Publicité

Plantu: «La peur s'est installée un peu partout, dans les journaux, dans la tête des gens...»

Plantu s'expose à la BNF jusqu'au 20 mai. «La Liberté guidant le peuple, d'après Delacroix» Feutre noir sur papier, coul. num., Le Monde, 10 janvier 2015, Liberté d'expression, Je suis Charlie. Plantu/BNF

INTERVIEW - Le caricaturiste qui fait la une du Monde depuis 1985 expose une centaine de dessins originaux à la Bibliothèque nationale de France. Fort de 50 ans de dessins de presse, il évoque les ressorts qui sous-tendent son travail.

Après Wolinski et Willem, la Bibliothèque nationale de France abrite de nouveau l'impertinence du dessinateur de presse. Pour couronner le tout, elle présente, jusqu'au 20 mai, l'exposition Plantu, 50 ans de dessin de presse, soit une centaine de dessins originaux de celui qui fait la Une du Monde depuis 1985. Le caricaturiste Jean Plantureux, alias Plantu, a cédé 500 œuvres à l'institution et lui a également confié les 30.000 dessins qui constituent le fonds de cinquante années d'activité. «Toutes les œuvres qui entrent à la BNF appartiennent au patrimoine national. Les dessins de Plantu appartiennent dorénavant à tout le monde», a déclaré, pas peu fière, la commissaire de l'exposition Martine Mauvieux, conservateur, chargée des collections de presse, lors de la présentation à la presse, lundi soir.

» LIRE AUSSI - Dessiner Mahomet? Plantu prône une «pédagogie mondiale»

Dessins préparatoires, jamais publiés ou qui entreront dans les annales, le visiteur aura tout le loisir de plonger dans le monde irrévérencieux de Plantu. Il pourra voir ou revoir le premier dessin accepté dans les colonnes du Monde en 1972, la fameuse petite colombe, un point d'interrogation dans le bec, qui deviendra sa marque de fabrique.

«Colombe de la Paix». Plume et encre de Chine sur papier, premier dessin de Plantu publié dans «Le Monde» daté 1 et 2 octobre 1972. Plantu/ BnF

Entre deux railleries inspirées des hommes politiques ou l'envers des décors officiels, le visiteur appréciera le dessin plus émouvant des obsèques de ses confrères de Charlie Hebdo, Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, assassinés le 7 janvier 2015 dans une attaque terroriste.

«Faire un policier versant cette petite larme était important pour moi», a souligné Plantu à l'AFP, rappelant que «ce jour-là, les policiers ont été applaudis et les cloches de Notre-Dame ont sonné en hommage à Charlie Hebdo!» À l'aube de ses 67 ans, qu'il fêtera dans trois jours, le dessinateur n'a rien perdu de sa verve et de son éloquence. Lundi soir, lors de la présentation à la presse de l'exposition, c'est avec un enthousiasme et un plaisir non dissimulés qu'il a évoqué son travail, enchaînant, avec une égale volubilité, les interviews.

Plantu JOEL SAGET/AFP

Quand on demande au dessinateur de réagir à son entrée dans la très sérieuse institution parisienne, il répond en toute humilité: «Je voulais appeler l'exposition Bonjour les chevilles, tellement cela me fait un drôle d'effet de me retrouver ici.»

Avant d'ajouter: «Un dessinateur de presse est là pour se moquer des institutions et je suis le gars sur qui il ne faut jamais compter. Moi je fais partie des moqueurs et je n'ai aucune étiquette. À chaque fois qu'on croit m'en mettre une, on commet une fatale erreur. Je veux décevoir tout le monde pour pouvoir jouir d'une liberté de ton et d'esprit. Pour pouvoir passer au crible tous les pouvoirs, toutes les religions, et toutes les institutions».

LE FIGARO. - Comment fait-on pour constituer un fonds de 30.000 dessins?

PLANTU. - Je suis un touche-à-tout. Un jour, je traite de la Chine, le lendemain de la religion ou de l'Afrique et puis l'Éducation nationale. Lorsque je me demande qui je suis pour ratisser aussi large, je fais comme si j'étais capable de le faire. Cet état d'esprit m'a permis de faire 30.000 dessins, de les rassembler ici à la BNF, d'en offrir 500 et d'en exposer dans la galerie des donateurs où j'essaie de mettre en avant différents styles de dessin.

