361 millions d’euros), une batterie de mesures allant de la formation des agriculteurs à la mise en place d’un réseau de fermes « modèles », des programmes de recherche.

Surtout, l’histoire avait bien commencé, se souvient François Veillerette, de l’ONG Générations futures. « Malgré les fortes pressions de l’agro-industrie, le ministre de l’époque, Michel Barnier, avait tenu bon. Il avait maintenu l’objectif de moins 50 % et poussé pour une approche systémique du problème. » Deux tendances s’affrontaient alors, comme le décrit le sociologue Alexis Aulagnier : « Les associations environnementales et la Confédération paysanne poussent pour une diminution de la quantité de pesticides utilisés, écrit-il dans un article. À l’inverse, les industriels et la FNSEA veulent se concentrer sur la diminution des impacts liés à leur usage. » Ce qui est sensiblement différent : alors que la première approche impulse une réforme en profondeur du modèle agricole, la seconde se contente d’un « raisonnement » et d’une « optimisation » des pratiques.

« Les pouvoirs publics ont sous-estimé le verrouillage d’un système agricole fortement dépendant des pesticides » 

Contre toute attente, c’est donc la première méthode qui l’a emporté… du moins provisoirement. Dès 2010, dans des cahiers d’acteurs, les entreprises agroalimentaires ont fait connaître leurs doutes sur la possibilité de tenir les objectifs. Des doutes confirmés par les premiers chiffres : la quantité de pesticides utilisée, mesurée par le nombre de doses unités (Nodu), enregistrait une augmentation moyenne annuelle de 5 %. Face à cette chronique d’un échec annoncé, le gouvernement a pris les devants et repousse l’objectif de moins 50 % de 2018 à 2025.

Sur le terrain, le Bulletin de santé du végétal (BSV), publié chaque semaine afin de prévenir les agriculteurs de la présence de maladies ou de ravageurs, a produit l’effet inverse de celui escompté : « Au lieu de réduire la consommation de produits phytos par un meilleur ciblage, ce bulletin a poussé nombre d’agriculteurs à traiter davantage les cultures en cas d’alerte », explique Laurence Guichard, agronome à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).

L’autre mesure phare du plan, les fermes du réseau Dephy qui s’engagent volontairement à réduire leur consommation de pesticides, patine également. « L’idée que quelques centaines d’exploitations engagées dans de bonnes pratiques allaient montrer l’exemple et convaincre tous les agriculteurs de France de faire de même n’a pas fonctionné », estime Mme Guichard.

« Le BSV, les fermes, les projets de recherche constituaient des leviers d’action parmi d’autres, qui ont plus ou moins bien marchés, nuance Bertrand Omon, animateur au sein du réseau Dephy. Mais tout ceci s’est fait à la marge, sans que cela ne parvienne à impulser un mouvement dominant de changement. »

Alors, qu’est-ce qui a manqué pour passer la vitesse supérieure ? « Les pouvoirs publics ont sous-estimé le verrouillage d’un système agricole fortement dépendant des pesticides », estime Laurence Guichard. Autrement dit, « personne n’a vraiment intérêt à remettre en cause les tendances lourdes auxquelles il est adapté », précise-t-elle dans un rapport dont elle est coautrice, publié en 2017.

Et depuis soixante ans, notre agriculture s’est très bien « adaptée » aux intrants. « Les pesticides jouent un rôle central dans le système agro-industriel, précise la Confédération paysanne dans un livret sur la sortie des produits chimiques. Ils peuvent “sauver” la récolte à court terme, ou assoir des économies d’échelle en permettant le contrôle sanitaire de grandes surfaces. » Mais le syndicat pointe aussi « une société en quête d’une alimentation moins chère », un libre-échange et une compétition économique qui poussent à la recherche de rentabilité maximale, et une Politique agricole commune (PAC) privilégiant la productivité.

Or si chacun a sa part de responsabilité dans la situation actuelle, les politiques mises en place ont ciblé presque exclusivement les agriculteurs, dans l’idée de les faire changer de pratiques. « Il n’y a eu aucune intégration des acteurs de l’aval, comme les industries agroalimentaires ou la grande distribution, relève Ingrid Aymes, de Greenpeace. Cela a empêché l’émergence d’une dynamique globale. »

« Seul le ministère de l’Écologie joue un rôle moteur sur la question des pesticides » 

D’autant plus que les tenants du système agro-industriel n’ont pas tardé à lancer la contre-offensive. « La FNSEA et consorts n’ont jamais été partants pour Écophyto, raconte François Veillerette. Et dès qu’ils ont pu reprendre la main, ils l’ont fait. » Recours juridique, dénonciation du plan, promotion de l’agriculture raisonnée… La communication s’est mise en branle, autour d’une argumentation bien rodée.

« Les pratiques des agriculteurs sont déjà raisonnées en France, ils n’ont recours aux produits phytos que lorsque les événements — climatiques, sanitaires — les y obligent, explique Eugénia Pommaret, directrice générale de l’UIPP (et salariée de la FNSEA au moment de la loi Grenelle). On peut sans doute aller plus loin dans la réduction des risques et des impacts, en travaillant sur la génétique, le biocontrôle, l’amélioration des pulvérisateurs et des équipements de protection. Mais un monde sans phytos, ce serait comme un monde sans médicaments, ce n’est pas souhaitable. » Pourtant, études et expériences s’accumulent pour prouver qu’il est possible de se passer de ces produits dangereux.

Même son de cloche du côté de la FNSEA, qui a lancé cette année son « contrat de solution » pour « une trajectoire de progrès pour la protection des plantes ».

« Ce n’est pas en mettant des drones et changeant le modèle de pulvérisateurs que l’on va sortir des pesticides, dit François Veillerette. Au mieux, ces solutions techniques permettront une baisse de 20 %. Pour aller au-delà, jusqu’à l’objectif de 50 %, il faut changer de modèle. »

Annoncé pour fin mars, le plan gouvernemental d’actions sur les produits phytopharmaceutiques permettra-t-il de déverrouiller la machine ? « Si on veut que ça marche, on ne peut plus se contenter de la bonne volonté, il faut des contraintes, des obligations de résultats », estime M. Veillerette. Donc une loi qui bannisse des substances dangereuses, qui interdise que les produits chimiques soient vendus par celles et ceux qui conseillent les agriculteurs sur leurs pratiques, qui fixent des bonus et des malus.

Mais la députée Delphine Batho se montre pessimiste quant à la volonté de l’État de mouiller la chemise sur ce dossier. « Le gouvernement ne veut pas changer de stratégie, il reste concentré sur l’affichage d’objectifs flous alors que le problème c’est de fixer des moyens, observe-t-elle. Il explore toutes les solutions pour ne pas avoir à en passer par une interdiction des substances dangereuses. »

D’après l’ex-ministre de l’Écologie, le blocage vient du ministère de l’Agriculture, « qui n’a pas encore évolué vers l’agroécologie », mais aussi du ministère de la Santé, « incapable de se pencher sur les questions de prévention et de prendre en compte la santé environnementale ». Résultat, « seul le ministère de l’Écologie joue un rôle moteur sur la question des pesticides, il est isolé et se heurte au lobbying considérables des firmes agro-industrielles ».

La sénatrice Nicole Bonnefoy, porteuse d’une proposition de loi sur l’indemnisation des victimes des pesticides, se veut plus optimiste : « Les parlementaires sont aujourd’hui plus ouverts, et le cercle des irréductibles pro-phytos se réduit, se réjouit-elle. Les politiques ont pris la mesure, les choses bougent, mais c’est un travail de longue haleine. »

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