Comment s'est forgé et a évolué votre style?

Je me suis tout d'abord nourri de deux immenses dessinateurs contradictoires. À la fois d'Hergé et de son côté très sage et de Reiser. J'adorais l'impertinence de Reiser qui a donné ses lettres de noblesse au dessin prétendu bâclé, qui était bien sûr loin de l'être. Mon premier dessin de la colombe je l'ai réalisé au rotring. Maintenant j'utilise le feutre pour les dessiner ce qui me permet d'être plus spontané à une époque où il faut faire le dessin dans un temps de plus en plus rapide. En fait, mon dessin a évolué sans que je m'en rende vraiment compte. Mon trait correspond à une certaine époque. Il y a celui qui a croqué l'ère Mitterrand, Sarkozy, Hollande et aujourd'hui celle de Macron.

«Colombe au crayon» - Feutre noir sur papier, coul. num. non publié, août 2004. Logo de Cartooning for Peace. Plantu/ BnF

Comment a évolué la liberté du dessin de presse en cinquante ans et surtout après le drame de Charlie Hebdo?

En ce qui me concerne, je jouis d'une énorme liberté. Il m'arrive de plier sur certaines choses, mais lorsque je crois fortement quelque chose, alors là j'insiste. Il n'y a pas eu une idée à laquelle je tienne qui ne soit pas passée. Je remercie mes rédacteurs en chef pour cela. Vous savez un journal et son dessinateur c'est comme un mariage. Ce n'est pas parce qu'on est en accord avec son journal qu'on est d'accord sur tout. Je m'estime privilégié. Un petit jeune à ma place aujourd'hui aurait beaucoup plus de mal.

Pourquoi?

« Quand on veut aider les Palestiniens sous les bombes israéliennes, il ne faut rien lâcher; même si on doit se faire traiter de tous les nom »

Plantu

Parce que la peur s'est installée un peu partout, dans les journaux, dans la tête des gens... En fait il faut continuer à ne rien lâcher. Quand on veut aider les Palestiniens sous les bombes israéliennes, il ne faut rien lâcher; même si on doit se faire traiter de tous les noms. Quand un petit enfant est violé dans une sacristie, il ne faut rien lâcher, même si on se fait engueuler. Idem quand des femmes sont lapidées au Soudan ou en Iran. Bien sûr que je vais me faire traiter de tous les noms, mais je ne lâche rien. Il faut juste dire les choses en écoutant l'avis des gens qui peuvent ne pas comprendre. Il faut juste revenir sur certains malentendus. Je vais depuis des années dans les écoles à la rencontre des jeunes pour expliquer mes caricatures. Je défends mes copains de Charlie, et même les dessinateurs danois dans le monde musulman. Je vais beaucoup en Afrique, au Proche-Orient et je dis souvent que jamais ces dessinateurs se sont levés le matin en voulant humilier les croyants.

» LIRE AUSSI - Plantu gagne son procès face à une association catholique

Comment on garde cet équilibre entre le fait de ne pas humilier et le fait de déranger?

Je fais comme si j'y arrivais et parfois je tombe à côté mais mon boulot est de faire comme si j'y parvenais. Il y a une alchimie à trouver et au bout du compte on finit par trouver le truc qui va être cinglant, pertinent, dérangeant tout en évitant d'humilier inutilement. Il est démagogique de laisser croire que l'on peut tout dire ou tout faire. Ce n'est pas vrai. On est tous en tant que journalistes, dessinateurs ou artistes à se dire qu'il y a des choses qu'on peut faire et d'autres non. Par contre si on croit à une idée il ne faut pas s'autocensurer mais, je le répète, il y a une manière de dire les choses.

Si, comme vous le dites, la peur s'est insinuée partout, quel est l'avenir du dessin de presse?

C'est comme si vous me demandiez quel est l'avenir de l'oxygène. Quand on a besoin de respirer on ne se pose pas la question. Ce n'est pas parce qu'il y a eu la grande tragédie du Bataclan, que la musique s'est arrêtée. On continue la musique et on continuera le dessin.

Plantu: «La peur s'est installée un peu partout, dans les journaux, dans la tête des gens...»

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
63 commentaires
  • Benoist Disparu

    le

    Plantu n'a jamais eu beaucoup de talent, mais apparemment, personne ne s'en soucie...

À lire aussi